La Revue du Vin de France

Les 100 bouteilles mythiques

Ermitage rouge Cuvée Cathelin 1990 du domaine Jean-Louis Chave

- Pierre Casamayor

n°15

C’est une star absolue des ventes aux enchères : la Cuvée Cathelin fait l’objet des spéculatio­ns les plus effrénées. Les quelques flacons restants sur les 2 500 produits en 1990 s’arrachent à prix d’or, atteignant 6 300 euros chez iDealwine, ce qui désole son géniteur pour qui le vin est avant tout fait pour être bu. Le 2009 dépasse les 10 000 euros, une folie !

Gérard Chave est “le” vigneron emblématiq­ue de l’Hermitage, même si sa maison de Mauves ne se signale ni par son faste, ni par une quelconque ostentatio­n. Ici, pas de showroom, pas de visites, on ne s’occupe que du vin. Et quel vin ! Le domaine, initié voilà 540 ans, possède les meilleurs terroirs de ce coteau magique. Les premières parcelles furent acquises en 1885. Le père de Gérard, Jean-Louis, fit monter en flèche la notoriété ; son fils, désormais aux manettes, porte le même prénom. La continuité est exemplaire.

LE PATRONYME DE SON AMI PEINTRE

Basé sur un assemblage autour du lieu-dit Les Bessards, avec Les Roucoules, Péléat, Le Méal, Les Dionnières, L’Ermite, son ermitage a pendant longtemps représenté tout l’art de ce vigneron de l’extrême, jaloux de sa « petite syrah » peu productive, sourcilleu­x d’une viticultur­e au plus près de la nature, avec ses sélections massales, son respect du sol, sa volonté d’atteindre les grandes maturités, ses vinificati­ons adaptées aux matières premières, ses élevages en foudres puis en fûts avec une dose modérée de bois neuf. Un vin qui sait allier la belle concentrat­ion équilibrée avec le charme aromatique, le velouté des tanins et un tonus éclatant.

C’est le millésime 1990 qui enfante cette cuvée hors du commun. Après un printemps doux, un été très chaud (un peu moins qu’en 1989) mais sec, les maturation­s se sont débloquées grâce aux quelques pluies de début septembre. Comme de coutume, Gérard Chave a attendu le dernier moment pour vendanger. Son tri drastique, ses vinificati­ons au petit point (chaque parcelle est vinifiée pour en extraire tout le caractère, soit en cuves bois soit en inox, soit pigée soit remontée) dévoilent que Les Bessards présente une structure et une densité supérieure­s. Gérard décide d’en faire une cuvée à part, élevée en barriques neuves. Pour la nommer, il emprunte le patronyme de son grand ami, le peintre Bernard Cathelin (1919-2004), qui illustrait parfois ses étiquettes. Une légende est née, elle ne sera produite que dans les grands millésimes : 1995, 1998, 2003…

Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer mon commentair­e de cette merveille dégustée en 1995, alors qu’elle commençait à peine à s’ouvrir : « Une maturité exceptionn­elle, Des arômes de fruits noirs confits, de réglisse, d’épices finement boisées, de cacao. La bouche est impression­nante de densité mais le tout est fondu dans une harmonie et une finesse d’école. Les tanins, gras et soyeux, viennent prolonger ce vin dans une longueur exceptionn­ellement aromatique. Un vin d’anthologie ». Qui récoltait cinq étoiles, à une époque où La RVF n’avait pas encore succombé à la notation sur 100. Vu le prix atteint aujourd’hui par ce vin, je ne suis pas sûr de pouvoir le déguster à nouveau…

UN ARTISANAT DE LUXE

Jean-Louis Chave est désormais le maître des lieux. Après des études à l’université californie­nne de Davis, il est venu épauler son père, puis a pris la direction du domaine. Au vignoble, il entreprend de gros travaux, réinvestit le coteau de Bachasson en Saint-Joseph, berceau de la famille, et fait l’acquisitio­n du Clos Florentin, magnifique coteau détruit par le phylloxéra, pour une résurrecti­on totale. Le domaine atteint aujourd’hui 21 hectares, et la nouvelle génération reste dans le droit fil de la philosophi­e maison : respect des équilibres naturels, maturités optimales, peu d’interventi­ons afin de laisser le vin se construire pas à pas. De l’artisanat de luxe en quelque sorte.

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