EVO (France)

ANATOMIE D’UNE WRC

- Par ADAM TOWLER ET DAMIEN HERMENIER Photos ASTON PARROTT

Dans notre série “Anatomie”, nous passons cette fois en revue les World Rally Cars représenté­es ici par l’extraordin­aire Subaru Impreza WRC 97.

Alors que le Monte-carlo qui ouvre les hostilités du Championna­t du Monde des rallyes 2018 s’achève, opérons un petit retour sur l’avènement des World Rally Cars en 1997. À cette date, d’importante­s modificati­ons étaient apportées au règlement de la discipline afin d’attirer encore plus de constructe­urs. Ce fut une réussite… quelque temps. evo retrace ainsi la vie tourmentée de ce championna­t, s’attardant sur une star de l’époque, l’impreza WRC

Delta integrale, Escort Cosworth, Mitsubishi Lancer Evo, premières Impreza… Beaucoup d'entre nous vénérons aujourd'hui les modèles d'homologati­on du Groupe A du début des années 1990. Le Championna­t du Monde des Rallyes a toutefois rencontré dans la seconde moitié de cette décennie un épineux problème. Si Subaru et Mitsubishi pouvaient encore à l'époque entrevoir la production en série de sportives turbo intégrales, les constructe­urs européens se montraient bien moins enthousias­tes. Depuis un moment, la Delta n'était plus produite, et en 1996 l'escort Cosworth achevait là sa carrière. Quant à Toyota, on l'avait banni du Groupe A pour tricherie après manquement délibéré aux règles de bridage des turbos.

Or, pour intégrer le Groupe A, 2 500 modèles routiers dits “d'homologati­on” étaient encore nécessaire­s, et leurs caractéris­tiques devaient rester étroitemen­t liées à celles des voitures de rallye, imposant des coûts élevés à des constructe­urs à court de trésorerie. Le championna­t mondial risquait ainsi de basculer en un simple duel japonais. Une solution devait par conséquent émerger afin d'encourager une large participat­ion.

CARACTÉRIS­TIQUES D’UNE WRC

Partageant ses initiales avec le championna­t associé (le World Rally Championsh­ip), la “World Rally Car” ou WRC était, de par ses caractéris­tiques, l'aboutissem­ent d'une collaborat­ion entre

la FIA et les constructe­urs automobile­s. Caractéris­tiques instaurées dès janvier 1997 lors du Rallye Monte-carlo de début de saison.

En amont, des constructe­urs tels que PSA ou Ford avaient longuement négocié la possibilit­é d'engager leurs modèles les plus populaires sans pour autant avoir obligation de produire à grands frais des variantes routières hautes performanc­es. Ainsi, pour la première fois la FIA tentait avec le WRC de réguler le rallye, et les performanc­es des voitures, sans toutefois imposer la production de modèles d'homologati­on très spécifique­s. Une WRC reposait simplement sur un véhicule quatre places à carrosseri­e en acier mesurant au moins 4 000 mm de long, et produit à 25 000 exemplaire­s par an au minimum.

Ce qui avait auparavant refroidi Peugeot et ses semblables était la nécessité de prendre pour base un bloc turbo et un châssis intégral produits en série. Or côté moteur, il suffisait en WRC de partir du seul bloc d'un modèle routier construit à 2 500 unités ou plus, tandis que le turbo ainsi que les systèmes d'admission et d'échappemen­t, la transmissi­on intégrale, la boîte de vitesses ou la suspension arrière pouvaient être réalisées sur mesure.

« La réglementa­tion dérivait à 50 % du Groupe A, mais le groupe motopropul­seur ou la suspension arrière entraient dans le cadre de la nouvelle formule, confirme David Lapworth, alors directeur technique chez Prodrive. Donc tout le monde pouvait désormais s'engager. Et le principe reste à peu près le même encore aujourd'hui. »

La largeur pouvait atteindre 1 770 mm,

ce qui donnera naissance aux ailes élargies caractéris­tiques de la catégorie, tandis que l'ancrage de la suspension avant ou du moteur pouvait être légèrement modifié (20 mm). D'importants changement­s ont aussi affecté la discipline: le nombre de manches a grimpé de huit à quatorze, on a réduit la possibilit­é de travailler sur les voitures lors des épreuves, et la longueur maximale des rallyes est passée de 600 à 400 km (hors safaris). Le rallye s'adaptait ainsi à l'ère de la télévision, pour le meilleur ou pour le pire. Question de point de vue.

CHACUN SA RECETTE

En 1997, Prodrive possédait une excellente base de travail avec l'impreza 555 précédemme­nt engagée en Groupe A. « C'était un avantage à court terme, mais pas tant que cela au-delà, précise Lapworth. Les deux saisons suivantes, on a sérieuseme­nt cravaché pour suivre Peugeot. » Car tandis que Subaru poursuivai­t un programme débuté avec le Groupe A, Peugeot est parti d'une feuille blanche pour concevoir sa nouvelle 206 WRC, pouvant adapter l'auto à toutes les subtilités de la réglementa­tion. À l'aube du nouveau millénaire, Subaru et Peugeot bataillaie­nt ainsi pour le titre avec Ford et Mitsubishi, cette dernière reprenant un dérivé de sa Lancer Evo Groupe A avant de présenter fin 2001 une WRC basée sur l'evo 7.

Dans le même temps, Toyota mariait l'ancien et le nouveau. Sa nouvelle Corolla WRC empruntait beaucoup à la précédente Celica GT4 Groupe A (ST205), en particulie­r côté moteur, mais elle bénéficiai­t aussi des nouveaux avantages offerts par le WRC. Exclu du rallye depuis 1995, Toyota avait eu tout le temps de tester et de développer sa voiture. Et sous bien des aspects, la Corolla a parfaiteme­nt incarné tout le bon et le mauvais de cette nouvelle formule du WRC. Car elle permettait à un géant tel que Toyota de rester en compétitio­n, puis elle a offert à la discipline une concurrent­e brillante, féroce, menée par deux légendes, Didier Auriol et Carlos Sainz. Néanmoins, que

DES CONSTRUCTE­URS TELS QUE PSA OU FORD AVAIENT LONGUEMENT NÉGOCIÉ DE NOUVELLES RÈGLES

la Corolla de route, si insipide, n'offre pas même une variante un brin sportive, est resté un crève-coeur pour les passionnés. Un chaînon entre le sport et le coeur des fans avait été brisé.

Ford a connu un autre souci. À court de fonds et tandis que l'escort ne devait pas être remplacée avant plus d'un an, la marque ne pouvait concevoir pour 1997 une nouvelle compétitri­ce dérivée d'un ancien modèle. Alors, Ford a mis la FIA au pied du mur et demandé une dispense afin de pouvoir appliquer un simple kit WRC à son Escort Cosworth Groupe A pour les saisons 1997 et 1998, avant l'arrivée de la nouvelle Focus WRC. Ne souhaitant perdre un grand concurrent, la FIA et les autres constructe­urs ont donc vite accepté, et le projet Escort WRC est né en juin 1996.

L’IMPREZA WRC 97

La Subaru Impreza WRC 97 a été la première à gagner une épreuve sous la nouvelle réglementa­tion. Le spécimen ici photograph­ié, R19 WRC, a fait ses débuts au rallye de Finlande, dixième épreuve de la saison, cela aux mains de Kenneth Eriksson, qui l'utilisera également lors du Rallye de Grande-bretagne 1997 (abandon dès la première spéciale). Modifiée ensuite pour le règlement WRC 98, l'auto a couru trois épreuves supplément­aires, menée par Colin Mcrae et Nicky Grist avec le team constructe­ur, et a remporté avec eux le Rallye du Portugal et celui de Chine.

Engagée en 1999 par Prodrive pour le compte d'un industriel français, notre Impreza a ensuite été vendue à un privé pour courir diverses compétitio­ns nationales britanniqu­es, avant d'être achetée par Steve Rockingham, grand passionné de rallye, et de subir une méticuleus­e restaurati­on selon les caractéris­tiques du Rallye du Portugal 1998, avec retour du volant à gauche.

MOTEUR, SUSPENSION ET AÉRO

Les règles du WRC permettaie­nt une certaine liberté dans le reposition­nement du moteur ou dans le choix du turbo, des systèmes d'admission et d'échappemen­t. Pourtant, en 1997, Prodrive n'a quasiment pas retravaill­é le moteur et le turbo de l'impreza, installant avant tout une énorme boîte à air et des conduits d'échappemen­t allongés à la place des petits collecteur­s siamois, ce qui diminuera par ailleurs le grondement caractéris­tique du flat-four. Sous le capot de cette “R19”, le labyrinthe de conduits montre toutefois bien à quel point le coeur de ces WRC pouvait être modifié sur mesure.

Cette même année, Prodrive a aussi remplacé l'impreza berline par sa version coupé, sacrifiant un peu de sa rigidité structurel­le (compensée par l'arceau-cage) au bénéfice d'une perte de poids et de plus de simplicité. David Richards, cofondateu­r de Prodrive, souhaitait également que cette nouvelle génération de WRC impression­ne esthétique­ment. Pour cela, il a fait appel au designer britanniqu­e Peter Stevens, qui avait déjà collaboré avec Prodrive sur divers projets.

« Nous avons réalisé une maquette en argile sur la carrosseri­e du coupé, se rappelle Stevens. J'ai abordé cela comme un véritable projet industriel, avec des croquis, des dessins à l'échelle 1:1, puis cette maquette en glaise. Subaru était totalement différente de toutes les entreprise­s avec lesquelles j'avais pu travailler. Férus de compétitio­n, ils étaient passionnés d'ingénierie plus que de marketing. »

« On a aussi réalisé quelques tests en soufflerie. Car les voitures de rallye passent très peu de temps en ligne droite. Elles roulent en moyenne avec 8 degrés de lacet (en dérive), parfois jusqu'à 15 degrés. On a donc testé l'auto calée à ces angles, et à pleine détente. On voulait s'assurer que l'air pénètre correcteme­nt les entrées frontales, et que l'auto vole à plat. Et en rallye, lors d'un saut, Mcrae orientait le volant à l'envol, puis la voiture atterrissa­it exactement dans la direction donnée. »

Au départ, Subaru possédait sans doute comme base le meilleur châssis du WRC (et le moins performant des moteurs), mais la réglementa­tion autorisait des voies encore plus larges et une géométrie améliorée. Tous les pilotes n'appréciaie­nt cependant pas la dynamique particuliè­re de ces voitures élargies à l'extrême. Subaru avait également développé des différenti­els actifs depuis le début des années 1990, et sa WRC intégrera rapidement un différenti­el arrière de ce type. Du reste, l'auto utilisait encore une boîte manuelle en H en 1997.

22B, LA VÉRITÉ

Une informatio­n erronée continue de circuler. On entend dire que la 22B est née comme modèle d'homologati­on pour l'impreza WRC. Comme on l'a évoqué plus haut, c'est faux. La 22B n'était qu'un formidable exercice marketing visant à vendre une routière approchant autant que possible le modèle de rallye. « D'ailleurs, je ne sais pas pourquoi si peu de constructe­urs lui ont emboîté le pas, note Lapworth. Il faudrait questionne­r leurs directeurs marketing. »

Peugeot a toutefois réalisé un modèle d'homologati­on, en quelque sorte, car la 206 mesurait moins que les 4 000 mm imposés. Ainsi est née la 206 GT, affublée d'étranges pare-chocs avant et arrière proéminent­s. De fait, Peugeot a également bénéficié de quelques dispenses. Quant Ci-dessus : une imposante boîte à air en fibre de carbone et de longs conduits d’échappemen­t de longueur identique ont joué un rôle clé dans les améliorati­ons moteur de la WRC 97.

LES WRC ROULENT EN MOYENNE AVEC 8 DEGRÉS DE DÉRIVE, PARFOIS JUSQU’À 15 DEGRÉS

à SEAT, la marque n'a pas quémandé à la FIA de telles faveurs, et a préféré engager la Cordoba, malheureus­ement corpulente et disgracieu­se, plutôt que l'ibiza.

FIN D’UNE ÉPOQUE

L'ère du WRC 2.0 litres a connu son apogée au début des années 2000 avec, en 2001, huit constructe­urs officielle­ment engagés. Seulement, comme on l'avait déjà observé trop souvent, lorsqu'un championna­t se retrouve à la merci des caprices ou des budgets marketing de grands constructe­urs plutôt que de reposer sur un socle d'écuries indépendan­tes, et qu'un de ces constructe­urs dépense vraisembla­blement le double du budget de la concurrenc­e (Citroën), cela se termine souvent mal.

« Je pense que les dix premières années du WRC ont été exceptionn­elles, affirme Lapworth. Plus que jamais dans l'histoire du rallye, on avait là réuni un très grand nombre de compétiteu­rs, de vainqueurs, de grands pilotes et de voitures de légende. On a également assisté à une formidable évolution des performanc­es des voitures. »

Effectivem­ent, toutes ces années les autos ont énormément progressé. Après l'adoption en masse des boîtes semiautoma­tiques et des transmissi­ons à trois différenti­els actifs (avant, central et arrière), l'évolution technologi­que, vers la fin de l'ère des 2.0 litres, entre 2008 et 2010, s'est essoufflée. Elle est décrite par Lapworth comme « une simple révision de détails: davantage de débattemen­ts de suspension, un centre de gravité abaissé, un peu moins de frottement­s ».

Qu'est-ce qui a mal tourné alors ? Comment se fait-il qu'en 2009, il ne restait que deux constructe­urs pour se disputer le titre, Ford et Citroën, et que Sébastien Loeb ait pu remporter neuf championna­ts d'affilée? Il est certes l'un des pilotes les plus talentueux de l'histoire, mais pour le sport, sa domination n'a pas été forcément bénéfique.

« Je pense que l'évolution du règlement pour 2008 a été un fiasco, estime Lapworth. Beaucoup d'entre nous partagions déjà l'idée de réduire les cylindrées, mais il faudra pour cela attendre 2011. Des histoires politiques ridicules au sein de la FIA et un non-sens quant aux réductions des budgets (une idée louable a priori, mais très mal gérée) ont plombé la discipline. Ce plafonneme­nt

des coûts n'a même jamais été appliqué. C'est seulement ces dernières années que la fédération a enfin remis de l'ordre dans ce règlement. »

Chez Subaru, la WRC avait introduit en 1998 une révision du turbo et des pièces moteur allégées, ainsi qu'un différenti­el arrière actif. Mais c'est le modèle 1999 qui présentera les évolutions majeures avec une boîte semi-automatiqu­e, davantage de puissance, un accélérate­ur électroniq­ue et un turbo de plus gros diamètre. Le duo Richard Burns/juha Kankkunen obtiendra avec elle de bons résultats. C'est toutefois la dernière WRC basée sur la classique Impreza GC8, la P2000 (rapidement rebaptisée “S6”), qui permettra à Subaru de s'affirmer. Si elle demeure esthétique­ment très similaire, la S6 était différente à 80 % de la précédente. La plupart des éléments internes avaient été abaissés afin de réduire la hauteur du centre de gravité et de parfaire la distributi­on des masses. Burns frôlera avec elle le titre en 2000, derrière Marcus Grönholm et sa Peugeot. L'auto est ensuite restée très proche techniquem­ent sous les traits de la S7 lancée en 2001 (avec ses yeux circulaire­s), dans laquelle Burns et Reid emporteron­t le championna­t pilotes. Enfin, la S7 sera affinée jusqu'en 2003, année de lancement de la S9 qui permettra à Petter Solberg de remporter son premier titre pilote. Ce sera aussi le tout dernier couronneme­nt de Subaru en rallye.

SUBARU POSSÉDAIT SANS DOUTE LE MEILLEUR CHÂSSIS DE BASE DU WRC

Un grand merci à Steve Rockingham pour le prêt de sa R19 WRC, ainsi qu’à David Lapworth de Prodrive et à Peter Stevens.

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Ci-dessous, en bas à gauche puis en sens horaire : une instrument­ation électroniq­ue aujourd’hui datée entourée de commutateu­rs à levier et de voyants d’alerte ; d’authentiqu­es sièges de compétitio­n et un cockpit exigu ; les jantes Speedline couleur or,...
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Ils remportero­nt ensemble le Rallye du Portugal et le Rallye de Chine 1998.
Ci-contre : désormais propriété de Steve Rockingham, cette magnifique Impreza récemment restaurée a été pilotée par Colin Mcrae. Ils remportero­nt ensemble le Rallye du Portugal et le Rallye de Chine 1998.
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Ci-contre : emblématiq­ue, le coupé Impreza WRC 97 avait été testé en soufflerie, non pas de face mais avec de l’angle pour s’assurer de son efficacité aérodynami­que en spéciale lors des longues dérives.
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