ESCAPADE GOURMANDE
Madagascar
DANS L’OCÉAN INDIEN, C’EST UN DES PAYS LES PLUS PAUVRES AU MONDE, MAIS SES RICHESSES NATURELLES SONT D’UNE GÉNÉROSITÉ SANS PAREILLE. C’EST POURQUOI, POUR UNE FOIS, PLUTÔT QUE PARTAGER NOS BONNES ADRESSES LORS DE CETTE ESCAPADE, NOUS VOUS EMMENONS À LA DÉCOUVERTE DE QUELQUES PRODUITS QUI FONT LA RICHESSE DE L’ÎLE ROUGE.
C’est à Ambatolaona que la pisciculture est installée, un site de oduction unique.
Qu’est-ce qu’a bien dû penser le navigateur portugais Diego Diaz lorsqu’il a posé le pied sur l’île de Madagascar en 1500 ? Luxuriante, sauvage et farouche, sans doute presque inhabitée… On envie les explorateurs et leur premier regard posée sur cette île vierge. Aujourd’hui encore le temps s’arrête un peu lorsque l’on arrive à Madagascar et il faut l’envisager autrement. Rien n’est toujours simple pour traverser cette île à peine plus grande que la France peuplée pourtant de deux fois moins d’habitants. Prendre son temps est justement la meilleure façon de découvrir ce bout du monde.
L’île rouge mérite tous les superlatifs
Comptant les habitants parmi les plus démunis du monde, Madagascar est sans doute une des plus belles îles qui soit. Des années de mauvaise gouvernance et de corruption ont freiné sa croissance. Elle possède pourtant des ressources naturelles incroyables. Des animaux étonnants, des espèces de plantes aussi variées que rares (plus de 12 000)… l’île détient le taux record d’espèces endémiques.
Le caviar, le cacao, la vanille, les trois joyaux de Madagascar
Si les cultures de cacao et de vanille sont implantées depuis longtemps à Mada, comme on l’appelle ici, l’élevage d’esturgeons afin de produire du caviar n’existe pas, lui, depuis longtemps. L’histoire n’est pas banale... C’est en regardant un reportage télévisé sur une ferme d’élevage d’esturgeons en Aquitaine que les trois entrepreneurs décident de se lancer dans la production de Caviar à Madagascar. Alexandre Guerrier, Delphyne et Christophe Dabezies ont brillamment réussi dans le secteur de la confection depuis vingt ans et sont alors en quête de nouveaux challenges. Construire en partant de rien une ferme d’élevage dans l’île en est un à la hauteur de leur ambition. L’aventure de Rova Caviar commence donc en 2000. Il faut déjà trouver un lieu : la pureté des eaux du lac artificiel de Mantasoa, uniquement alimenté par les eaux de pluie, plante le décor. C’est à Ambatolaona, le site terrestre tout proche, que la pisciculture va être installée. Les trois amis n’y connaissent rien, mais s’engagent avec passion dans ce projet. Ils construisent un site de production unique ; bénéficiant du recul et des expériences des autres fermes d’élevage et des conseils avisés de Monsieur Petrossian, expert reconnu mondialement. De prime abord, le caviar évoque plutôt les fêtes à la cour des tsars. Depuis l’interdiction du commerce du caviar sauvage en 2008, les exploitations ont pourtant fleuri dans le monde. Difficile cependant d’imaginer qu’une exploitation pourrait voir le jour dans une contrée aussi éloignée de la Russie. Aujourd’hui, la ferme modèle crée des emplois, fabrique ses filets comme la nourriture qu’elle donne aux poissons, loge son personnel sur place, possède son propre potager… De quoi faire la fierté de l’île. Les alevins importés de Russie (40 000 oeufs dans une poche de 500 g !) sont placés dans l’écloserie pour être incubés, et sont surveillés nuit et jour. À l’extérieur, des bassins abritent cinq variétés de poissons : osciètre, béluga, persicus, baeri et nudiventris. Au bout de deux ans, les poissons sont déplacés dans le lac de Mantasoa. Il faudra attendre au moins cinq ans avant que l’espèce la plus précoce puisse être exploitée (vingt-cinq ans et entre 60 et 70 kg pour l’espèce béluga). À maturité, on récupère la poche d’oeufs en ouvrant le
poisson. Les oeufs sont alors tamisés pour ôter leur membrane, puis rincés à l’eau très froide pour conserver leur fermeté. Les grains sont répartis sur un tapis d’égouttage, puis commence le travail de triage, équipé d’une corne et d’une pince à épiler. Une fois les oeufs « toilettés », ils vont être salés. Le sel joue le rôle d’exhausteur de goût et de conservateur. Vient alors le moment du remplissage. Le caviar est placé dans de grosses boîtes métalliques, exemptes de toute bulle d’air, qui sont mises sous presse avec leur couvercle pour pallier le risque d’oxydation. La précieuse marchandise est ensuite placée en chambre froide pour un à douze mois. À ce stade, le grain est ferme et peu goûteux. C’est une fois arrivé à maturité qu’intervient le travail d’affinage qui, avec le temps, va le bonifier et lui donner ce goût recherché par les amateurs. « L’or noir » pourra alors être dégusté.
La culture du cacao ou l’histoire de l’arbre à chocolat
De couleur sombre également, mais introduit sur l’île au XXe siècle, le cacao a une place de choix parmi les richesses de Madagascar. Cultivés il y a plus de 3 000 ans dans le golfe du Mexique, les cacaoyers, dont les fèves servaient de monnaie d’échange, se plaisent sous le climat de l’île rouge, qui en produit une faible quantité, mais de qualité première. Madagascar fournit 11 000 tonnes de cacao, lorsque la production mondiale est estimée à 4,5 millions de tonnes et que le continent africain représente à lui seul la majeure partie de la production mondiale – avec la Côte d’Ivoire en tête qui produit 2, 2 millions de tonnes.
La plus grande partie du cacao produit dans le monde est classée bulk c’est-à-dire cacao courant. Mais ici, dans la plantation Mava située dans la vallée de Sambirano, au nord-ouest de l’île, dont s’occupe Thomas Wenisch (un Français tombé amoureux de l’Île), c’est un cacao fin que l’on cultive. Si l’on distingue une dizaine de variétés de nos jours, le cacao s’est longtemps classé en trois grandes variétés : le forastero (le plus produit et commun dans le monde), le criollo (aux fèves banches, le plus fin et aromatique), le trinitario (hybride des deux premiers, il est aromatique et domine à Madagascar). Chacune a ses propres subtilités aromatiques et permettent de l’utiliser en pure origine ou en blend (mélange). Dans cette ancienne plantation coloniale, 800 personnes travaillent sur les huit fermes de la région historique de production du cacao à Madagascar. Chaque exploitation est plantée de cacaoyers différents, dotés d’un vaste panorama de profils de saveurs qui donnent de grands crus. La situation géographique de la vallée du Sambirano répond aux besoins de cette culture. Les sols alluviaux profonds des terrasses et du delta du Sambirano, couplés à la présence d’une nappe phréatique peu profonde, créent un terroir propice à la culture des cacaoyers. Ces derniers poussent dans un système agroforestier à l’ombre de grands arbres qui permettent de reconstituer des conditions proches de celles des forêts sud-américaines dont ils sont issus.
Quand la nature décide
La production est biologique et très respectueuse du vivant et des équilibres naturels. Les fèves de cacao sont issues du cacaoyer qui peut produire à partir de 5 ans et jusqu’à ses 40 ans. Dans le Sambirano, certains arbres ont connu 60 printemps et donnent encore des fèves. Le cacaoyer produit des fleurs toujours au même endroit. Situées même sur son tronc, elles sortent toute l’année, tandis que l’on distingue deux pics de production de fruits (les canosses). Un délai de cinq à six mois entre la floraison et la récolte est observé de septembre à janvier et de mai à juin. À ce moment-là, l’arbre grimpe jusqu’à 6 mètres de haut, taille à laquelle on maintient les arbres pour pouvoir effectuer plus facilement la récolte… On coupe alors les cabosses à maturité à l’aide d’une gaffe. Les cueilleurs, habitués, les repèrent au premier coup d’oeil. C’est le moment « d’écabosser » : les femmes prennent de longs couteaux pour ouvrir la cabosse afin d’en extraire environ une trentaine de fèves. Elles les égrènent pour enlever le « rachis ». Toutes sont enrobées d’une pulpe, le mucilage, sucré, acidulé, à l’arôme unique.
Le temps de la transformation
Les fèves sont placées dans de grandes caisses en bois percées, qui peuvent en contenir jusqu’à 800 kg. Débute alors la fermentation alcoolique. Après 44 heures, elles continuent leur périple dans une deuxième caisse et les fèves commencent à changer de couleur. Deux fermentations (alcoolique et acétique)
Il se passe entre cinq à six mois de la fl aison à la récolte
Les chidées sont pollinisées une à une par les mains des ouvrières tous les matins, avec une étonnante dextérité
vont se succéder et permettre l’expression des précurseurs d’arôme du cacao. Pour ce faire, les fèves sont mises à fermenter dans des caisses en bois, puis brassées selon un rythme défini par les planteurs. L’ensemble du processus dure entre cinq et six jours. Vient le temps du séchage. Le cacao est placé au soleil sur des grands tiroirs. Souvent remué, il fait l’objet de soins attentifs durant une semaine : on le sort le matin, et on le rentre à l’abri dans l’après-midi. Puis intervient un travail manuel du triage : sont écartées les fèves plates, cassées, les matières étrangères. Les fèves de cacao sont prêtes à être transformées en chocolat et à partir à la rencontre des gourmands du monde entier.
La vanille de Madagascar, une orchidée très spéciale
Débarqué il y a trente-cinq ans à Madagascar, Jean-Christophe Peyre a roulé sa bosse. Il a été tour à tour spéléologue, plongeur à la recherche d’épaves, chasseur, puis éleveur de crocodiles ; enfin il a créé une ferme marine consacrée à la production d’algues sur une île déserte au nord de Madagascar qu’il vient de transformer en une retraite exclusive dévolue aux Robinson de luxe en quête de reconnexion à la nature. Depuis vingt ans, avec son associée Gabriella Bessaguet, il est à la tête de l’entreprise Floribis qui produit chaque année 150 tonnes de vanille, mais aussi des huiles essentielles (vétiver, ylangylang, iris...). Dans la plantation située au nord de l’île, 100 personnes s’activent. Floribis exploite 30 ha de terrain qui lui permettent de fournir 20 % de sa production ; les 80 % qui restent sont apportés par des récoltants extérieurs.
De sa propre récolte, l’entreprise obtient des vanilles à parfaite maturité, très concentrées ; ces fameuses gousses qui ont un aspect givré si rare et apprécié. La vanille est le fruit de l’orchidée et se décline en plus de 100 variétés. Les deux ou trois lianes importées du Mexique il y a plus de 300 ans ont fait des petits, puisque Madagascar produit aujourd’hui 80 % de la vanille mondiale.
La naissance d’une liane
Pendant la saison de la floraison, de miaoût à fin novembre, les orchidées sont pollinisées une à une par les mains des ouvrières tous les matins, avec une étonnante dextérité. On les appelle les « marieuses » lorsqu’elle s’attellent à cette union. Neuf mois plus tard aura lieu la récolte.
Dans l’ombrière variétale, sont rassemblées dans la même zone toutes les variétés de vanille. Cette multitude protège de la fusariose (une maladie fongique causée par des champignons, qui décime - la plante traditionnelle), des tempêtes, des inondations… Lorsque la plante a suffisamment grandi, l’équivalent d’un mètre de liane est prélevé. Il sera replanté dix jours plus tard, après le ressuyage. Il faudra attendre trois ans et une bonne longueur
pour que la liane puisse se reproduire. Chaque liane est posée sur un arbre tuteur, le glyceridia, apprécié pour deux qualités : une pousse rapide et l’apport d’azote aux orchidées. La gousse de vanille, elle, atteint sa taille au bout d’un mois, mais doit rester sur pied au moins neuf mois pour atteindre sa meilleure forme. Dans la vanilleraie, chaque liane peut produire jusqu’à 2 kg de gousses. Arrive alors le moment de la campagne, terme qui vise autant le moment de la récolte, que celui où les producteurs ont le droit de mettre en vente leur vanille. Cette date est fonction de la floraison et est fixée par l’Etat, en général entre juin et juillet. Sur le site de production et de transformation, dès que les gousses arrivent, elles sont analysées au laboratoire. On examine leur vanilline, leur taux d’humidité qui donne des indications sur leur provenance : en général, les vanilles côtières sont de meilleure qualité que les vanilles d’altitude, plus humides et moins chargées en vanilline. La vanille récoltée est verte et ne sent absolument rien, elle ne possède que des précurseurs de vanilline. C’est lors de la préparation, que les enzymes transforment la glucovanilline en vanille par le jeu de réactions chimiques.
De la liane à la gousse parfumée
Après la taille, le bouclage – qui consiste à attacher liane au tuteur – dans les plantations par la main de l’homme est primordiale. Les gousses vertes sont alors plongées dans une eau à 60°C pour les « tuer », selon le terme consacré. Puis, elles sont enroulées dans des couvertures placées au fur et à mesure dans un caisson isotherme pendant 36 à
48 h. À température, elles « transpirent », la transformation enzymatique opère et les gousses deviennent brunes et se ramollissent. Elles sont alors sorties du caisson et enroulées par 6 ou 7 kg dans d’autres couvertures exposées au soleil 2 à 3 heures par jour. Au bout de deux à trois semaines, l’humidité diminue de 85 % à 45-50 %. La gousse devient de plus en plus souple et de moins en moins exposées au soleil. Elles sont ensuite rangées sur de grandes claies pendant une à deux semaines, le temps qu’elles atteignent 35 à 40 % d’humidité. Elles sont alors triées et classées selon leur taille (au moins 13 cm pour une vanille « respectable ») et leur aspect. Il s’est passé un petit mois depuis leur arrivée à l’usine de traitement. Ultime et néanmoins étape cruciale du processus, l’affinage, qui va permettre de concentrer les arômes de la vanille et de la stabiliser. Une vanille riche en vanilline sera de meilleure qualité. C’est donc avec un grand soin que chacune est classée d’après sa couleur, sa propriété organoleptique, selon qu’elle est charnue ou fine, et protégée par un papier dans des boîtes en fer, avant de partir aux quatre coins du monde – en particulier en France, le plus gros client de la société, où elle est très appréciée. Pour les industriels qui utilisent beaucoup de vanille, dans l’univers de la parfumerie par exemple, le procédé de transformation peut être différent. Les gousses vertes sont coupées en petits morceaux de 2 cm et entreposées sur des claies, avant d’être confiées à une chambre d’étuvage qui accélérera son processus de transformation.