Cette condition si humaine
Nous sommes tous des êtres changeants (physiquement, émotionnellement, mentalement), dans un monde qui change lui aussi en permanence. La stabilité, qu'elle soit celle des atomes de la galaxie, des montagnes ou de nous-mêmes, n'est qu'une illusion.
DANS une chenille demande à Alice : « qui es-tu ? », ce à quoi la petite fille répond : « je ne sais pas très bien, madame, du moins pour l'instant… je sais qui j'étais quand je me suis levée ce matin, mais je crois qu'on a dû me changer plusieurs fois depuis ce moment-là ». Dans ces mots, Lewis Carroll capture un fait extraordinaire : lorsque nous nous réveillons chaque matin, nous reprenons conscience, mais que récupérons-nous exactement ? Comment le cerveau créet-il la sensation de permanence du soi ? Comment peut-on avoir ce point de référence jour après jour, cette stabilité nécessaire au maintien de la continuité du soi ?
Héraclite d’éphèse
La notion d'impermanence se trouve à la base de la doctrine bouddhiste selon laquelle la stabilité, qu'elle soit celle des atomes de la galaxie, des montagnes ou de nousmêmes, n'est qu'une illusion. Cette notion d'illusion est héritée du concept d'« illusion cosmique » (mãyã) dont fait grand usage la littérature philosophique de l'inde ancienne. Le bouddhisme a été ensuite le premier à l'utiliser systématiquement pour dévoiler la vacuité qui se cache derrière la prétendue réalité de notre expérience du monde.
Alors qu'elle est inhérente à la condition humaine, l'impermanence (anitya) est considérée dans le bouddhisme comme une source de souffrance et ce en raison de l'attachement humain. Face à l'éphémère de l'existence, nous avons tendance à vouloir maîtriser et retenir les choses. On aimerait tous plus ou moins avoir un peu plus de contrôle sur notre vie personnelle et sur les événements qui nous échappent. Quand nous vivons un moment agréable, nous avons peur de le voir disparaître et quand ce moment est passé, nous regrettons sa disparition, du fait de nous y être attachés. Quand nous vivons un événement désagréable, nous sommes en colère et pensons que nous ne nous en sortirons pas. Nous nous rassurons en faisant des plans, en réservant nos vacances, en établissant des plans de carrière, en programmant la scolarité de nos enfants.
« L’on ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve »
Pour le bouddhisme, cela montre notre incapacité à comprendre que le changement et le mouvement sont à la racine même de toute réalité. Toute tentative d'immobiliser le flux de l'existence et de capturer ce à quoi nous sommes attachés se trouve donc inéluctablement vouée à l'échec et ne fait que créer davantage de souffrance. Le désir de permanence trouble notre vision et cache la réalité fluide des choses.