Cuisine et Vins de France

La blanquette de veau

PLAT À LA FOIS FAMILIAL ET CONVIVIAL D’ORIGINE BOURGEOISE, LA BLANQUETTE EST UNE RECETTE DE VEAU EN SAUCE, NÉE DE L’ART D’ACCOMMODER LES RESTES.

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Véritable monument de la gastronomi­e française, la blanquette de veau est l’héritière d’une longue histoire. La recette se compose aujourd’hui de viande de veau, de carottes, d’oignons et de champignon­s de Paris, savant mélange de textures et de saveurs. L’origine de ce plat daterait du Moyen Âge, période durant laquelle la blanquette de veau n’était qu’un modeste plat villageois préparé à base de poulet poché dans un bouillon de vin et de verjus, que les familles faisaient mijoter des heures durant dans le fournil du boulanger ou dans leur cheminée. Roborative, l’ancêtre de notre blanquette se dégustait alors chaude ou froide dans une miche de pain creusée. La sauce était obtenue en liant le bouillon avec des amandes broyées, des épices et des jaunes d’oeufs. Jean-Louis Flandrin, historien spécialist­e de l’alimentati­on, note dans son ouvrage, paru à titre posthume en 2002, La blanquette de veau, histoire d’un plat bourgeois, que la recette émane surtout d’une simple façon d’accommoder les restes d’un rôti de veau en lui adjoignant une sauce blanche, recette revendiqué­e par de nombreuses régions comme la Normandie, le Lyonnais, la Bourgogne, le Poitou… En 1735, la première recette d’une blanquette de veau digne de ce nom voit le jour. On la doit à Vincent La Chapelle, chef et écrivain culinaire, qui a officié à la Cour de Louis XV. Reconnue aujourd’hui comme un plat complet, la blanquette de veau n’est à l’époque qu’une entrée constituée des restes de rôti de veau de la veille. Elle est alors traditionn­ellement servie avec des oignons grelots et des champignon­s de Paris.

De l’art de sublimer des restes

Au XIXe siècle, le chef Jules Gouffé, cuisinier pour Napoléon III, offre à cette entrée ses lettres de noblesse et la blanquette devient un plat à part entière. Le chef, surnommé « l’apôtre de la cuisine décorative », estime que la recette a grand besoin d’être dépoussiér­ée. Il décide de pocher la viande encore crue dans un bouillon avant de la faire mijoter avec un mélange de petits légumes – carottes, oignons, pommes de terre… Il réalise ensuite un roux, un mélange de beurre et de farine, auquel il ajoute des jaunes d’oeufs pour obtenir une sauce nappante. Au XXe siècle, Madame E. Saint-Ange, qui règne sur la cuisine bourgeoise, s’empare de la recette. L’autrice du fameux ouvrage de recettes La bonne cuisine : recettes et méthodes de la bonne cuisine française (1927), décide d’ajouter de la crème au roux, sublimant ainsi le plat jusqu’alors très rustique. Il faudra attendre 1939 et la Première Guerre mondiale pour que la blanquette de veau, accompagné­e de riz cette fois, devienne enfin un plat principal, régnant sur les déjeuners dominicaux. Le plat mythique devient tout un symbole et ces évolutions techniques lui apportent un statut social et gastronomi­que dont la portée n’aurait pu être imaginée à sa naissance. Il tient le haut de l’affiche dans la littératur­e policière : le commissair­e Maigret, héros imaginé par Georges Simenon, se régale de celui de son épouse et le commissair­e San Antonio de Frédéric Dard vénère celui de sa mère. Aujourd’hui, ses adorateurs se disputent gentiment sur la qualité des morceaux de viande, certains visant à alléger la recette alors que les puristes soutiennen­t collier, flanchet et tendron, certes un peu gras mais tellement plus goûteux dans cette recette que la noix ou l’épaule. Dans tous les cas, la recette est désormais bien ancrée dans notre patrimoine et fait partie des symboles de notre gastronomi­e en mettant en avant le goût et la générosité.

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