Vu d’ailleurs
« Il est grand temps que l’exception vin soit levée et que la liste des ingrédients soit obligatoire, et pourquoi pas celle des auxiliaires technologiques » Pascaline Lepeltier
Le clip dure neuf minutes sur Instagram. Cameron Diaz, un verre de rosé à la main, discute avec sa business partner de la marque de vin qu’elles viennent de lancer. Choquées de savoir que pendant des années, elles ont consommé à l’insu de leur plein gré des vins pleins d’additifs, elles ont pris les choses en main. Avaline, leur gamme de clean wines, est née.
En d’autres termes, elles veulent offrir un vin produit à partir de raisins certifiés bio et avec un nombre limité d’additifs, mais aussi, comme l’annonce stratégiquement l’étiquette, sans sucre ajouté, ni colorant artificiel, ni concentré et vegan. Elles surfent sur la vague du manger, boire et vivre plus sain, et ne sont pas les seules. C’est un marché en pleine explosion estimé à des millions de dollars que quelques marques se disputent : Good Clean Wine, Scout & Cellar et leurs Clean-Crafted Commitment ou encore Wonderful Winc dont les vins sont “paléo”, “kéto” et peu caloriques.
On ne peut s’empêcher de voir ici que toutes les cases du marketing bien-être sont cochées opportunément, du design de la bouteille à la communication très ciblée public féminin aisé soucieux de son style de vie et segment-clé de croissance. La qualité intrinsèque du vin est secondaire, seule compte l’inoffensivité de la bouteille “propre”, qui est généralement levurée, collée, filtrée et sulfitée, mais analysée ! Cela dérive même en allégations nutritionnelles suspicieuses. Il y a de bonnes raisons de condamner le mélange des genres. Mais aussi de saluer la prise de conscience par une actrice grand public aux millions de followers du manque de transparence volontairement entretenu de l’industrie viticole et le push promotionnel apporté en quelques mois à dénoncer ce fait.
Il est grand temps que l’exception vin soit levée et que, comme pour tout autre produit agro-alimentaire, la liste des ingrédients soit obligatoire, et pourquoi pas celle aussi des auxiliaires technologiques. Faut-il craindre la réaction du consommateur ? L’intérêt pour les clean wines suggère tout le contraire : il y a une demande réelle d’information et de choix en connaissance de cause par les nouveaux amateurs, mais aussi par des professionnels respectés qui le réclament depuis des années. Je les soutiens absolument. Imaginez que même pour moi qui ai l’opportunité de visiter les domaines, mes questions touchant la culture et la production ne reçoivent souvent que des réponses évasives.
Bercée par la houle, je réfléchis sur le pont du Grain de Sail amarré dans le port de Brooklyn. Ce deux-mâts conçu par une équipe bretonne termine juste sa première traversée transatlantique pour livrer 15 000 bouteilles de vins bio (*) avant de partir pour les Caraïbes et l’Amérique centrale et rapporter café et fèves de chocolat à Morlaix. Ce projet de fret à la voile sur de longues distances et avec un moindre bilan carbone s’enrichit de la recherche d’ingrédients de goût provenant d’agricultures durables et de relations commerciales soutenant création d’emplois, juste rétribution, distribution réfléchie et prix abordable. Passant d’un verre d’Audessus des Nuages du domaine Hebinger au jurançon sec de château Lafitte, je me dis que je me retrouve bien plus dans cette façon de boire propre.
(*) En 2012, Olivier Cousin avec TOWT (Transoceanic Wind Transport) et Rosforth & Rosforth furent les pionniers du transport de vin à voile moderne, livrant leurs flacons notamment au restaurant Noma de Copenhague.