DÉGUSTATION
L’inclassable Paz Levinson
Paz Levison a un nom d’aventurière. Dotée d’une curiosité et d’un amour du risque, elle l’est assurément. La sommelière argentine, un peu poète et très experte, représente la nouvelle garde du métier. D’abord parce qu’elle est une femme dans un royaume encore très masculin et machiste, puis aussi parce qu’elle est sans complexe. La France est un grand pays de vins certes, mais il n’est pas le seul et elle se charge avec toute sa délicatesse de nous le rappeler.
Histoire de rencontres
Le hasard mène à tout et nous aide parfois à comprendre qui l’on est. Paz est Argentine donc, née en Patagonie. Si son père est marchand de vin, son intérêt pour cet univers ne va pas de soi et elle n’y connaît pas grand-chose avant d’avoir le déclic. Ce sont comme souvent les rencontres, et précisément des femmes, qui l’ont poussée et encouragée.
C’est pour étudier qu’elle arrive à Buenos Aires avec l’envie de devenir professeur de littérature ou poète. Pour payer ses études, elle travaille dans un restaurant tenu par Maria Barrutia, figure de la gastronomie locale. « À l’époque, j’étais timide et réservée ». C’est justement ce que cherchait la cuisinière qui apprécie tout de suite son sens du détail. Paz aime le service, être à l’écoute des autres, les sentir… cette sensibilité et cette psychologie nécessaires pour comprendre quelqu’un en quelques secondes. Elle reste cinq ans aux côtés de Maria, qui l’encourage à suivre les cours de sommellerie dans l’école qu’elle vient de fonder.
Très vite c’est la découverte et la passion des vins qui l’animent. En 2010, elle gagne le concours du meilleur sommelier d’Argentine. Puis à nouveau en 2015 et 2016. Elle décide d’aller voir ailleurs pour apprendre davantage et part faire un stage à San Francisco, puis en Chine. « Les voyages, c’est la clé de la connaissance. Ils m’aident à rencontrer les bonnes personnes. » Puis Marcelo Joulia, architecte installé en France, lui donne sa chance en lui proposant de l’engager dans un de ses restaurants parisiens. Certes les vins étrangers sont davantage légion à Londres ou New York, mais la vie culturelle parisienne fait pencher la balance pour elle et son mari poète. Elle fait ses bagages et arrive à Paris. Cela fait désormais six ans qu’elle respire l’air de notre pays.
Quand le destin s’en mêle
Et, puis il y a deux ans, elle croise le chemin d’Anne-Sophie Pic. Lorsqu’on connaît un peu les deux femmes, cette coïncidence débouche sur une évidence. La cheffe triplement étoilée et la sommelière ont le même degré d’exigence. « Anne Sophie m’a appelée en me demandant comment faire pour travailler ensemble ? Nous sommes un peu pareilles. Elle me fait confiance. Elle se pose souvent les mêmes questions que moi et m’invite au challenge. »
Toutes deux sont perfectionnistes, voient loin et sont aussi discrètes que déterminées. Chacune a dû s’imposer dans un univers qui n’était pas le sien au départ. Aujourd’hui, Paz s’occupe de sélectionner tout ce qui est « liquide » dans les différentes maisons d’Anne-Sophie Pic. Pas seulement des vins, mais aussi des infusions, des cafés, des eaux minérales, des sakés, des bières qui sont à la carte, dans une vision globale ; toutes les boissons ont leur importance. Elle continue à voyager et part souvent avec la cheffe sur le terrain, pour faire un saut en Bourgogne chez Christine Vernay la talentueuse vigneronne, chez Jean-Louis Chave dans ses terroirs de l’Hermitage non loin de Valence ou encore à Barolo en Italie… Grâce à son expérience des terroirs de tous horizons, elle réussit à marier vins de France et vins étrangers en composant ses cartes, en gardant toujours en point de mire le produit et l’envie de permettre de belles découvertes à ses clients.
Aujourd’hui, alors que la sommelière attend son premier enfant et qu’elle a le temps de se retourner un peu sur son parcours, elle se félicite qu’il y ait de plus en plus de femmes qui fassent son métier, mais encore trop peu à la tête de caves de restaurants étoilés. Sa bataille ? Occuper ce poste et ces responsabilités au même titre qu’un homme le ferait, être un modèle, une source d’inspiration, prouver que l’on peut y arriver avec la force de la passion, faire accéder les femmes aux postes qu’elles méritent… Force est de constater qu’elle n’a pas souvent entendu un homme dire qu’une femme est une excellente dégustatrice, alors qu’elle est la première à reconnaître le talent de certains. Mais toujours positive, elle transforme l’obstacle car finalement, cette discrimination lui a donné le courage de se lancer et d’avancer.