GÉNÉRATION NSX
Nous avons réuni les deux générations de NSX pour une étude en paternité pointue. Et pour cela, nous avons pris la direction du Japon et plus précisément de Tokyo pour dire enfin si la nouvelle NSX possède encore quelques gènes de son aïeule!
La Honda NSX actuelle s’impose comme une machine brillante. Mais ses origines américaines l’empêchent-elle de dégager l’aura légendaire de son ancêtre? Pour le savoir, un comparatif avec la première NSX dans Tokyo et ses alentours devrait apporter la réponse.
Pendant un instant, j'ai l'impression d'avoir à nouveau 14 ans : je regarde les feux arrière trapézoïdaux d'une Honda NSX. Six petites ampoules illuminées derrière une grosse bande de polycarbonate rouge, secondées par un trait horizontal de LED à chaque freinage. Je peux presque isoler le grondement émanant de sa double sortie d'échappement du reste des bruits mécaniques de notre cortège renvoyés par les longs murs de chaque tunnel du réseau routier tokyoïte. La résonance disparaît dès que nous sortons de ces tunnels et passons devant des immeubles monolithiques constellés de petites lumières provenant des appartements occupés. Nous traversons ensuite un pont à la structure métallique, au milieu de gratte-ciel, tandis qu'une grande roue éclaire l'horizon. Le jour se couche définitivement. Dans ma tête, il s'agit du décor du jeu Gran Turismo reproduit en 3D avec une parfaite fidélité. Un décor qui me rappelle toutes ces soirées où, manette Playstation en mains, mon frère et moi nous opposions dans des courses à n'en plus finir. Je me souviens avoir souvent perdu…
À cet instant précis, installé aux commandes de la nouvelle NSX, je possède un énorme avantage de puissance. Mais j'ignore totalement où je vais. Je ne comprends pas un seul caractère sur le gros écran de la navigation GPS, et sa petite voix très typée “manga” me donne des instructions absolument impossibles à déchiffrer. « Massugu itte, shingôde hidari ni magatte kudasai ». OK. Arigato gozaimasu, je vais me contenter de suivre l'autre voiture. Dans un autre contexte, les 580 ch de ma monture m'auraient permis de laisser tout le monde sur place d'une simple pression sur la pédale de droite.
Voilà les fruits de deux décennies et demie de progrès technologique. La nouvelle NSX fait véritablement partie des supercars de la génération actuelle, malgré son blason moins
prestigieux que celui de ses rivales. Son prédécesseur, lui, ne visait pas aussi haut dans la hiérarchie des sportives. Ce qui ne l'empêchait pourtant pas de glisser un peu de wasabi dans l'assiette des meilleurs constructeurs du monde à l'époque. Les Porsche 964 et autres Ferrari 348 s'apprécient aujourd'hui comme de savoureuses sportives dans l'histoire de leurs marques respectives, mais l'arrivée du moteur VTEC tout alu de la première NSX les avait renvoyées au rang de machines anachroniques et peu sophistiquées. Des reliques d'un temps où l'on acceptait plus facilement quelques défauts de conception en échange de leurs performances ou de leur blason.
La première NSX comptait sur un châssis ultraléger, compact et très soigné. Elle se conduisait aussi simplement qu'une Civic de la même époque dans la vie de tous les jours. Même aujourd'hui sa direction paraît toujours légère, seulement un peu moins directe et facile que sur les machines actuelles. Sa visibilité périphérique impressionne encore, tout comme sa faible largeur comparée aux sportives de maintenant. L'instrumentation analogique claire, les sièges confortables et l'accès facile à l'habitacle en font une auto parfaite pour jouer les GT polyvalentes.
La NSX actuelle se doit de jouer à un autre niveau pour demeurer compétitive : les 911 Turbo, 488 GTB, R8 et autres 570S savent toutes se montrer polyvalentes en plus de développer des performances hallucinantes. À l'époque de la première NSX en 1990, aucune sportive de ce genre ne pouvait en dire autant. À leur façon, Ferrari, Porsche et les autres ont donc appris de cette NSX pour mettre au point des autos plus faciles à vivre, sans sacrifier à l'authenticité ni au pedigree de leurs ancêtres.
Et pour concurrencer les dernières nouveautés de ces marques de référence, Honda a donc choisi de se différencier des sportives à motorisation classique. La signification originelle de son nom NSX (New Sportscar experimental) semble particulièrement appropriée pour désigner une auto dotée d'un groupe motopropulseur comprenant un V6 biturbo, trois moteurs électriques, une transmission intégrale avec
LA NOUVELLE NSX ÉVOLUE SANS À-COUPS TOUT EN DOUCEUR, SANS SE MONTRER AUSSI COOL QUE L’ICÔNE DES ANNÉES 90 DEVANT ELLE
fonction torque vectoring et une boîte de vitesses double embrayage à neuf rapports. Beaucoup de puissance, beaucoup de couple et un haut degré de sophistication. Avec un intérieur fidèle à la simplicité originelle de la première NSX, simplement adapté à la technologie contemporaine. Dans les rues souvent étroites de Tokyo, cette NSX des temps modernes évolue avec encore plus de facilité qu'une 911.
Mais la nouvelle NSX cache un terrible secret. Un secret délicat à avouer devant des passionnés bercés par Gran Turismo ou Tokyo Drift : il s'agit désormais d'une voiture américaine, et non plus japonaise. On doit ses lignes à Michelle Christensen et son développement technique à Ted Klaus, deux sujets américains. Après un premier concept car en 2012 au Salon de Detroit, la NSX de série fut présentée au même endroit en 2015. Et elle est construite à Marysville dans l'ohio, alors que la première NSX s'assemblait à Tochigi, au Japon. Au vu des réactions lors de nos passages dans Tokyo, les Japonais ne semblent pas spécialement outrés par cette délocalisation. Posée juste devant le siège central de Toyota près de la rivière Kanda, la nouvelle NSX attire autant les regards que son ancêtre. Un homme d'affaires en costume marron sur mesure s'arrête pour complimenter les deux autos dans un anglais approximatif. Je lui demande laquelle il préfère, et il pointe du doigt la rouge.
Blake Jones, propriétaire de l'ancienne NSX vert Brooklands ici présente et rédacteur pour le site Speedhunters, ne tarit pas non plus d'éloges en parlant de la nouvelle mouture. En nous garant peu après l'un des nombreux péages de Tokyo (où les opérateurs n'ont pas manqué de saluer le passage de nos autos), il m'explique qu'elle paraît magnifique depuis son rétroviseur central. Il semble sous le charme mais sans doute pas autant que moi en observant sa vieille machine depuis “ma” NSX. Du moins, j'imagine.
Malgré une gestation particulièrement longue et de nombreux concept cars au style très proche présentés au cours des cinq dernières années, la NSX fait toujours de l'effet par une matinée ensoleillée d'autonome à Tokyo. Sans doute grâce à son Rouge Valencia pimpant, ou ses petites plaques d'immatriculation japonaises qui rendent plus désirables toutes les autos ici, de la petite Honda Jazz jusqu'à l'horrible Toyota Prius. Comme l'ancienne, la nouvelle NSX paraît étonnamment compacte en vrai. Elle affiche une ceinture de caisse très haute, et les proportions d'une authentique supercar. Y compris dans le
COMME L’ORIGINALE, LA NOUVELLE NSX PARAÎT DRÔLEMENT COMPACTE, ELLE AFFICHE MALGRÉ TOUT DES PROPORTIONS D’AUTHENTIQUE SUPERCAR
détail, des optiques LED très étudiées en passant par son V6 visible sous la vitre du capot arrière, et du style des rétroviseurs jusqu'au dessin des ailes arrière.
Nous reprenons la route avec Blake jusqu'au Garage Advance, l'un des milliers de spécialistes de la préparation automobile installés au Japon. Advance se spécialise dans les travaux sur la base de la première NSX, et produit des machines capables de boucler un tour du circuit de Tsukuba en moins d'une minute (très peu pour des autos homologuées route). Nous n'allons probablement pas là par hasard, puisque Blake compte installer une boîte manuelle sur sa NSX automatique dans un avenir proche.
Il reste un peu d'autoroute à parcourir avant cela, et l'expérience ne m'emballe pas vraiment au volant de la nouvelle NSX. Au rythme périurbain, le V6 ne se réveille que par moments et l'auto économise du carburant par tous les moyens. Rien de choquant dans un pays où même les autos les moins chères embarquent une technologie d'hybridation légère, et qui est dépourvu de la moindre voiture diesel. Mais le dernier V6 Honda délivre une sonorité moins intense qu'avant. À bas régime, il se montre même laid à écouter, comme souvent avec ces motorisations hybrides. Blake m'emmène ensuite sur une portion de route plus intéressante pour pousser un peu la mécanique. Et Dieu merci, on y roule souvent bien plus vite que sur la plupart des routes de Tokyo. L'asphalte parfait et les virages façon banking incitent à hausser sérieusement le rythme. L'écran TFT affiche des chiffres généreux et des régimes moteurs plus élevés. La NSX paraît enfin joyeuse. Elle sonne presque comme une supercar, laisse échapper des bruits de turbo à pleine charge ou au lever de pied. Elle ne se débarrasse pas pour autant de sa douceur latente, ni ne se montre aussi cool que l'icône des années 90 évoluant devant mes roues.
Au loin, je remarque quelques autos intéressantes sur le parking du garage Advance. Une Mazda RX-7 de troisième génération à la présentation largement personnalisée, une Nissan Silvia S15 et, près du trottoir, la préparation la plus fameuse de la maison : sa NSX “Flatout” jaune de démonstration. Le garage la possède depuis 1997, et elle servait initialement à développer de nouvelles pièces. Elle arbore des optiques plus récentes, un kit carrosserie très large et des jantes Rays à déport. La vitre plexiglas arrière laisse entrevoir six belles trompettes d'admission au-dessus du V6 atmosphérique développant dans les 350 ch. Avant même que j'arrête ma
NSX, le propriétaire Masa marche vers moi avec un large sourire et me demande de me garer devant l'entrée principale. Je remarque pas moins de trois NSX dans ce grand garage (grand au standard japonais). Un exemplaire gris arborant lui aussi un kit large et un généreux diffuseur arrière, et deux autres montures moins lourdement modifiées. Sur le côté, une Skyline R34 bleue attend de recevoir ses freins de GT-R R35. À quelques mètres, une Subaru Legacy et une Nissan 370Z possèdent un arceau cage et des panneaux de carrosserie en carbone. Les clients d'advance utilisent généralement leur voiture sur circuit, et je remarque des stickers “Fuji Speedway” sur certaines des autos.
Masa me demande si son mécanicien peut essayer la nouvelle NSX. Ces gens sont coutumiers des freins à main mécaniques et des boîtes manuelles, alors je prends le temps d'expliquer le fonctionnement de la commande de boîte circulaire marquée “D/M” et du bouton de frein à main juste derrière. Puis le mécanicien se met silencieusement en marche, probablement à la surprise générale des voisins du garage Advance. Au tour de Masa ensuite. « Que c'est rapide ! », s'exclameront-ils à leur retour en arborant un superbe sourire. Masa m'explique que l'un de ses clients possède une nouvelle NSX, sans avoir pu la conduire pour l'instant. En soulevant le capot avant, Masa observe la jungle bourrée de fils et autres tuyaux (presque comme sur l'ancienne NSX). Il remarque le petit coffre arrière en soulevant le capot moteur, et converse gaiement avec les autres de cette nouveauté très attendue ici.
Mais s'agit-il d'une vraie NSX ? Masa et les autres en doutent. Avec beaucoup d'humour et une pointe d'exaspération, Masa explique qu'elle ne ressemble pas tant que ça à l'ancienne voiture. Ni en la conduisant, encore moins dans sa philosophie générale. « Elle fait américaine », trouve-t-il. Pas besoin de pousser le moteur haut dans les tours, le couple gargantuesque à bas régime (merci l'électrique) ressemble furieusement à un trait de caractère américain. Elle lui paraît aussi trop puissante pour les routes japonaises. Sans doute une qualité pour le circuit, admet-il, mais moins pour arriver à exploiter l'auto à 100 % dans toutes les conditions.
Blake abonde : « Pour le prix de ma NSX,
je pourrais acheter une R35 d'occasion. Mais cela ne m'intéresse pas ». Tout le monde ici, y compris moi, préfère les performances plus accessibles mais aussi plus engageantes de la première génération. Un mot revient souvent dans notre conversation, et je ne le comprends que trop bien : “digital”. À l'époque, la première NSX pouvait sans doute paraître fade à côté de ses concurrentes de chez Ferrari ou Porsche. Mais dans le monde d'aujourd'hui et malgré une direction assez peu informative à basse vitesse, l'ancienne NSX reste mille fois plus vivante que le modèle actuel et son approche 100 % digitale, cliniquement parfaite.
À quand une de ces nouvelles NSX modifiées par le garage Advance ? D'autres préparateurs s'y collent déjà, et le V6 biturbo peut certainement sortir plus de puissance sans grosse préparation. Mais Masa remue la tête. Il travaille depuis le milieu des années 90 sur la précédente mouture et pour lui, cette NSX du XXIE siècle passerait pour un intrus dans son garage. Il s'agit assurément d'une supercar remarquable et, comme l'ancienne, d'un joli tour de force technique. Mais plus vraiment d'une NSX.
Blake et moi nous dirigeons enfin vers un parking de la zone de Daikoku-futo pour prendre quelques clichés de plus. Sur le réseau tentaculaire et tournoyant du périphérique tokyoïte, les routes sont baignées d'une lumière orangée. Je me retrouve plus que jamais plongé dans un décor de jeu vidéo. Les panneaux de signalisation, les marquages au sol et les lumières se reflètent sur la peinture de la vieille NSX devant moi à chaque tunnel. Lorsque le premier Gran Turismo est arrivé en 1997, le monde savait bien que seul le Japon pouvait produire un jeu vidéo pareil. Incroyablement détaillé, spécial à tout point de vue, il a réussi à conquérir le monde entier et a influencé toutes les simulations automobiles suivantes. Le dernier opus Gran Turismo Sport récemment sorti sur Playstation 4, lui, offre un raffinement esthétique incomparablement meilleur et se conçoit désormais comme un produit mondial en face de concurrents redoutables. Impossible de ne pas y voir un parallèle évident: comme pour Gran Turismo, les racines japonaises de la NSX commencent à disparaître.