C’est comme ça
« En 1794, c’est l’administration de la Ire République française qui a joint le nom de Conti à celui de la Romanée »
Le croira-t-on ? La Romanée-Conti est à sa manière un vin républicain. Un détour par l’histoire du domaine est nécessaire pour illustrer ce paradoxe. En 1760, le climat le plus célèbre de Bourgogne, dont le caractère exceptionnel avait été distingué par les cisterciens dès le Moyen Âge, a en effet été acquis par LouisFrançois de Bourbon, sixième prince de Conti.
Cette maison turbulente n’a pas donné naissance qu’à des serviteurs des rois de France. Les lecteurs des Mémoires du cardinal de Retz se souviennent du rôle joué par Armand de Bourbon, deuxième prince de Conti et frère du Grand Condé, pendant la Fronde. Le 8 février 1649, lors du combat de Charenton opposant les troupes du roi menées par son frère à celles de la Fronde parlementaire, il était à la tête des insurgés. C’est à l’occasion de cette bataille romancée par Alexandre Dumas dans Vingt ans après que La Rochefoucauld, l’auteur des Maximes, a été blessé à la gorge par un coup de feu.
Quelques mois plus tard, les Frondeurs ont été éloignés, mais les princes du sang n’ont jamais renoncé à prendre leur revanche sur la Couronne. C’est ainsi que LouisFrançois de Bourbon, le sixième prince de Conti, un long siècle après toutes ces querelles, faisait figure de chef de file de l’opposition princière à Louis XV à la fin de sa vie. On l’apprend en lisant la biographie que lui consacre Laurens Delpech (Le Prince de la Romanée-Conti, Flammarion).
Au commencement de sa carrière, le prince, dont le nom a été accolé au vin de la Romanée pour la suite des siècles,
Par Écrivain, chroniqueur littéraire et solide buveur
Sébastien Lapaque
était pourtant plutôt dévoué au roi, même si ce dernier s’est toujours méfié de ses ambitions et de sa réputation de libre-penseur. Colonel de cavalerie à 16 ans, maréchal de camp à 17, il fut un excellent militaire avant de devenir un fin diplomate.
Agnostique et franc-maçon, le petit-neveu du Régent ne tarda pas à s’éprendre des idées nouvelles et à se lier avec Rousseau et Beaumarchais. En 1756, pour divers motifs dans lesquels entre l’opposition des Parlements, des jansénistes et des adversaires du renversement des alliances – l’alliance traditionnelle entre la France et la Prusse contre la Grande-Bretagne et l’Autriche ayant été changée en une alliance de la France et de l’Autriche contre la Grande-Bretagne et la Prusse –, la rupture avec le roi était consommée.
Pendant vingt ans, Louis-François de Bourbon fit partie des Grands du royaume qui donnèrent l’assaut à la monarchie absolue, entraînant sa chute en 1789. Durant cette nouvelle Fronde, le sixième prince de Conti, homme de plaisirs couvert de femmes, acheta à la famille Croonembourg la vigne de la Romanée qui allait devenir la Romanée-Conti. En 1794, c’est l’administration de la Première République française (septembre 1792-mai 1804) qui a joint le nom du dernier propriétaire du domaine vendu comme bien national à celui de la Romanée. À l’époque de la Convention !
C’est ainsi, et pas autrement, que le vin qui régale les rois doit son nom à des coupeurs de têtes.