La Revue du Vin de France

Languedocs d’altitude

L’altitude influence favorablem­ent le bouquet des vins dans les régions méditerran­éennes. La preuve en 266 cuvées languedoci­ennes

- Par Caroline Furstoss et Idelette Fritsch

Déguster à l’aveugle les vins d’altitude en Languedoc ? L’idée lancée par La RVF a intrigué plus d’un vigneron de l’arc languedoci­en. La question devient brûlante dans le contexte du réchauffem­ent climatique, alors que les vins se chargent en degrés sous l’effet des températur­es estivales. Et pourtant, ce sujet a rarement été étudié sérieuseme­nt.

C’est connu : les vins de montagne sont plus frais, digestes, avec des tanins plus souples. En altitude, la températur­e baisse de 0,6° C tous les 100 mètres. Et l’amplitude quotidienn­e de températur­es, avec des nuits fraîches, favorise une maturation lente des raisins et des acidités préservées. D’où l’idée du présent palmarès, qui a conduit plus d’un syndicat d’appellatio­n à ressortir ses vieilles cartes IGN pour répondre aux critères imposés par La RVF : l’appel à échantillo­ns concernait uniquement les vins d’AOP dont le vignoble se situe à plus de 250 mètres au-dessus du niveau de la mer. Exit les doux reliefs habillés par la garrigue, les coteaux à influence méditerran­éenne et même les soubergues, les collines en occitan. Forcément, il y a eu des déçus. « Les soubergues, vaste zone intermédia­ire située entre 100 et 250 mètres, bénéficie de la double influence maritime et montagneus­e », nous a expliqué Jean-Philippe Granier, directeur technique de l’AOP Languedoc. Mais il fallait trancher. À l’arrivée, seuls 20 % du vignoble épousaient nos critères, mais le tamis a fait émerger de belles pépites !

TROIS PALIERS POUR UN TOUR D’HORIZON

D’ouest en est, nous sommes allés chercher les vignerons qui suivent la veine montagneus­e : sur les terroirs audois du piémont pyrénéen (Corbières, Fitou) ; au pied de la Montagne noire avec les atypiques Limoux, Malepère et Cabardès ; sur les coteaux du Languedoc adossés au Massif central (SaintChini­an, Faugères, Terrasses du Larzac) et les derniers contrefort­s des Cévennes (Pic Saint-Loup). Et nous vous proposons un tour d’horizon des vins dégustés sous anonymat mais

par paliers d’altitude : d’abord les vins produits entre 250 et 300 mètres d’altitude, puis entre 300 et 350 mètres et enfin les vins nés au-dessus de 350 mètres.

Des fruits rouges, des tanins souples, une bouche rafraîchis­sante sont les grands atouts des vins rouges retenus ici. Sur les hauteurs, les notes “engarrigué­es” typiques du Languedoc, les échos de tapenade, les tanins accrocheur­s laissent place à des expression­s plus aériennes. Mais le terroir est bien là, dans les notes fumées des schistes de Faugères (cuvée Jalka rouge du Mas Lou) ou les calcaires du Minervois (L’Inattendu blanc du Clos du Gravillas), avec cette sensation de caillou qui s’exprime dès le nez. En blanc, c’est le vignoble de Limoux, plus connu pour sa blanquette et son crémant, qui présente les acidités les plus remarquabl­es. Son climat plus apaisé, donc plus frais, y fait des merveilles sur le mauzac et le chenin ligérien. Mais gare aux boisés luxuriants sur les chardonnay­s qui laissent une bouche pâteuse ! À cause d’eux, de nombreux limoux ont été écartés de notre sélection.

SUR LA CORDE RAIDE

Autre enseigneme­nt de cette dégustatio­n : une majorité (85 %) de domaines conduits en bio et biodynamie se distingue. En altitude, les maladies de la vigne se font plus rares, l’isolement géographiq­ue préserve la plante. Pour les vignerons, travailler sans fongicides ni herbicides est plus aisé. Mais la médaille a son revers : des gelées redoutées, certaines maturités tardives qui imposent d’aller chercher la matière en repoussant les dates de récolte. « Sur les hauteurs, la fraîcheur est naturelle, mais c’est une viticultur­e sur le fil où l’on peut vite basculer en sous-maturité avec des vins à 12 degrés », admet Julien Zernott, du domaine du Pas de l’Escalette (350 mètres) en Terrasses du Larzac.

Si l’altitude est un avantage dans le contexte du changement climatique, elle ne fait donc pas tout : terroirs gélifs, exposition, course du soleil… « Il y a des dizaines de paramètres à maîtriser, insiste Olivier Jullien. Sur un terroir calcaire à Jonquières, à 100 mètres, j’aurai des acidités plus hautes (donc des pH plus bas) qu’à 300 mètres sur un schiste : en bas, je cherche les fraîcheurs de profondeur, la complexité des vins qui puisent leur densité et leur matière fluide dans les grands terroirs. Sur les hauteurs, pour ma cuvée Les Rougeos, avec des raisins récoltés entre 350 et 420 mètres, je cherche les fraîcheurs d’altitude, un vin d’un accès plus immédiat. Dans les deux cas, la grande quête vigneronne, c’est l’équilibre. »

Faut-il dès lors songer à découper en deux les Terrasses du Larzac, entre piémonts (80-150 mètres) et reliefs du Larzac (jusqu’à 400 mètres) ? Diviser Saint-Chinian ou le Minervois, entre les causses au pied de la Montagne noire et les vignes qui regardent vers la plaine ? Le débat est ouvert, surtout dans une région chaude comme le Languedoc. Mais il n’est pas prêt d’être tranché ! I. F.

Conditions de dégustatio­n

266 vins rouges et blancs ont été dégustés en janvier 2021 par Caroline Furstoss et Idelette Fritsch dans les locaux de la Maison des vins du Languedoc, à Montpellie­r. Les millésimes 2016 à 2019, bien représenté­s, côtoyaient les rouges 2007 et blancs 2010.

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D’ouest en est, nous sommes allés chercher les vignerons qui suivent la veine montagneus­e, comme ceux de Saint-Chinian, adossés au Massif central.

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