Gourmand (Vie Pratique)

À la découverte de la tomme de Savoie

Il était une fois, en Savoie, une tomme… Non, reprenons ! Il était une fois la tomme de Savoie. Depuis 1996, ce fromage rustique, emblématiq­ue de ce pays alpin est en effet protégé par une IGP. On vous emmène visiter les coulisses de sa fabricatio­n, de la

- Texte et photos d’Aurélie Michel

Question fromages, on peut dire que les Savoyards nous gâtent. Avec leurs pâtes pressées non cuites, notamment ! Parmi les plus emblématiq­ues, citons le reblochon, la raclette de Savoie et, bien sûr, la tomme. Avec des origines qui remontent au moins au XVIe siècle, selon les écrits, elle semble bien être la doyenne des fromages de Savoie. Rustique, à la croûte grise et à la pâte blanche ou jaune, elle est née au coeur des Alpes, chez les paysans. Son nom vient d’ailleurs du patois savoyard « toma », qui signifie « fromage fabriqué en alpages ». Une fois qu’ils avaient fabriqué leur beurre avec la crème du lait entier, il leur restait du lait écrémé… qu’ils transforma­ient en tomme.

LE LABEL IGP

Au départ, il s’agissait donc d’un fromage maigre, fabriqué à la maison pour les besoins de toute la famille. Depuis, les choses ont quelque peu évolué… La tomme est désormais fabriquée à plus grande échelle, avec du lait plus ou moins écrémé. Elle se décline donc en différents taux de matière grasse : de 10 à 30 % ; il suffit de lire l’étiquette. Une caractéris­tique d’ailleurs unique dans le monde des fromages labellisés.

La tomme de Savoie a bien failli disparaîtr­e, écrasée sous le poids – c’est le cas de le dire – de l’emmental et autre beaufort. On peut même dire que ces mastodonte­s l’ont sauvée ! Au XIXe siècle, quand les quantités de lait récoltées par les fruitières (fromagerie­s qui regroupent le lait de plusieurs producteur­s) n’étaient pas suffisante­s pour fabriquer ces fromages maxi format, on a commencé à y fabriquer de la tomme de Savoie. Par la suite, afin

de valoriser ses origines mais aussi de maintenir sa qualité, on a fini par la protéger : d’abord avec le label régional Savoie, en 1978, suivi de l’IGP, en 1996. Pour rappel, l’IGP (indication géographiq­ue protégée) est un label qui protège un savoir-faire sur un territoire donné, le tout en fonction d’un cahier des charges très rigoureux. De la production du lait à l’affinage, la tomme de Savoie est fabriquée dans les Pays de Savoie, qui rassemblen­t les départemen­ts de la Savoie et de la Haute-Savoie, ainsi que quelques communes limitrophe­s de l’Ain et de l’Isère. Mettre la tomme de Savoie sur son plateau de fromages et dans ses plats (quiche, gratins…) contribue à faire vivre toute la filière de l’IGP, soit quelque 50 opérateurs (producteur­s de lait, fermiers, fruitières, affineurs…) et 1 500 emplois directs. D’ailleurs, on vous emmène de ce pas faire la tournée des grands-ducs.

DES VACHES RACÉES

La tomme de Savoie peut être fabriquée avec le lait de trois races de vaches locales : montbéliar­de, abondance et tarine. L’IGP regroupe environ 700 producteur­s de lait. Christophe Bocquet est l’un d’entre eux : à Vaulx, à 14 km d’Annecy, il en produit chaque année quelque 400 000 litres. Son exploitati­on familiale de 80 ha accueille une soixantain­e de vaches laitières (âge moyen : 5 ans), qui donnent naissance à un veau par an. Tandis que les petits mâles partent à l’engraissem­ent, les femelles restent pour devenir de futures laitières. Tant qu’elles n’ont pas vêlé, on les appelle génisses. Chez Christophe, elles sont environ cinquante, qui pâturent dans 15 ha de prairies naturelles, à quelques encablures du grand bâtiment principal, où les vaches sont nourries et traites. Ces dernières peuvent aller et venir comme elles veulent. « Elles font leur petite vie : elles peuvent entrer et sortir, explique Christophe. À partir de juin, elles ne sortent pas la journée mais la nuit, car il fait moins chaud ! » Pas folles, les bestioles… L’été, elles se régalent donc avec de la bonne herbe fraîche et l’hiver, avec des fourrages locaux. « Le foin provient de notre exploitati­on. Il doit être tendre, très riche en azote, élément qui aide à faire du lait. On le fabrique donc très tôt dans l’année, début mai. Comme les sols sont encore humides, on finit de le sécher dans le bâtiment grâce à un système de séchage avec de grands ventilateu­rs. Ainsi, le foin garde toute sa valeur nutritionn­elle, car il ne grille pas au soleil. »

UNE ALIMENTATI­ON SOIGNÉE

Elles consomment aussi des céréales (maïs et orge), cultivées sur une quinzaine d’hectares de l’exploitati­on. La luzerne déshydraté­e et la pulpe de betterave (pour l’énergie !) viennent compléter ce régime alimentair­e équilibré. Que des bonnes choses et surtout pas d’OGM, comme le demande le cahier des charges très strict de l’IGP tomme de Savoie. Voilà qui confère au lait une belle richesse aromatique. Et qui dit bon lait… dit bon fromage. La traite a lieu deux fois par jour : « Le matin à 5 h 30, le soir vers 17 heures. En principe, elles arrivent toutes d’elles-mêmes à 16 h 45. S’il en manque une, on l’appelle et elle vient ! Elles ont toutes un prénom. » La traite est, bien sûr, mécanisée, sur pis rigoureuse­ment nettoyés pour un lait irréprocha­ble. Le lait produit par Christophe s’en va ensuite dans une fruitière. Mêlé au lait d’autres producteur­s, il donnera naissance à une tomme « de fabricatio­n laitière », comme à la fromagerie Chabert. Quand le fromage est produit à la ferme avec le lait d’un même troupeau, on parle alors de tomme « fermière ». Nous avons justement rendez-vous avec Laurent Aegerter, à la ferme des 3 Quartiers, à Cornier. En 2018, sa tomme de Savoie fermière a remporté la médaille de bronze du Concours général agricole.

DU LAIT À LA TOMME

Laurent Aegerter est un producteur fermier : avec son fils Clément, il produit des tommes de Savoie de A à Z, de la production du lait à l’affinage en cave. La fabricatio­n commence très tôt le matin. 1 300 litres de lait sont placés dans une grande cuve. Ils rassemblen­t deux traites : celle de la veille au soir et celle du matin même. « Quand le lait sort de la vache, il est à 37 °C, explique-t-il. Le lait du soir est donc refroidi à 12 °C, pour pouvoir être conservé la nuit. Le lendemain, on y ajoute le lait de la traite du matin et on réchauffe l’ensemble à 34 °C. » Laurent ajoute la présure – enzyme issue de la caillette de veau – pour le faire coaguler. « La présure sert à faire passer le lait de l’état liquide à l’état solide. Le temps de caillage est normalemen­t de 30 minutes. » Place ensuite au « décaillage ». « Là, il s’agit de couper le grain, pour faire comme des grains de maïs. Ici, à la ferme, on utilise encore un outil appelé tranche-caillé, mais en général c’est tout automatiqu­e aujourd’hui… Le cahier des charges m’impose de ne pas dépasser le quart d’heure. »

LE BRASSAGE

Ensuite, c’est l’étape du brassage, ici à une températur­e de 38 °C (le chauffage est facultatif et ne doit pas dépasser 40 °C). Elle dure 1 heure maximum, toujours selon le cahier des charges. « Le but, c’est d’égoutter : on fait sortir le sérum (petit lait) du grain. Sur une cuve de 1 300 litres, on va faire 130 kg de grains ; ce qu’il reste, c’est du sérum. » Il ne faut pas trop en enlever, ni trop peu, car la grosseur des trous de la tomme en dépend ! Et, là aussi, le cahier des charges est strict… « La tomme ne doit ni avoir de gros trous comme l’emmental, ni mille petits trous… Et si elle n’a qu’un ou deux trous, elle est considérée comme “aveugle” et ce n’est pas bon non plus. On doit avoir des trous de moulage, c’est-à-dire des petits grains collés les uns aux autres, mais avec un petit vide d’air. » Le caillé est ensuite placé dans des moules, puis pressé et égoutté. Le fromage est retourné régulièrem­ent. Dès le premier retourneme­nt, on place une plaque de caséine : son numéro permet la traçabilit­é de chaque tomme. Elle est rouge pour les laitières et verte pour les fermières. Dernière étape : le salage, avec du sel ou de la saumure. La tomme, encore toute blanche à ce stade, est prête pour l’affinage. Pendant un à trois mois, elle séjourne dans des caves, où il fait environ 13 °C.

DES CAVES D’AFFINAGE DIFFÉRENTE­S

Les caves d’affinage peuvent être attenantes au lieu de fabricatio­n, comme chez Laurent, à la ferme. Même chose à la grande fruitière

Chabert, qui affine dans ses caves jusqu’à

140 000 tommes durant le pic de production, en septembre-octobre. Il existe également des spécialist­es, qui affinent les fromages fabriqués par les fruitières et les fermes : c’est le cas des artisans-affineurs des Caves d’affinage de Savoie. Ils reçoivent les tommes « en blanc » tout juste fabriquées et s’occupent de les affiner à la main selon une méthode ancestrale. Fait insolite : leurs caves occupent des tunnels sous la montagne ! Notamment à Chambéry, où ils servaient d’abris antiaérien­s lors de la Seconde Guerre mondiale… Un lieu très propice à l’affinage.

« En milieu naturel, on obtient un affinage différent d’une cave artificiel­le : une pâte plus souple, avec un goût bien distinct… L’affinage avance également plus vite, grâce à l’ambiance de la cave, notamment les murs », explique Michael, artisan-affineur aux Caves d’affinage de Savoie. Les fromages sont ensuite vendus aux crémiers, restaurant­s gastronomi­ques et épiceries fines.

1 À 3 MOIS D’ATTENTE

Dans les caves d’affinage, les tommes sont disposées sur des planches en bois d’épicéa qui ne donnent pas de goût. Elles sont retournées tous les deux à trois jours. Peu à peu, une moisissure à l’aspect poilu commence à se développer : « mucor » pour le nom officiel et « poil de chat » dans le jargon ! On vient le « coucher » tout en retournant la tomme. « C’est ce qui va former la croûte au fur et à mesure que l’affinage avance, explique Michael. C’est un travail simple, mais physique. » Peu à peu, la croûte, grise et tachetée, prend forme. Quand la tomme est prête, après 30 jours d’affinage minimum, elle est marquée à l’encre alimentair­e. On appose sur le pourtour le mot « Savoie » et sur le dessus « Tomme de Savoie » (ou « Tomme de Savoie Fermière », si la production a lieu dans une ferme). Avec deux « m », s’il vous plaît ! Un marquage obligatoir­e, qui nous permet de la reconnaîtr­e illico presto. Question dégustatio­n, le goût diffère en fonction du temps d’affinage : doux et franc quand le fromage est jeune, plus puissant quand il vieillit… La texture, quant à elle, change en fonction du lait utilisé : très onctueuse quand il est entier, ferme et fondante quand il est écrémé… Côté conservati­on, on laisse la tomme de Savoie dans le bas du frigo, dans son papier d’origine. Comme pour tout fromage, il ne faut pas oublier de la sortir 1 heure avant de la consommer, afin qu’elle puisse libérer tous ses arômes…

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Accro à l’herbe fraîche des alpages, la montbéliar­de est l’une des trois races de vaches dont le lait sert à la fabricatio­n de la tomme de Savoie IGP.
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