La Revue du Vin de France

Anjou Noir : une révolution en 90 chenins secs

Réputée pour ses moelleux, la région fait sa mue pour révéler le potentiel de blancs secs issus de chenin

- Une grande dégustatio­n de Pascaline Lepeltier et Alexis Goujard. Photos : Jean-Yves Bardin

La RVF aurait-elle pu consacrer un dossier de quatorze pages aux chenins secs d’Anjou il y a cinq ans ? Rien n’est moins sûr… Si la région a connu une métamorpho­se assez récente, il est important de cerner un peu son histoire pour comprendre pourquoi l’Anjou est devenu l’un des vignobles les plus excitants de France.

Cépage historique angevin, appelé “plant d’Anjou”, le chenin fut pendant longtemps l’or liquide de la région, transmuté par la magie de la pourriture noble, le botrytis ; ce dernier a trouvé un parfait terrain d’expression sur les coteaux bruns de schistes des Coteaux du Layon, de Bonnezeaux, Quarts-deChaume et Chaume. Mais après la Seconde Guerre mondiale, le déclin du marché des vins moelleux, suivi de la nécessaire contractio­n des coûts de production, conduisent le chenin à connaître une crise majeure : clones productivi­stes replantés sur des terroirs mécanisabl­es, abandon des tries, abus des rendements, du soufre et de la chaptalisa­tion… La qualité et l’identité se perdent, les coteaux historique­s, impossible­s à travailler à la machine, sont oubliés, sauf rares exceptions ; le chenin est arraché au profit des cabernets pour façonner des rosés secs-tendres et des rouges techniques, qui semblent alors plus rentables.

CHACUN CHERCHE SON CHENIN

Au cours des années 1980 et 1990 et dans le sillage des vignerons de Savennière­s apparaît une génération composée de fortes personnali­tés (Philippe Delesvaux, Jo Pithon, Mark Angeli, Patrick Baudouin, Joël Ménard, Richard Leroy…), qui milite

pour des liquoreux authentiqu­es. Ce qui suppose le retour des tries, des rendements raisonnés et un travail respectueu­x des sols. Mais que faire dans les millésimes où la pourriture noble ne permet pas d’atteindre la concentrat­ion espérée ? Des chenins secs ! C’est alors une réflexion profonde qui s’engage autour des blancs secs. Pourquoi le chenin des schistes angevins ne brillerait-il pas comme celui des tuffeaux voisins de Saumur, et un peu plus loin celui de Vouvray et Montlouis ? Les Angevins doivent trouver des réponses à de nombreuses questions : quels rendements ? Quelle date optimale de maturité ? Faut-il intégrer des raisins botrytisés ? Laisser courir la fermentati­on malolactiq­ue ? Élevage en cuves ou en barriques ? Mettre son vin en bouteilles à Pâques ou privilégie­r des élevages longs ?

Quelques pistes sont peu à peu affirmées : le passage à une viticultur­e bio, voire biodynamiq­ue, d’une part ; de l’autre, la diminution des doses de soufre, qui permet aux vins de gagner en naturel d’expression, de mieux refléter la mosaïque impression­nante de sols découlant du Massif armoricain. Les schistes dominent ces terroirs de roches sombres métamorphi­ques mêlés à des spilites, rhyolites, phtanites, grès, poudingues, quartz, sables, charbon, et même calcaire du Quaternair­e, striant les multiples exposition­s des coteaux et plateaux de part et d’autre du Layon. Moins ciselé que son voisin saumurois, le chenin dévoile ici des matières au charme plantureux, aux notes de fruits jaunes mûrs, parfois de coing, nuancées par des touches fumées et de safran, portées par de fins amers en finale. La diversité de terroirs et de personnali­tés fait naître une myriade de styles, si bien que certaines des plus belles expression­s de chenin se retrouvent en Vin de France plutôt qu’en appellatio­n Anjou.

APPRENDRE DE SES DÉFAUTS

Cette nouvelle vague de blancs angevins fait frissonner les palais en quête de sensations fortes. Dans les années, 2000, elle séduit de nombreux jeunes qui rêvent de devenir vignerons. Le foncier est abordable, la liberté d’expression au rendezvous. Pour celui qui veut s’installer avec quelques hectares de vignes, l’Anjou apparaît comme la terre de tous les possibles.

Ces néovignero­ns sont souvent en quête d’un mode de vie idéaliste, mais leur conception du vin semble approximat­ive : c’est le boom des vins “nature”, avec sa multitude de blancs parfois gazeux et criblés de défauts (oxydation prématurée, réduction tenace, envol du taux d’acidité volatile…).

Et puis, avec le temps, vient la sagesse : les défauts dus à des prises de risques excessives en vinificati­on servent de leçon. Émergent alors de nouvelles expression­s de vins vivants, pleins de vitalité, qui deviennent peu à peu les canons stylistiqu­es de la région, à l’image de Benoît Courault et de Charlotte et Thomas Carsin (Terre de l’Élu). En 2008, Thibaud Boudignon démarre un projet ambitieux de reconquête de terroirs d’Anjou et Savennière­s. Il est aujourd’hui l'un des plus grands vinificate­urs français. Parmi les vignerons installés depuis moins de dix ans, nous sommes subjugués par l’éclat et la précision des vins de Thomas Batardière, à Rablay-sur-Layon, et de Stéphane Érissé, à Saint-Georges-sur-Layon.

Les domaines historique­s ne peuvent rester insensible­s à l’émulation insufflée par cette bande de vignerons francs-tireurs. Le domaine Ogereau, par exemple, qui doit sa solide réputation à ses liquoreux et ses rosés tendres, impression­ne par la définition de ses blancs secs. Évoquons aussi le domaine Les Grandes Vignes, qui convertit ses 50 hectares à la biodynamie et n’hésite pas à fournir des raisins aux jeunes du coin dont les dernières récoltes ont été anéanties par le gel.

Quarante ans après le début de sa révolution, l’Anjou attire aussi des investisse­urs ambitieux, croyant au potentiel des blancs secs. En 2018, le financier Ivan Massonnat s’entiche du domaine Pithon-Paillé. Il milite désormais pour faire autoriser les blancs secs en appellatio­n Quarts-de-Chaume. L’année suivante, Luc Briand acquiert le domaine Richou (devenu Terra Vita Vinum), quand Vanessa Cherruau, alors enceinte de huit mois, achète le château de Plaisance… la veille des vendanges !

Dernier phénomène passionnan­t ? Les négoces artisanaux. Pauline Laire rapatrie des raisins d’Auvergne au Muscadet, qu’elle vinifie dans son chai urbain appelé 1006 à Angers. Bruno Ciofi, ancien du domaine de la Pinte (Jura) et de La Ferme de la Sansonnièr­e, est aux manettes de Bérêt et Cie. Vous l’aurez compris, derrière la légendaire douceur angevine se cache un vignoble bouillonna­nt de découverte­s et de vins aux personnali­tés folles pour lesquels il ne faudra pas craindre les sensations fortes.

Cette nouvelle vague fait frissonner les palais en quête de sensations fortes

Conditions de dégustatio­n

Les 312 blancs ont été dégustés à l'aveugle par Pascaline Lepeltier et Alexis Goujard en novembre 2020 et janvier 2021, les vins en appellatio­n Anjou à InterLoire et les vins de France au domaine Les Grandes vignes. Ces dégustatio­ns ont été complétées par des visites de domaines.

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La diversité de terroirs (ici le vignoble des Coteaux du Layon) et de personnali­tés fait naître une myriade de styles, et certaines des plus belles expression­s de chenins se retrouvent en Vin de France.

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