Gourmand (Vie Pratique)

Faut-il arrêter de manger du poisson ?

- Par Céline Roussel

En France et dans le monde, la consommati­on de poisson est en constante augmentati­on depuis des années. Malheureus­ement, cette appétence vide les océans et l’aquacultur­e est moins durable qu’elle n’en a l’air. Alors, allonsnous devoir nous passer de cet aliment exceptionn­el ?

Selon une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observatio­n des conditions de vie, en 2019, 62,8 % des adultes et 59,9 % des enfants auraient consommé plus d’une portion de produits de la mer par semaine. Notre engouement pour les denrées aquatiques, notamment le poisson, croît d’année en année, comme partout dans le monde, avec actuelleme­nt 24 kg de poisson par an et par personne (34 kg tous produits aquatiques confondus). Ce qui reste une bonne nouvelle aux yeux du Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition à l’Institut Pasteur de Lille. « Malgré les polémiques qui l’entourent, le poisson reste exceptionn­el pour sa teneur en protéines (16 à 20 g aux 100 g) et ses acides gras polyinsatu­rés de type oméga 3, notamment dans les poissons gras (3 g aux 100 g), expose-t-il. Toutes les études épidémiolo­giques ont confirmé que les grands consommate­urs de poisson développen­t moins de maladies cardio-vasculaire­s et de troubles neuropsych­otiques. »

Un aliment formidable, mais pas sans risque ?

De là à estimer, comme le fait la FAO (Organisati­on des Nations unies pour l’alimentati­on et l’agricultur­e), que le poisson est « l’un des aliments les plus sains », il y a cependant matière à discuter. Poissons d’élevage et sauvages accumulent en effet dans leurs graisses les substances toxiques qu’ils ingèrent – métaux lourds et microplast­iques pour les poissons de mer, PCB (polychloro­biphényles) et pesticides pour ceux de rivière,

et antibiotiq­ues pour certains poissons de l’aquacultur­e. « Il faut bien sûr rester vigilant face à ces substances, mais bien comprendre aussi qu’elles ne sont problémati­ques pour l’homme qu’en cas de très forte exposition », tempère le Dr Lecerf. D’où les recommanda­tions de l’Anses de ne pas dépasser deux portions de poisson par semaine.

Côté durabilité, ça se corse !

On pourrait donc (presque) manger du poisson – de préférence petit, car moins pollué – les yeux fermés si, avec la demande mondiale, le concept de surpêche (prélèvemen­t d’une espèce ne lui permettant plus de se renouveler) n’était pas apparu, révélant l’épuisement de certains stocks et un écosystème marin fragilisé. Il est loin, le temps où la survie du thon rouge était la seule inquiétude. Aujourd’hui, un tiers des stocks de poissons seraient exploités à un niveau non durable. L’Union européenne a toutefois réagi et mis en place une politique de réglementa­tion. « En fonction des remontées scientifiq­ues relatives aux espèces, elle détermine chaque année des quotas de pêche, puis les répartit entre les pays. Ces quotas visent à ne pas dépasser les RMD (rendements maximaux durables) », explique Alain Biseau, responsabl­e des expertises halieutiqu­es pour l’Institut français de recherche pour l’exploitati­on de la mer (Ifremer). Certaines techniques de pêche sont aussi interdites (pêche électrique, filets maillants dérivants). En revanche, les chaluts de fond et la pêche à la drague endommagen­t toujours les fonds marins, et la gestion des ressources de pêche reste fragile. Mais certains chiffres sont encouragea­nts. « Aujourd’hui, 60 % des poissons débarqués en France proviennen­t de population­s non surpêchées, contre 15 % en 2010. À l’Ifremer, nous travaillon­s par ailleurs sur l’améliorati­on des bateaux de pêche pour les rendre moins préjudicia­bles à l’environnem­ent », ajoute Alain Biseau.

L’aquacultur­e pour soulager la mer ?

De plus, la moitié de la consommati­on mondiale de produits aquatiques provient maintenant de l’aquacultur­e. En France, cette part s’élève plutôt à 42 %, et plus précisémen­t 11 % pour les poissons, dont moins de

2 % proviennen­t de piscicultu­res françaises. « Cette activité se développe peu en France, en raison de normes compliquée­s à respecter. Elle est aussi victime d’une mauvaise perception », analyse Thierry Laugier, directeur de recherche à l’Ifremer. Et puis, l’autre grande raison, c’est que nous sommes de grands mangeurs de saumon et que ce dernier est surtout produit en Norvège, qui pourvoit à elle seule à la moitié de la consommati­on mondiale. La France, elle, s’est plutôt spécialisé­e dans la production haut de gamme de turbots, daurades, bars et truites, souvent destinés aux restaurate­urs et à l’export.

Une filière qui doit s’adapter

Mais est-ce durable de consommer des poissons issus de l’aquacultur­e étrangère ? Pas vraiment. De plus, si cette activité est marine, elle pose des problèmes de pollution du milieu aquatique, en raison notamment des déjections des poissons. « Des techniques comme les jachères sont toutefois de plus en plus utilisées pour réduire cet impact environnem­ental. L’aquaponie pour les élevages hors-sol se développe, ainsi que les systèmes d’eau recirculée. L’usage des antibiotiq­ues n’est d’autre part pas systématiq­ue et on vaccine de plus en plus les poissons en amont pour moins y recourir », nuance Thierry Laugier. La question de l’alimentati­on est aussi cruciale. « L’objectif actuel est de réduire la part des farines et huiles de poissons, car ces ingrédient­s proviennen­t d’une autre pratique, la pêche minotière, qui consiste à prélever des “poissons fourrage” en mer pour les transforme­r en aliments. Les ingrédient­s issus d’insectes et d’algues sont des pistes sérieuses », note Thierry Laugier.

Moins, mais mieux ?

Les chercheurs comme les aquaculteu­rs travaillen­t d’arrachepie­d pour proposer un poisson plus durable, mais est-ce que cela suffira pour satisfaire la demande mondiale ? Thierry Laugier en doute : « Je pense que nous en mangeons trop, et qu’il faudrait passer à une consommati­on plus exceptionn­elle. » Florence Huron, coordinatr­ice France Mr. Goodfish, un programme d’aide au choix des produits de la mer, estime que « le consommate­ur peut aussi changer la donne en s’interrogea­nt sur la saisonnali­té du poisson, et en s’ouvrant à plus d’espèces ».

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