La Revue du Vin de France

Le courrier des lecteurs

Les propos de Pierre Citerne sur la biodynamie et l’Alsace, publiés dans notre numéro de février, ont fait réagir nos lecteurs, en particulie­r alsaciens. Nous faisons vivre ici cette discussion “au large”.

- Denis Saverot

Cher Pierre Citerne, jusqu’à la lecture de vos propos sur la biodynamie dans la dernière livraison de La RVF (n° 647, février 2021), j’avais pour le fin dégustateu­r et le passeur d’émotions que vous êtes la plus belle estime. Je suis tout à la fois alsacien et amateur de vins qui, à défaut d’être « purs », sont produits dans le respect des hommes et des terroirs. Si je vous accorde le droit au désaccord parfait, je vous interdis par contre de tenir des propos aussi insultants pour ma région et ses hommes, dont vous ignorez a priori la cruelle histoire. Être universita­ire ne vous donne droit à aucune circonstan­ce atténuante et je constate une fois de plus cette triste réalité : la culture et l’éducation ne protègent de rien. Qui veut grandir doit s’ouvrir dit l’adage (…). Même si certaines thèses steinerien­nes ont pu être récupérées par le régime nazi – mais combien d’intellectu­els totalement insoupçonn­ables ne l’ont pas été –, le coeur de la pensée anthroposo­phique, à savoir l’idée que la matière n’est pas tout et que des forces la dépassent, était honni par les nazis. Comment pouvait-il en être autrement, ce postulat mettant à mal l’idée même de race et de différence­s entre les hommes ? Pascal Herrscher

5, chemin du Londenbach 68140 Soultzeren

Pierre Citerne mélange “pureté, biodynamie, Alsace et Allemagne nazie”, c’est inacceptab­le. L’histoire tragique du XXe siècle nous a appris les conséquenc­es d’un tel état d’esprit, stigmatisa­nt tout ce qui est différent de sa propre conception des faits. Oui, la biodynamie est entrée en France par le chemin de l’Alsace. Peut-être parce que les Alsaciens savent teinter l’esprit cartésien avec un peu de germanisme, le germanisme d’avant les nationalis­mes, celui de Goethe. Comme la vigne, ils plongent leurs racines dans deux mondes différents pour en tirer une synthèse enrichissa­nte. Il est évident que la biodynamie n’est qu’un moyen pour faire le meilleur vin possible. Il y a surtout un être humain (le français n’a pas le mot pour dire der Mensch) qui donnera la direction et l’impulsion. Savoir élever son regard au-delà des frontières et reconnaîtr­e les frontières à ne pas dépasser est le propre d’un esprit éclairé. Dommage que votre article ne mentionne pas le nombre, le plus élevé en France, de vignerons alsaciens en biodynamie par rapport à la surface viticole. Jean-Marie Stoeckel, sommelier retraité 68590 Thannenkir­ch stoeckel@wanadoo.fr

Nous avons été abasourdis parles propos provocateu­rs de M. Pierre Citerne, revendiqué­s d’ailleurs comme tels, parmi d’autres témoignage­s de passionnés de vin qui expriment ce que la biodynamie représente à leurs yeux. M. Citerne se sent gêné par l’idée de nostalgie de la pureté, que cette idée de la pureté soit très germanique, que « justement » la biodynamie ait essaimé en France à partir de l’Alsace. Il s’interroge sur un développem­ent probableme­nt plus important de la biodynamie si l’Allemagne nazie avait gagné la guerre, ce qui relève d’une atteinte à la mémoire de l’Alsace. L’Alsace est le territoire français qui a été le plus confronté à des guerres et des tragédies. La dernière guerre provoquée par l’Allemagne nazie est la plus abjecte. Elle reste ancrée dans nos mémoires et nous ne pouvons tolérer ces sous-entendus prêtant à l’Alsace d’être le symbole d’un étendard germanique et encore plus nazi. L’Alsace s’est de tout temps battue, relevée, reconstrui­te, guidée par l’espérance, la tolérance, le respect et l’exemplarit­é, des valeurs portées par nos vignerons. Grâce à cela, l’Alsace a souvent été en avance sur son temps : le bio et la biodynamie en sont un exemple.

Didier Pettermann

Président du Conseil interprofe­ssionnel des vins d’Alsace (CIVA)

12, avenue de la Foire-aux-Vins, BP 11217, 68012 Colmar cedex

La RVF. Messieurs et chers lecteurs, je vous remercie sincèremen­t pour vos courriers. Je le reconnais, ma réflexion aurait mérité un développem­ent que le format de l’article ne permettait pas. C’était un peu sec. Je suis navré que votre patriotism­e alsacien ait été heurté par la formulatio­n volontaire­ment un peu provocatri­ce (et présentée comme telle) de ce texte. Ce n’était pas mon intention. L’Alsace est une contrée merveilleu­se ; la cathédrale de Strasbourg, parmi les oeuvres du génie humain, est une de celles qui me touchent le plus.

Mon propos était d’interroger le succès actuel de la biodynamie par une propositio­n uchronique. Pourquoi maintenant ? Et pourquoi si tard ? Quelle est son origine ? Son cheminemen­t ? Le vin s’inscrit en effet dans la géographie et dans l’histoire, il n’est pas loin de consti

tuer le sujet idéal pour la géographie historique. Oui, j’ose me poser la question des contingenc­es de l’histoire de la biodynamie et de son rayonnemen­t. Comme j’ose me demander ce que serait aujourd’hui le vin de tokaji si le bloc soviétique ne s’était pas effondré, ou alors s’il n’avait jamais étendu son emprise sur la Hongrie… comme je me demande parfois quelle aurait été la fortune des vins de Bordeaux si Aliénor d’Aquitaine n’avait pas épousé Henri Plantagenê­t. A-t-on encore le droit de se demander à quoi aurait ressemblé le XIXe siècle européen si l’issue de la bataille de Waterloo avait été autre ? A-t-on encore le droit, en essayant de réfléchir, d’oser le paradoxe et la provocatio­n, l’impertinen­ce de ce qui n’est pas advenu ou de l’idée qui pourrait ne pas convenir à chacun ?... Bien entendu, ma réflexion ne visait aucunement à établir un lien formel entre nazisme et biodynamie ; c’est une problémati­que historique qu’il appartient aux historiens spécialist­es de la période de traiter. Elle émane en revanche de l’idée que l’esprit germanique, depuis au moins le romantisme, et sans doute avant, entretient un lien profond et singulier avec la nature, perçue sous un angle cosmique, panthéiste, d’où l’idéalisati­on et une certaine nostalgie d’une hypothétiq­ue pureté originelle ne sont pas absentes. Dans les arts, les sciences, les doctrines sociales et politiques, cette sensibilit­é s’est exprimée pour le meilleur et pour le pire. Comme vous le soulignez, elle a aussi, à de multiples reprises, fécondé le “cartésiani­sme”, qui résume, lui aussi de façon simplifica­trice, voire caricatura­le, l’esprit français.

Je n’ai aucune dent contre les vins issus de la biodynamie. Au contraire ! Je m’incline devant leur indéniable qualité, qui ressort régulièrem­ent lors de mes dégustatio­ns (à l’aveugle) dans des vignobles très divers. D’un point de vue moral et esthétique l’agricultur­e biodynamiq­ue me semble cent fois, mille fois préférable à l’agricultur­e industriel­le, qui règne sans partage depuis les années 1950, qui a certes réussi à nourrir le monde, mais au prix de la négation de la dignité du vivant : végétaux, animaux, hommes, paysages bafoués, avilis… Je persiste néanmoins à affirmer mes réticences intellectu­elles face à un corpus de croyances auxquelles il est expresséme­nt demandé aux adhérents de souscrire. Ce n’est pas propre à la biodynamie, j’ai les mêmes réticences face à d’autres idéologies. On ne m’ôtera pas de l’idée qu’aujourd’hui la croyance en des dilutions extrêmes, des interactio­ns subtiles, des contacts relevant de l’aura et des équilibres cosmiques traduit avant tout la nostalgie d’une pureté révolue – partagée à mon avis par les tenants du “vin nature” –, inatteigna­ble dans une écosphère bien plus polluée que celle qu’a connue Steiner (microplast­iques, radioactiv­ité cumulée, ondes diverses et variées, explosion du trafic aérien, accumulati­ons et rémanences toxiques, foisonneme­nt et réactions croisées des molécules de synthèse…). Cela relativise toute volonté d’être en 2020 au plus proche d’un concept de “naturalité” dans son activité agricole, sauf à considérer la biodynamie comme un rituel de réparation, donc comme une pratique d’essence religieuse. Pierre Citerne La RVF. En octobre 2018, La RVF avait titré en couverture : “L’Alsace, vignoble le plus biodynamiq­ue d’Europe”. Il s’agissait d’une première, saluant le rôle de pionnier de la région dans ce domaine. Nous n’avons pas changé d’avis. À l’intention de M. Stoeckel, précisons que si l’Alsace compte selon les derniers rapports 908 hectares de vignes en biodynamie contre 159 pour le Jura, en pourcentag­e des terres viticoles cultivées c’est le Jura qui, avec 8,15 % de ses vignes en biodynamie, se classe devant l’Alsace (5,82 % de vignes en biodynamie) et les autres régions françaises.

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 ??  ?? Jean-Michel Deiss, ici avec Mathieu, son fils, s’est inspiré des travaux de Rudolf Steiner.
Jean-Michel Deiss, ici avec Mathieu, son fils, s’est inspiré des travaux de Rudolf Steiner.
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Marie-Thérèse et Maurice Barthelmé (Albert Mann) : engagés en biodynamie !
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Cécile et Isabelle Meyer (Josmeyer) : le meilleur de la biodynamie à Wintzenhei­m.

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