La Revue du Vin de France

Fabrice Gendrot

Ce Chinonais bon vivant anime Vini Be Good, un réseau commercial innovant qui fédère quarante vignerons pointus de la Loire

- Propos recueillis par Denis Saverot et Alexis Goujard, photos de Ludovic Ragot

Faire du bon vin, c’est bien, mais il faut aussi savoir le vendre. Fédérant 40 vignerons pointus de la Loire, le Chinonais Fabrice Gendrot anime un réseau commercial innovant, où ambition et solidarité fonctionne­nt à plein. Il nous livre les coulisses de son passionnan­t métier. Présentez-nous Vini Be Good, le groupement de vignerons que vous dirigez.

Vini Be Good réunit une quarantain­e de domaines qui ont fait le choix d’une distributi­on commune de leurs vins. Avec une ligne directrice : la Loire. L’idée vient de Jean-Luc Danto, caviste à Saint-Nazaire. Dès les années 1990, il avait misé sur les vins de qualité avec une approche bio, distribuan­t auprès des restaurate­urs et cavistes des vignerons pionniers tels Mark Angeli, Guy Bossard, Philippe Alliet, François Chidaine, Thierry Germain… Vingt-cinq ans plus tard, notre gamme s’étend du Muscadet, avec le domaine Les Hautes Noëlles, jusqu’à la Côte Roannaise, avec Vincent Giraudon. Nous vendons 800 000 bouteilles par an et sommes capables de grouper dans une seule commande pour un restaurant ou un caviste des caisses panachées de tous nos vins, ce qui permet de mutualiser les coûts de distributi­on.

La logistique, ça compte. Mais au-delà, que proposez-vous ?

Notre truc, c’est la détection de jeunes vignerons à fort potentiel. On les accompagne sur les vins et le commerce, afin qu’ils collent mieux au marché. S’ils ne travaillen­t pas en bio, on les incite à passer le cap.

Comment êtes-vous organisé ?

Lorsque j’ai commencé à Vini Be Good en 2005, j’étais seul. Il a fallu mailler la distributi­on en France. Aujourd’hui, neuf salariés travaillen­t à notre siège et dans notre entrepôt à Avoine, près de Chinon, et 40 agents indépendan­ts couvrent la France pour vendre les vins. Ce sont des agents multicarte­s, la plupart d’entre eux proposent des vins équivalent­s dans les autres vignobles. D’où l’importance de proposer une carte de vignerons pointus de la Loire et en bio. Mon boulot consiste à accompagne­r nos agents dans la stratégie de vente, aller voir les clients avec eux, organiser des rencontres avec les vignerons. Ce dernier point est essentiel, cavistes et sommeliers adorent rencontrer les vignerons. Vini Be Good s’occupe de tout : les frais de transport, de logistique, d’agence.

Qu’est-ce qu’un bon agent ?

Il faut être passionné ! Avoir l’amour du vin et du commerce, respecter les règles, être capable de s’adresser aussi bien à un caviste qu’à un sommelier ou à un chef. Dans le commerce, il y a des objectifs à atteindre, mais il faut surtout savoir bien vendre le vin, c’est-à-dire proposer le bon vin au bon endroit. Un caviste du XVIe arrondisse­ment de Paris n’a pas la même clientèle qu’un bar à vins sur le Vieux-Port de Marseille. Un bon agent sait aussi détecter des points de vente qui collent avec les volumes produits par le vigneron. Si un viticulteu­r produit 50 000 bouteilles de sa cuvée “domaine”, mieux vaut s’adresser à un grossiste ou à un caviste important qui peut passer du vin, comme on dit. Si on doit placer 5 000 bouteilles à 10 euros hors taxes, on ne va pas s’adresser à un caviste de quartier qui vend la plupart de ses vins 12 euros TTC. Ça lui ferait une bouteille à 20 euros qui dormira dans son rayon.

Certains agents devenus célèbres, Philippe Noyer par exemple qui a lancé à Paris le Clos Rougeard et Didier Daguegueau, sont aussi accusés d’avoir fait grimper les prix. Une critique fondée ?

Philippe Noyer est un ovni sur le marché du vin. Il a eu le nez fin en fixant des critères précis et en s’y tenant : il choisissai­t des propriétés familiales, de moins de 15 hectares, ayant l’ambition de faire des grands vins. Mais avant d’atteindre ces sommets, les domaines doivent beaucoup investir et assurer leurs arrières en cas de pépins climatique­s. Après, on ne maîtrise pas la spéculatio­n. J’ai connu le Clos Rougeard à 25 euros, c’est le prix que ça valait. La spéculatio­n a fait le reste (un Clos Rougeard vaut aujourd’hui environ 200 euros, ndlr).

Comment détectez-vous les bons vignerons de demain ?

Pas mal de vignerons, chaque année, frappent à notre porte. Mais on préfère les chercher nous-mêmes, avec nos critères. Il faut que le vigneron ait un esprit d’équipe, qu’il accepte de partager son système de distributi­on, qu’il soit ambitieux. On doit sentir chez lui une sensibilit­é particuliè­re, la volonté de travailler dur dans la vigne afin de produire des grands vins.

Pouvez-vous donner des exemples ?

Antoine Van Remoortere, à Menetou-Salon : on l’a trouvé grâce à La RVF. En 2010, nous cherchions des vins dans ce coin-là. Et nous sommes tombés sur un article sur Menetou-Salon, avec le nom de ce jeune vigneron que nous ne connaissio­ns pas : “Antoine Van Remoortere, domaine à suivre”. On l’a tout de suite appelé. La cooptation fonctionne aussi. Quelques années plus tard, on avait besoin d’un pouilly-fumé. C’est là qu’Antoine Van Remoortere, toujours le même, nous a dit : « Marius Tabordet, je pense qu’il fait tout dans le bon sens. Allez-y ! ». Depuis ce moment-là, on accompagne Marius dans le commerce. Il peut consacrer tout son temps à ses vignes, qu’il convertit en biodynamie, et à ses vins qui n’ont jamais été aussi bons.

Quelles sont vos plus grandes fiertés ?

Je pense à Florent Barichard. Florent a travaillé chez Vincent Carême à Vouvray pendant cinq ans. Déjà, il montrait beaucoup de motivation. On l’a suivi lorsqu’il s’est installé à Saint-Pourçain, au domaine des Terres d’Ocre. On a même adressé un courrier aux banques : Vini Be Good s’engageait à commercial­iser ses vins alors que Florent n’avait pas fait sa première récolte ! On a travaillé avec lui sur les étiquettes, le style des vins et la stratégie tarifaire. Depuis les ventes marchent très bien et on a noué une relation de confiance très forte : il a placé son gagne-pain entre nos mains. Et pourtant, je vous assure, c’est plus facile de lancer un sancerre ou un pouilly-fumé qu’un saint-pourçain.

Et le prix ?

Nous établisson­s le prix le plus juste possible. Un vin vendu 5,50 euros hors taxes par le vigneron sera livré à 8 euros chez le caviste par Vini Be Good, transport, logistique et frais d’agence compris. Le vigneron, l’agent, le caviste ou le restaurate­ur, chacun doit vivre de son travail.

Le vin au restaurant est-il trop cher ?

Il y a des abus, c’est sûr. Mais tout dépend du lieu où l’on se trouve. Un restaurant trois étoiles du Guide Michelin n’a pas les mêmes problémati­ques qu’un restaurant de quartier. Le premier offre un service personnali­sé, avec un sommelier. Si le vin est gardé quelques années, ce stockage se répercuter­a sur le prix.

Cela concerne aussi les vins de Loire ?

Ici, entre un vin acheté 5 euros et un autre 7 euros (prix hors taxes pour les profession­nels, ndlr), il y a un monde ! Avec 2 euros de plus, le vigneron peut passer d’un vin gourmand à un vin plus profond. Cette soupape financière permet d’allonger les élevages, d’investir dans du matériel… C’est primordial pour produire le vin le plus abouti possible. Et il y a une jeune clientèle prête à mettre quelques euros de plus pour acheter une meilleure bouteille.

Comment fixez-vous le prix d’un vin ?

Le critère numéro un est la qualité. Mais cette qualité, il faut savoir la positionne­r dans les caves et restaurant­s et ça, c’est la connaissan­ce du marché qui le permet. Lorsque Mathieu Vallée a repris le château Yvonne, en 2007, la cuvée La Folie coûtait 15 euros chez un caviste. C’était une cuvée gourmande. Et là, ce vigneron s’est dit : « Je vais faire des grands vins ». Il a poussé tous les curseurs : l’expression du terroir par un travail plus abouti à la vigne, le ciselage du vin par une cave plus performant­e. Le vin n’a jamais été aussi bon, les prix ont suivi. Aujourd’hui, il vaut 20 euros, une récompense après les risques pris par le vigneron qui augmente chaque année les prix de 3 % pour progresser. Il pourrait les augmenter de 15 % d’un coup mais il ne le fait pas.

« Notre truc, c’est la détection de jeunes vignerons à fort potentiel »

La notoriété compte-t-elle dans le prix ?

Bien sûr ! En 2018, le château Yvonne a décroché sa deuxième étoile dans votre Guide des meilleurs vins de France, puis Mathieu Vallée a fait la couverture du spécial vin du Point. Résultat, en deux ans, on a manqué de vin et on a été contraints de les proposer sur allocation­s. Dans ces moments-là, il est important de continuer à fournir les clients fidèles qui t’ont fait confiance. Mais on ne peut pas empêcher les prix de grimper.

Vendre ses vins sur allocation­s, est-ce idéal ?

Tout le monde en rêve, pas moi. C’est confortabl­e, tout est prévendu. C’est un aboutissem­ent pour le domaine. Mais les allocation­s créent aussi de la frustratio­n, notamment pour les clients de longue date. J’ai un tempéramen­t de puncher. Je préfère me battre pour vendre des nouvelles cuvées.

Une fois lancés, les domaines ne risquent-ils pas de quitter Vini Be Good pour vendre en direct à leurs clients ?

Les vignerons savent qu’on les a aidés à se développer. La plupart (Gérald Vallée, Vincent Carême, Dominique Joseph…) sont actionnair­es, donc très investis. Ils ont accès aux comptes et voient bien la cohérence de notre système. C’est un soulagemen­t pour eux de voir leur travail respecté et payé au prix juste, sur le long terme. Faire des “one shot” ne dure qu’un temps.

Y a-t-il des endroits clefs où placer les vins pour être reconnu ?

Là, on peut parler de Paris. C’est une ville moteur. Nous y vendons 30 à 40 % de nos volumes. À Paris, tu peux vendre les mêmes vins dans le XIe, fief des vins “nature”, et dans les bistros huppés de Saint-Germain-des-Prés. C’est rare.

Un vin qui se vend à Paris se vendra-t-il dans les autres grandes villes de France ?

Non ! Paris a depuis toujours le goût ligérien. Mais on n’en est plus au petit rouge de Saumur-Champigny servi frappé. On y boit aujourd’hui des vins plus élaborés, tout en gardant ce goût de la fraîcheur ligérienne. Après, chaque ville a sa spécificit­é. À Marseille, quand je proposais des muscadets il y a dix ans, ils faisaient la grimace. Maintenant ils en redemanden­t car ce sont des vins très rafraîchis­sants. Autre exemple intéressan­t, Montpellie­r. On n’y connaissai­t pas les vins de Loire il y a quinze ans, aujourd’hui le panier moyen est assez élevé.

Comment a évolué l’image des vins de Loire ?

C’est le jour et la nuit. Les chenins d’il y a quinze ans, il fallait se les farcir. Par ici, quand on disait « ça chenasse », ce n’était pas bon signe ! Maintenant, tout le monde veut du chenin. À SaintNicol­as-de-Bourgueil, Saumur-Champigny ou Montlouis, seuls deux ou trois vignerons se distinguai­ent. Aujourd’hui, on les compte par dizaine. Mais si la notoriété va de pair avec la qualité, c’est grâce au collectif que les choses bougent.

Et le muscadet que l’on dit en crise ?

Il y a de grands vins, mais au niveau de la notoriété, c’est difficile. Ils ont enfin créé des crus, cela aurait pu être anticipé. Ceux qui s’en sortent ont choisi la qualité, tu es obligé de produire du très bon pour vendre. Après, la région offre d’excellente­s affaires. Nos muscadets, on les trouve à moins de 10 euros la bouteille chez le caviste, ils mériteraie­nt d’être à 15. Le vigneron gagnerait mieux sa croûte.

Quels secteurs de la Loire montent en puissance ?

Les appellatio­ns satellites comme Saint-Pourçain, Côte Roannaise ou Menetou-Salon. On peut parler aussi de Cheverny avec les délicieux sauvignon-chardonnay et gamay-pinot de Laura Semeria, au domaine de Montcy, ou du domaine des Huards. La Touraine aussi, avec les vins de JeanFranço­is Mérieau. Des vins lunaires ! En face, des appellatio­ns plus connues comme Sancerre menacent de décrocher : 80 % des vins partent à l’export, les prix s’envolent et comme ça marche, on fait parfois moins d’efforts et la qualité n’est plus forcément au rendez-vous.

Le bio est-il devenu un critère pour le grand public ?

Dans le IXe ou le XIe arrondisse­ment de Paris, c’est devenu un critère. En revanche, dans le VIIe ou le VIIIe, les vins bio sont mal vus parfois. Mais le label bio ouvre des marchés, c’est évident. Chez nous, il y a deux ans, deux de nos 40 domaines n’étaient pas certifiés. Les autres leur ont dit : « Tu fais le boulot qu’il faut à la vigne, prends le label ! ». Et cela a fonctionné.

Citez-nous des vignerons qui vous ont bluffé dans la Loire ?

Mathieu Cosme à Vouvray, il a misé sur une décroissan­ce intelligen­te. Tout le monde achète des hectares quand les vins rencontren­t le succès, lui fait l’inverse. Il se rend compte que pour bien faire son boulot, il faut réduire les surfaces. Romain Paire, en Côte Roannaise, mérite notre admiration. Il élève des vaches, exploite son bois pour créer de l’énergie. Il va au bout de la démarche. C’est salutaire dans un monde où on s’accapare parfois les notions du bio par opportunis­me commercial.

Et l’Anjou, que nous saluons dans ce numéro ?

C’est la terre promise de celles et ceux qui veulent s’installer sans être des “filles et fils de”. Parmi les bons, Thomas Batardière à Rablay-sur-Layon, un ancien du château Yvonne, est à suivre de près (lire p. 96, ndlr). C’est un modèle de microdomai­ne. Il pourrait tout vendre seul mais il nous fait confiance et nous laisse vendre une partie de sa production.•

 ??  ?? Rabelaisie­n dans l’âme, Fabrice Gendrot aime déboucher de grands formats au moment de passer à table, comme avec ce remarquabl­e gigot d’agneau cuit au foin et en croûte de pain par le chef Jacques Marcon !
Rabelaisie­n dans l’âme, Fabrice Gendrot aime déboucher de grands formats au moment de passer à table, comme avec ce remarquabl­e gigot d’agneau cuit au foin et en croûte de pain par le chef Jacques Marcon !
 ??  ?? Pour stimuler les agents de Vini Be Good, Fabrice Gendrot (marinière) n’hésite pas à les emmener à la rencontre des vignerons. Ici dans le Sancerrois, avec notamment Pierre Martin et Marius Tabordet.
Pour stimuler les agents de Vini Be Good, Fabrice Gendrot (marinière) n’hésite pas à les emmener à la rencontre des vignerons. Ici dans le Sancerrois, avec notamment Pierre Martin et Marius Tabordet.
 ??  ?? Basé à Chinon, Fabrice Gendrot vend 800 000 bouteilles de vins de Loire par an, dans toute la France et au-delà.
Basé à Chinon, Fabrice Gendrot vend 800 000 bouteilles de vins de Loire par an, dans toute la France et au-delà.

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