Gourmand (Vie Pratique)

Le laguiole

- Texte et photos par Aurélie Michel

Cap aujourd’hui vers le nord de l’Aveyron, où l’on fabrique un fromage délicieux : le laguiole AOP. Au programme : rencontre de producteur­s, visite d’une fromagerie et dégustatio­n d’un aligot tout chaud sur le plateau de l’Aubrac.

Le nom « Laguiole » nous est familier, mais on pense souvent au célèbre couteau poinçonné d’une abeille… Pourtant, il s’agit avant tout d’un village de l’Aubrac, en Aveyron, où est effectivem­ent fabriqué le couteau du même nom. D’ailleurs, ici, on dit « Laïole ». Mais ce nom est aussi porté par un délicieux fromage, emblématiq­ue du coin. Fabriqué depuis le Moyen Âge, le laguiole a été labellisé AOP en 1961. Il est au nord de l’Aveyron ce que le roquefort est au sud : une véritable fierté ! Une étape intermédia­ire de sa fabricatio­n permet, d’ailleurs, de réaliser une spécialité locale bien connue : l’aligot. Pour découvrir toutes ces merveilles, en voiture avec Paul Lavialle, animateur du Syndicat du laguiole AOP.

DEUX RACES POUR UN FROMAGE

La région de l’Aubrac révèle une nature magnifique parsemée de forêts, de prairies… et de vaches. Beaucoup, beaucoup de vaches, dont la race emblématiq­ue n’est autre que l’aubrac. Ce bel animal marron aux yeux « maquillés » est surtout connu pour sa viande d’exception. Pourtant, c’est avec le lait des vaches aubrac que l’on a commencé à fabriquer le laguiole. Aujourd’hui, le cahier des charges de l’AOP autorise l’utilisatio­n du lait provenant des vaches simmental. Cette race suisse s’est tellement bien acclimatée aux altitudes de l’Aubrac qu’elle représente aujourd’hui 90 % des laitières. L’aubrac, elle, a longtemps été élevée en tant que race à viande, mais on tâche aujourd’hui de la réintrodui­re parmi les laitières, petit à petit. C’est d’ailleurs l’une des missions de Jeune Montagne, acteur central de la filière. Cette coopérativ­e regroupe les 75 producteur­s de lait de l’AOP Laguiole. Elle collecte leur lait, puis le transforme dans sa fromagerie, à Laguiole. Six de ces producteur­s sont également fabricants de laguiole fermier : ils vendent une partie de leur lait à la coopérativ­e, mais ils en gardent aussi pour fabriquer du fromage de leur côté, sur place, à la ferme. À la différence du laguiole dit laitier, le laguiole fermier est donc issu du lait d’un seul et même troupeau. Tous les producteur­s de laguiole sont adhérents de Jeune Montagne, et ce pour une bonne raison : la coopérativ­e achète le lait environ 550 € les

1 000 litres. Un bon prix comparé aux 350 €, en moyenne, payés en France pour du lait convention­nel.

CHEZ BENOÎT, PRODUCTEUR FERMIER

Benoît Rozière fait partie des quelques producteur­s fermiers. Le jeune homme vient tout juste de s’installer : il reprend la ferme de la Borie Haute, exploitati­on de François Maynier, président de l’AOP Laguiole.

Ce matin d’automne, jour de notre arrivée, le soleil n’était pas levé que Benoît était déjà occupé à traire ses 46 vaches. Dans la salle de traite, pas de bousculade : chacune attend son tour. Certaines sont marquées de vert, signe qu’elles n’ont pas encore vêlé et ne donnent pas encore de lait. Elles commencero­nt leur « carrière » de laitière une fois le premier veau mis au monde.

Si les vaches peuvent produire du lait pendant deux ans, on leur fait quand même faire un veau par an, pour une lactation optimale. En effet, la lactation décroît fortement au fil du temps. Ici, les vaches les plus jeunes ont 2 ans et demi, les plus âgées jusqu’à 13 ans. « Goyave, Lavande, Nini, Iris… », Benoît les reconnaît sans l’ombre d’un doute. « Il faut dire que l’on passe énormément de temps avec elles, tous les jours ! » Une chose est sûre : elles sont chouchouté­es et loin d’être poussées à l’extrême. « Une simmental peut donner jusqu’à 10 000 litres de lait, mais nous, nous ne lui en faisons produire que 6 000. On préfère faire moins, mais faire bien ! » explique Paul Lavialle.

AUX PETITS SOINS POUR UN BON LAIT

Après la traite, les vaches sont nourries. Il en sera de même après la seconde traite de la journée, en soirée. Le menu dépend de la saison. D’avril à octobre, elles broutent l’herbe fraîche des prés. De novembre à mars, elles reçoivent du bon foin stocké en grange. Elles ont droit également à des céréales et du tourteau de colza ou de soja français. Le fourrage fermenté (ensilage, enrubannag­e…) est, en revanche, proscrit par l’appellatio­n d’origine protégée Laguiole. Plus énergétiqu­e, il permet aux vaches de produire plus de lait, mais il représente

aussi plus de risques sur le plan sanitaire. Le laguiole est en effet fabriqué avec du lait cru, qui ne subit aucun traitement !

Une hygiène irréprocha­ble est de mise, mais pas à outrance.

« Par exemple, la machine à traire est nettoyée avec une lessive sans chlore. Les mamelles des vaches, avec de la laine de bois. On veut avant tout un lait de qualité, riche, diversifié, goûteux. »

Les jours où Benoît le transforme en fromage, le lait part, via des tuyaux, dans la salle de fabricatio­n. Les jours où il ne fabrique pas, en général en fin de semaine, le lait est récupéré par un camion de la coopérativ­e.

VISITE DE LA FROMAGERIE JEUNE MONTAGNE

Il faut trois jours pour fabriquer un fromage avant qu’il ne soit placé en cave d’affinage, pour vieillir quatre mois minimum. Pour bien comprendre toutes les étapes de la fabricatio­n de ce fromage aveyronnai­s, on pousse la porte de la fromagerie Jeune Montagne, dans le village de Laguiole. C’est ici qu’est produit l’essentiel des 650 tonnes de laguiole AOP. C’est relativeme­nt peu. « Une goutte d’eau dans le monde des fromages », poétise Paul Lavialle. Avec 100 000 visiteurs par an, la fromagerie figure dans le top 10 des entreprise­s agroalimen­taires les plus visitées de France. Le public a accès à une galerie vitrée, en hauteur, d’où il peut observer chacune des étapes de fabricatio­n. À l’entrée, on aperçoit trois grandes cuves de 5 000 litres. Le lait cru, collecté la veille auprès des 75 adhérents et placé au froid, est d’abord réchauffé à 34 °C, juste pour le remettre à températur­e. On y ajoute des ferments lactiques sélectionn­és, puis de la présure. Issue de l’intestin du veau, celle-ci contient une enzyme, la chymosine, qui permet de faire cailler le lait. Une demi-heure plus tard, c’est chose faite : le lait est passé de l’état liquide à l’état solide. Le caillé qui s’est formé est alors réduit en petits copeaux, de la taille d’un grain de maïs, par des tranche-caillé. Appelée égouttage, cette étape permet de concentrer les matières nobles du lait (matière grasse, protéines…) et d’évacuer une bonne partie du petit-lait (lactosérum). Pas de gaspillage : la crème qu’il contient sera récupérée

et utilisée dans la préparatio­n de l’aligot de l’Aubrac par la coopérativ­e. Le caillé est ensuite sorti des cuves et acheminé vers de grands pressoirs, appelés presse-tomes. « C’est l’outil emblématiq­ue de la fabricatio­n du laguiole », insiste Franck. Il permet de bien presser le caillé et de continuer à extraire le petit-lait. Plusieurs fois de suite, les aides-fromagers doivent le rouvrir et redécouper le caillé. « Rapidement, le pressage n’est plus efficace, car la pâte se referme, poursuit Franck. Donc il y a un découpage au couteau, six à sept fois. » À la fin, le caillé est laissé sous pression pendant une demi-heure, « pour bien tout ressouder et obtenir quelque chose d’assez ferme ».

Et c’est loin d’être terminé ! Après cet énième pressage, le caillé est divisé en gros blocs de 15 à 20 kg.

À la force des bras, ils sont déposés sur des tables roulantes en salle de maturation. « Pendant 24 heures, à 25 °C, on va laisser les bactéries lactiques travailler. Les blocs de caillé vont fermenter, maturer, s’acidifier. » Après cette étape, on stoppe la maturation, en changeant les fromages de climat (8 à 10 °C).

À ce stade, on obtient de la tome fraîche de l’Aubrac. Celle-là même qui sert à préparer l’aligot. Dans ce cas, le processus s’arrête là et la tome file au départemen­t conditionn­ement. En revanche, pour fabriquer du laguiole AOP, il reste encore bien des étapes…

DE LA TOME FRAÎCHE AU LAGUIOLE 4 MOIS

C’est reparti : les blocs de tome fraîche sont maintenant broyés en petits morceaux et salés dans la masse (20 g de sel par kilo). Après un repos de plusieurs heures, de façon à favoriser la diffusion du sel, place au moulage. Les morceaux sont placés dans de grands moules cylindriqu­es, où les fromages prennent forme tout en continuant à être pressés pendant 48 heures.

Ils seront également retournés. Là encore, il en faut, des biscoteaux : chez Jeune Montagne, les laguioles pèsent 50 kg, soit 500 litres de lait ! Il est cependant possible de fabriquer de plus petits formats, en respectant un minimum de 20 kg. Au bout de deux jours, on appose sur les fromages l’empreinte du taureau de l’Aubrac. Symbole de l’AOP Laguiole, sa statue trône sur la place du village. Les généreuses fourmes filent ensuite en caves d’affinages, humides et affichant une températur­e de 7 °C. Elles seront régulièrem­ent brossées et retournées. Au fil du temps, une croûte prend forme. On observe de petits « boutons », dus à une moisissure, caractéris­tique du laguiole. Le contour des fourmes, droit à leur arrivée en cave, s’arrondit légèrement au fil du temps. Elles y restent au minimum quatre mois et jusqu’à deux ans tout au plus. Quelle que soit sa durée d’affinage, le laguiole est un vrai régal !

 ??  ?? Une vache simmental (l’une des deux races autorisées, avec l’aubrac) et, à l’arrière-plan, le joli village de Laguiole.
Une vache simmental (l’une des deux races autorisées, avec l’aubrac) et, à l’arrière-plan, le joli village de Laguiole.
 ??  ?? Benoît, producteur fermier, transforme une partie de son lait en fromage à la ferme. Il procède ensuite à l’affinage dans la cave attenante. L’AOP exige un minimum de quatre mois.
Benoît, producteur fermier, transforme une partie de son lait en fromage à la ferme. Il procède ensuite à l’affinage dans la cave attenante. L’AOP exige un minimum de quatre mois.
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 ??  ?? Quand le fromage a deux jours, on appose l’empreinte du taureau de l’Aubrac, symbole de l’AOP.
Quand le fromage a deux jours, on appose l’empreinte du taureau de l’Aubrac, symbole de l’AOP.
 ??  ?? Le caillé est passé à plusieurs reprises dans un « presse-tome », outil-phare de la fabricatio­n ; il permet d’extraire le liquide (petit-lait) au maximum.
Le caillé est passé à plusieurs reprises dans un « presse-tome », outil-phare de la fabricatio­n ; il permet d’extraire le liquide (petit-lait) au maximum.
 ??  ?? Laguiole en cours d’affinage en cave.
Laguiole en cours d’affinage en cave.
 ??  ?? Au magasin de la laiterie, la coupe du laguiole se fait de façon traditionn­elle : non pas avec un couteau, mais avec un fil à couper. D’une efficacité déconcerta­nte !
Au magasin de la laiterie, la coupe du laguiole se fait de façon traditionn­elle : non pas avec un couteau, mais avec un fil à couper. D’une efficacité déconcerta­nte !

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