À partir des années 2000, la reconquête territoriale est lancée
(92/100, 90 €), premier millésime, s’avère très convaincante. Complexe et profond, le nez reste “bordelais” dans ses suggestions de cèdre, d’humus ; davantage truffe et iris à l’aération. Capiteux et distingué, dense, moelleux en bouche à plus de 20 ans d’âge, encore foncé, il offre une texture serrée mais très satinée. Une pointe de douceur marque seule son caractère méditerranéen.
BENJAMÍN ROMEO
Vinificateur chez Artadi, Benjamín Romeo crée progressivement sa bodega à la fin des années 1990. Ce faisant, son approche, artisanale, vigneronne, regarde (une fois de plus) vers la France, et singulièrement vers la Bourgogne. Originaux, subtils, étonnamment libres et sensuels, les 1999, 2000 et 2001, premiers millésimes de Contador, ambitieuse cuvée de vieilles vignes de tempranillo des environs de San Vicente de la Sonsierra, ont interpellé dans leur jeunesse plus d’un dégustateur. Les millésimes suivants accentuent la stature et le cossu de la cuvée, avec notamment des élevages aussi soignés que prégnants. C’est sans doute ce qu’il fallait faire, car le succès auprès de la critique fut au rendez-vous et Contador devint une icône. La robe du 2016 (94/100, 300 €), frangée par une mince bordure violine, prélude à un nez cacaoté, empyreumatique, évoquant à la fois la brouette de sarments en train de brûler et le coulis de framboise… L’intensité se confirme en bouche, portée par une acidité tonique. Le profil à la fois plein et percutant, ligneux et fruité, cousine avec une syrah septentrionale. La finale, d’une longueur indéniable, accentue encore ce caractère fumé, graphite, âtre. Dans la lignée des très cotés 2004 et 2005, le vin cherche l’élégance sans renoncer à la démonstration.
On voit en Espagne, à partir des années 2000, et plus encore 2010, émerger l’ambition de territoires moins connus : Bierzo, Toro, Sierra de Gredos au nordouest de Madrid… De grands vignerons se les sont réappropriés ; ils n’ont mis que quelques années pour enfanter des étiquettes convoitées. Dans les régions connues, historiques comme la Rioja, ou plus récemment adoubées comme le Priorat, on assiste à des changements de style, voire de paradigme. Les cépages internationaux passent de mode ; le grenache, historiquement présent dans de nombreuses régions, est revalorisé ; les cépages autochtones rares sont mis à contribution. Les vins se font plus clairs, plus fins, avec une expression du fruit que l’on désire plus libre, moins marqué par l’élevage. La Californie fait peut-être moins rêver, les modèles redeviennent majoritairement français. La jeune garde des vinificateurs espagnols découvre les vins “nature”, notamment grâce à la sélection du caviste madrilène Lavinia, qui ouvre en 1999.
Quant aux étiquettes, elles poussent la sobriété jusqu’au minimalisme (Turó d’en Mota), revenant volontairement à un classicisme noir sur blanc qui n’est pas sans évoquer l’étiquette du DRC… On notera que ces grands vins de la dernière tendance, plus fins, plus frais, plus libres, continuent la tradition des prix démonstratifs. Est-ce un atavisme espagnol ? Spéculation, oui mais sur quoi ? Sur la rareté, sur la bravoure, le panache, le culot ?
RECAREDO
Bodega de pointe de Sant Sadurní d’Anoia, capitale catalane du cava, Recaredo montre la voie d’une modernité qui est avant tout le retour à la terre et au végétal. Cette cuvée est une sélection parcellaire, un pur xarello planté en 1940, cultivé en biodynamie comme l’ensemble du vignoble de la maison. Elle constitue une sorte de réinvention, ou plutôt d’invention de la notion de cru dans un monde, celui des effervescents catalans, qui y était étranger. Le succès et la notoriété, dès le premier millésime,
Les coordonnées des producteurs sur larvf.com
AVRIL 2021 - 1999 (sorti en 2008), furent retentissants ! C’est mérité car le résultat gustatif, fruit d’un très long élevage sur lattes, 144 mois dans le cas du 2004 (95/100, 100 €), dépasse la communication. L’élégance, d’abord réservée, peut faire penser à un grand chardonnay de la Côte des Blancs. Jaune d’oeuf, praliné, pistache… puis arrive la touche anisée, fenouil sauvage, très catalane. Conjuguant intensité et droiture, gourmandise et réserve, c’est un grand vin blanc, dont la profondeur et l’élégance font oublier, à l’instar des plus grands champagnes, l’effervescence.
DESCENDIENTES DE J. PALACIOS
Nous sommes ici aux avantpostes de la reconquête de
Microcuvée du Chinonais Bertrand Sourdais, La Diva impose un fruit remarquable et spontané. océanique est réussie ! Mais attention, ce vin raffiné n’est pas démonstratif, on peut passer à côté, ce qui, vu son prix, serait dommage…
RENÉ BARBIER TERROIR AL LIMIT
Piloté par l’Allemand Dominik Huber, d’abord associé au Sud-Africain Eben Sadie, puis en solo, ce domaine fait partie de ceux qui ont donné un deuxième souffle à la renaissance du Priorat. Depuis la naissance du projet, fondé sur l’achat de raisins, au début des années 2000, le style a considérablement évolué. Les choix esthétiques sont devenus suffisamment forts pour insuffler aux terroirs méditerranéens de l’appellation une personnalité nouvelle : vendanges plus précoces, vinification en grappes entières sans extraction mécanique et élevages moins marqués. Pur grenache en altitude, Les Manyes est devenue la cuvée la plus emblématique de Terroir al Limit, celle qui tranche le plus, car elle n’est pas issue du sol schisteux associé au Priorat mais d’un substrat argilo-calcaire. Sans aucune sous-maturité, Les Manyes 2017 (93/100, 180 €) persiste dans une recherche d’élégance et de fraîcheur. On sent l’influence de l’École de Calce dans ce vin où structure tannique abondante (poivre vert des tanins de rafle) et élégance des formes cohabitent admirablement. Il a besoin de temps et d’aération pour qu’émerge la finesse florale et épicée dont le cépage est capable.
TELMO RODRÍGUEZ
Personnage clé dans l’essor des vins espagnols, Telmo Rodríguez quitte le domaine familial Remmelluri en 1994 pour fonder avec l’oenologue Pablo Eguzkiza l’activité de propriétaire négociant qui porte son nom. En collaboration avec des vignerons locaux, il va créer de nombreuses cuvées, d’un extrême à l’autre de la “peau de taureau”, de la Galice jusqu’à l’Andalousie. La plupart feront date. Communicant et formateur, il a une influence immense. Revenant au point de départ, au sol ancestral de la Rioja Alavesa, il définit après des années de recherches quatre cuvées parcellaires issues de son domaine de Lanzaga. Las Beatas, sur la commune de Labastida, est isolée dès 2011. Avec ce rioja 2013 (91/100, 220 €) étonnant, limpide, élevé en foudres, qui privilégie l’expression directe du fruit, paradoxalement ambitieux dans son dépouillement, atlantique dans sa fraîcheur poivrée (on penserait presque à un pineau d’aunis !), Telmo Rodríguez dépoussière et désoriente à la fois… Comme si, en vingt-cinq ans, depuis la “alta expresíon” jusqu’à cette cuvée, une boucle avait été bouclée.
DOMINIO DE ES
Le Chinonais Bertrand Sourdais offre à la Ribera del Duero un de ses nouveaux visages stylistiques, rajeunissement dont on peut estimer que la région avait bien besoin. Après dix ans de direction technique au Dominio de Atauta, il fonde sa propre activité, partagé en deux entités, Antidoto et Dominio de Es, créées en 2011, exploitant le potentiel des très vieilles vignes de la région de Soria, dans la partie orientale plus continentale et froide de l’appellation. La Diva est une microcuvée issue d’un seul cru de 0,3 ha, des vignes pré-phylloxériques de tempranillo complanté d’albillo (cépage blanc). À la fois explosif et très détaillé, le millésime 2017 (95/100, 796 bouteilles !, 600 €) impose un fruit remarquable, toute une gamme nuancée entre baies rouges et noires. La grande discrétion de l’élevage (barriques François Frères usagées) fait beaucoup pour la vibration de ce vin pulpeux, fin, long et savoureux. Il exprime toute la structure et la maturité gourmande des vieux tempranillos de la Ribera, sans les écueils de lourdeur et de dureté malheureusement fréquents. Très maîtrisé et paradoxalement spontané !
COMMANDO G
L’avènement des “grenaches de Madrid” constitue sans doute le plus grand bouleversement dans le panorama gustatif des grandes cuvées espagnoles. Je me souviens de mon étonnement admiratif en goûtant pour la première fois la cuvée Rumbo al Norte (2010) de Commando G : comment pouvait-il être espagnol, ce vin si clair et si parfumé ? Rumbo al Norte fait partie de ces quelques cuvées parcellaires issues de vieilles vignes de grenache, arbitrairement partagées entre trois appellations (Vinos de Madrid, Méntrida, Vinos de la Tierra de Castilla y Leon), et mises en lumière par une jeune génération de producteurs dont le chef de file est incontestablement Daniel Gómez Jiménez-Landi, animateur avec Fernando Garcia Alonso du projet Commando G (G comme grenache !). Implantée sur les sols granitiques de la Sierra de Gredos, parfois constellés de blocs erratiques, chacune de ces vignes est un poème, renvoyant à une viticulture pré-industrielle. La Tumba del Rey Moro provient d’EunnAefvriiqguneedcuuSlutidv,élaeràég11io0n0 m d’daeltSittuedll en.bPoluscshinlivterendsesen couleruiersqlinugesdb’oaturytrteissécsuravpépeeslapnatrcelellacéirlèebsr,ecveilnled-ecCi,oisnosltéaencpeo. ur la première fois en 2012, offre dans le millésime 2017 (96/100, 100 €) un magnifique nez à la fois solaire et provocant, riche et nuancé, terre et fruit, pointe animale en filigrane. La vinification en grappes entières fait ressortir une grande finesse de parfum et de texture, en même temps qu’une armature tannique très serrée qui en fait un vrai vin de garde malgré l’excitation immédiate de sa séduction parfumée.
PALACIOS REMONDO
Le projet d’Álvaro Palacios est un retour aux origines, dans le fief familial, à Alfaro en Rioja Baja, réputée pour son grenache davantage que pour son tempranillo. Et cette cuvée de grand luxe, tant anticipée, est en effet presque un pur grenache (90 %). Difficile avec elle de retrouver les linéaments du rioja “classique”, pas plus que de la “alta expresíon”… La méthode d’élaboration ressemble à celle de L’Ermita en Priorat (éraflage et foulage, fermentation en cuves bois, levures indigènes, fermentation malolactique en barriques et élevage de 16 mois).
Peu coloré, le millésime 2017 (93/100, 360 €), le quatrième seulement, détoure au fil d’un toucher remarquablement fin, étagé, articulé, un fruit avenant, évoquant la cerise (plus rouge que noire), la fraise au sucre et le tabac blond. Il y a aujourd’hui indéniablement un air de famille entre les vins d’Álvaro Palacios, non seulement ses grandes cuvées parcellaires, rares et inabordables, mais aussi ses vins plus accessibles. Ayant su se débarrasser du style emphatique et parfois pesant des années 1990, il a néanmoins conservé son identité propre, sans succomber aux dernières tendances, qui sont en gros celles du vin “nature”. Des vins caractérisés par leur définition, leur précision, et même une forme de rigueur, plus cérébraux que truculents.
Cette cuvée 90 % grenache d’Álvaro Palacios ressemble bien peu aux riojas classiques.