La Revue du Vin de France

C’est comme ça

-

Par Sébastien Lapaque

« Michel Onfray philosophe au grand air. Il est pourtant un domaine dans lequel sa pensée s’est enfermée, c’est celui de la viticultur­e. »

Michel Onfray est un homme à la conversati­on drôle, joyeuse, frondeuse, inspirée. L’autre soir, en dînant avec lui, j’ai vérifié sa capacité à exercer sa pensée avec le journal du matin, une qualificat­ion assez rare parmi les philosophe­s de sa date, souvent perchés dans le ciel des idées, bien à l’abri derrière les murs d’une académie ou d’une université, afin de ne jamais avoir à redescendr­e sur terre.

Michel Onfray philosophe au grand air. Il est pourtant un domaine dans lequel sa pensée s’est enfermée, c’est celui de la viticultur­e. En le regardant lamper avec délectatio­n un verre de saint-julien, Château Talbot 2017, je me suis souvenu que ce prophète de la résistance et de l’insoumissi­on s’était constitué prisonnier du mythe des “grands” vins à la mode bordelaise.

Le malheur de Michel Onfray est d’avoir été confusémen­t informé par personnes interposée­s au début des années 2000. À cette époque, le mythe des grands domaines ébranlé par le succès du mouvement des vins naturels était soutenu avec l’énergie du désespoir par une poignée de journalist­es et d’experts achetés ou loués. Leurs sophismes payés à la ligne tentaient de prolonger la courte saison de gloire (1960-2000) des vins technologi­ques.

En relisant Cosmos, le plus personnel et le plus émouvant des livres de Michel Onfray, on a le sentiment qu’il s’est fait refiler leurs éléments de langage comme un perdreau de l’année, ignorant le mouvement des vins naturels et partant

Par Écrivain, chroniqueu­r littéraire et solide buveur dans une croisade insensée contre la biodynamie pour célébrer Pétrus et Margaux comme d’autres glorifiaie­nt Anatole France à l’époque de Marcel Proust. Au début des années 2000, c’est Marcel Lapierre que le philosophe né d’un père ouvrier agricole aurait dû rencontrer. Ce dernier lui aurait raconté ses dérives psychogéog­raphiques avec Guy Debord et rappelé qu’un vin ne se fait pas à la cave mais à la vigne.

Dans Cosmos, Michel Onfray se souvient avec un lyrisme tout virgilien d’une verticale de Dom Pérignon dégustée au siège de Moët & Chandon à Épernay, en 2012. Le lecteur se laisse bercer par la délicatess­e des subordonné­es enchaînées mais finit par se dire qu’un homme manque dans l’assemblée réunie autour de l’écrivain par Richard Geoffroy, le chef de cave de la maison sparnacien­ne : un vigneron. Le mythe des grands vins est une histoire de marques au sein de laquelle le geste de l’homme à la vigne peut devenir une toute petite chose : il y a des machines pour ça ! Comme il philosophe au grand air, c’est au grand air que Michel Onfray devrait aller à la découverte du vin. Cet homme qui souhaite « qu’on écoute la voix calme et posée de quelques paysans d’aujourd’hui » peut dès demain matin aller à la rencontre de beaux spécimens qui n’ont rien de chefs de secte ou de gourous illuminés comme on lui a murmuré.

C’est comme ça et pas autrement que le philosophe découvrira que derrière un grand vin, point de mythe mais un grand jardinier.

Sébastien Lapaque

 ??  ?? Christine Vernay et sa fille Emma veillent aux destinées du domaine célèbre pour ses condrieux et côte-rôtie.
Christine Vernay et sa fille Emma veillent aux destinées du domaine célèbre pour ses condrieux et côte-rôtie.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France