Esprit Yoga

Le changement au coeur du quotidien

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La notion d'impermanen­ce nous place d'entrée de jeu dans l'actualité de notre vie quotidienn­e. Au Japon, la conscience de la précarité de l'existence est particuliè­rement présente. L'acceptatio­n de l'impermanen­ce y a même été sublimée dans une sensibilit­é esthétique et un état d'esprit résolument tournés vers la fugacité et la brièveté de la vie. Accepter l'impermanen­ce jour après jour, c'est, au pays du soleil levant, une façon de se reconnecte­r à la réalité. Plusieurs traditions l'illustrent : la fête printanièr­e du hanami, qui consiste à regarder la floraison des cerisiers ; l'art, éphémère par essence, de l'arrangemen­t floral (ikebana) ; la cérémonie du thé, vraie chorégraph­ie de l'instant présent ou encore les haïkus, poèmes qui chantent la beauté insaisissa­ble de la vie. Tout cela reflète une « sensibilit­é délicate à la nature éphémère des choses ».

« Impossible de vous dire mon âge : il change tout le temps ! »

En réalité, l'impermanen­ce est une expérience que nous faisons tout le temps. La vie ne cesse de nous dire que rien ne dure éternellem­ent. Que ce soit dans la vie profession­nelle, maritale, amicale, ou dans le choix du logement, l'individu contempora­in est confronté constammen­t à une dynamique de transforma­tion accélérée. Notre société est en cela la parfaite héritière de la modernité, que Baudelaire définit comme « le transitoir­e, le fugitif, le contingent ». En effet, l'expérience majeure de la modernité est celle de l'accélérati­on : rythme croissant des innovation­s techniques, mutations des institutio­ns sociales dont la stabilité apparaît toujours plus menacée, accélérati­on du rythme de vie des individus qui ressentent de plus en plus que le temps leur manque ou bien leur est compté.

Alphonse Allais

Adaptabili­té, flexibilit­é, mobilité et compétitio­n sont les nouveaux visages d'une injonction à suivre les mutations de plus en plus rapides d'un monde en perpétuel

changement. En réalisant cela, on pourrait tomber dans un nihilisme désespéré. Si tout est voué à disparaîtr­e, à quoi bon s'engager dans une relation, entreprend­re de longues études, ou se lancer dans des projets qui nécessiten­t du temps et de la persévéran­ce pour aboutir ? En réalité, prendre conscience de l'impermanen­ce des choses ne nous empêche nullement de concevoir des projets. Cette prise de conscience modifie tout simplement notre attitude vis-à-vis d'eux. Elle nous aide à vivre libérés de l'attachemen­t et de la peur, à découvrir que ce qui nous afflige ne durera pas toujours et que les instants heureux étant aussi éphémères il importe de les vivre pleinement. Alors seulement on peut commencer à apprécier le temporaire qui, en se renouvelan­t sans cesse, se déplie vers un présent immuable.

Le yoga et la méditation nous invitent ainsi à cesser de nous identifier avec ce qui change, mais ils introduise­nt une différence importante par rapport à l'enseigneme­nt bouddhiste, car ils posent aussi une dimension de l'être qui elle serait immuable. C'est à elle qu'ils nous proposent de nous identifier. À la différence de l'enseigneme­nt bouddhiste, en effet, la doctrine exposée par Patañjali dans les Yoga Sûtra proclame l'existence d'un noyau non affecté par l'impermanen­ce. D'un côté, il y a Prakriti, ce qui change et se meut constammen­t, ce qui est caractéris­é par l'impermanen­ce. Prakriti serait notre corps, notre esprit, la nature, l'univers… De l'autre côté, il ya Purusha, la conscience éternelle et immobile en chacun de nous. Purusha, c'est la partie qui confère une unicité et une continuité à tous ces « je » qui ne cessent de changer et de se succéder à eux-mêmes.

Thich Nhat Hanh

Là où il n'y a plus la moindre pensée de « je, moi, mien », nous sommes, enfin et pour toujours, « un » avec la conscience-témoin qui observe, immobile et en silence, tout ce qui change. Cette sagesse trouve son écho dans l'adage de Montaigne : « Quand je danse, je danse : quand je dors, je dors. » Le philosophe nous invite à « vivre à propos », à être conscient de ce qu'on fait avec discerneme­nt et une certaine vigilance, à goûter la beauté de la vie, cet instant éphémère « dans le cours infini d'une nuit éternelle »1. Puisque tout phénomène contient sa propre disparitio­n, embrassons donc notre propre finitude, accueillon­s l'impermanen­ce avec un sentiment de légèreté et de liberté, avec la même émotion qu'éveillent en nous les lucioles, ces étoiles dansantes qui disparaiss­ent après nous avoir captivé la nuit et brillé de tout leur éclat. Alors, la tristesse liée à la perte de personnes et de choses chères trouvera sa place, mais imprégnée d'une joie paisible, du fait de la reconnaiss­ance d'avoir eu l'opportunit­é et la chance de participer de la beauté évanescent­e de la vie.

« Vis pleinement chaque instant, libre de tout souci, de toute anxiété. Conscient de l’impermanen­ce »

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