De l’Hermitage aux Amoureuses
Les amoureux du vin la reconnaissent au premier coup d’oeil. Plantée au sommet de la colline de l’Hermitage, frêle silhouette dominant le ruban d’argent du Rhône, voilà la chapelle de la maison Paul Jaboulet Aîné. Il y a deux ans, la mettre en couverture de La Revue du vin de France aurait semblé terriblement classique. Mais le Covid-19, les couvrefeux, les confinements sont venus rogner nos horizons, et la donne s’en trouve changée. La petite chapelle incarne soudain ce que la France possède de plus précieux, la possibilité donnée à chacun d’accéder à des paysages fantastiques, de poser ses pieds nus sur les plus grands terroirs, de déboucher un hermitage avec trois copains, perchés sur les granites et les schistes rhodaniens sculptés par le vent.
Alors chers amis lecteurs, prenons ce numéro et le mois de mai qui s’annonce comme des promesses. Jurons que nous repartirons demain fouler nos grands vignobles le coeur léger, tant il est vrai que poser la main sur la terre sacrée de La Landonne, en Côte Rôtie, ou contempler l’horizon depuis la chapelle de l’Hermitage demeure l’une de nos plus précieuses libertés.
C’est d’ailleurs l’esprit de ce numéro : aborder les grands vins et terroirs de la Vallée du Rhône septentrionale au fil d’une balade érudite de la Côte Rôtie à Saint-Péray, de l’Hermitage aux vignobles du Diois. Un pur bonheur lorsque la flânerie est conduite par Olivier Poussier, notre meilleur sommelier du monde. Cet immense connaisseur synthétise le coeur de ce qu’il a vécu, connu, aimé sur ces coteaux, il en restitue les parfums et détaille les vins qui ont compté et comptent toujours pour lui.
La France des beaux paysages, la France des libertés, la France qui surprend, vous la retrouverez aussi dans le formidable récit livré par le professeur et vigneron parisien Patrice Bersac. Il est l’homme à qui l’on doit la renaissance des vins d’Île-de-France. C’est complètement fou ! En effet, sous nos yeux émerge une nouvelle région viticole française, onze départements et soixante-treize cépages se trouvent réunis au sein d’une IGP bientôt reconnue par l’Union européenne.
Enfin, nous vous proposons un détour en Bourgogne, pour une extraordinaire verticale d’Amoureuses, au domaine Robert Groffier Père & fils. Un demi-siècle de ce 1er cru de Chambolle-Musigny, le plus rare, le plus recherché ! Il faut dire que Nicolas Groffier, 36 ans, jeune homme malin et entreprenant, a eu une idée visionnaire qui a plu à La RVF.
Comme tant d’autres en Bourgogne, il s’est lassé de devoir répondre “Je n’ai rien à vendre” aux passionnés venus toquer à sa porte. Il y a une dizaine d’années, il a donc décidé de mettre de côté 10 à 15 000 bouteilles par an (100 000 bouteilles tous les dix ans), avec l’objectif de garder, au bout de cinquante ans, un demi-million de flacons au domaine.
Ainsi, plutôt que de laisser les maisons d’enchères internationales créer l’événement avec des ventes mythiques d’Amoureuses ou de Bonnes Mares, plutôt que de sillonner l’Asie ou les États-Unis au rythme des “wine dinners”, c’est au domaine, à Morey-Saint-Denis, que Nicolas et les siens entendent continuer à accueillir les passionnés en leur proposant un large choix de belles bouteilles arrivées à maturité. Une bibliothèque bourrée de chefs-d’oeuvre de son vignoble… exactement le bon endroit où s’évader !
« Jurons que nous repartirons demain fouler nos grands vignobles le coeur léger »