Débat autour d’une bouteille
Champagne Brut Nature de la maison Alfred Gratien
Olivier Poussier
C’est le lancement des dégustations de champagnes pour le Guide vert 2022 ! Olivier Poussier et Alexis Goujard, en charge de cette noble région, donnent le top départ autour d’un verre de la maison Alfred Gratien (cuvée non dosée).
Olivier, nous couvrons désormais tous les deux cette belle région champenoise, alors commençons les travaux pratiques ! Voici le digne rejeton d’une famille de champagne qui a le vent en poupe : les bruts nature.
Surprends-moi Alexis ! J’ai souvent été déçu par les champagnes non dosés.
Ils secouent un peu trop fort tes papilles ?
C’est exactement ça ! Les bruts nature doivent avoir été imaginés et conçus très en amont, pas à la dernière minute. Or, c’est rarement le cas.
Que veux-tu dire par là ?
Eh bien, l’absence de liqueur de dosage rend le champagne plus austère, elle doit être compensée pour regagner en équilibre. Pour être mis en bouteilles sans liqueur, le vin doit au départ offrir une matière plus concentrée. Cela peut passer par une récolte plus mûre, lors d’une année solaire par exemple, ou encore un vieillissement prolongé sur lattes pour que le vin gagne en gras, en ampleur et en complexité grâce à l’autolyse des levures.
C’est un peu comme pour les vins blancs tranquilles. À force de récolter des raisins en deçà de leur maturité pour gagner en tension, on finit par obtenir des vins sévères, manquant de chair et de charme…
Et voilà ! Mais revenons à ce Brut Nature d’Alfred Gratien… D’emblée, j’aime la définition limpide de ses arômes, un peu fumés. En bouche, on retrouve la tension d’un champagne non dosé, sans pour autant basculer dans l’étriqué. Il y a une certaine vinosité et une profondeur. Incontestablement, il possède la matière première qui permet de se passer de dosage.
Alexis Goujard
La maison vinifie l’intégralité de sa production en fûts bourguignons et bloque la fermentation malolactique. Ce tirage est construit autour d’une base de 2014, année fraîche et tendue. On s’attendait à une certaine austérité, il n’en est rien.
Il n’y a pas de dureté en effet, c’est remarquable. Voilà un champagne cohérent de bout en bout. Le temps lui a donné une faveur : cette subtile patine pâtissière, sa bulle crémeuse.
Et sa finale iodée appelle la gorgée suivante. Que servirais-tu à table avec ce champagne, Olivier ?
Une bourriche d’huîtres ! Des huîtres de pleine mer, pour faire ressortir le caractère iodé du champagne. Ou bien j’irais chercher le racinaire avec une coquille Saint-Jacques et fondue d’endives ou des gnocchis à la crème de parmesan. D’ailleurs, je salive rien qu’en t’en parlant.
OP.
Ah ! Tu me mets l’eau à la bouche. Nous voici devant un très beau champagne printanier.
C’est Nicolas Jaeger, un chef de cave intuitif, qui a créé cette cuvée. Elle contribuera sans doute à mieux ajuster, voire à modérer les dosages des autres champagnes de la maison.
Une maison qui produit 250 000 à 300 000 bouteilles par an a toutes les cartes en main pour mettre en scène l’identité crayeuse champenoise.
Mais oui ! Rappelle-toi les vins clairs 2020 d’Alfred Gratien dégustés ensemble le mois dernier. D’un très bon niveau de concentration, ils ont le potentiel pour s’exprimer dans quelques années avec des dosages plus faibles.
En tout cas, ce Brut Nature en a sous le pied ! Je le vois vieillir encore quelques années pour s’apaiser, gagner en patine… Seul souci, la contre-étiquette n’indique ni le millésime de base, ni la date de dégorgement. Des informations essentielles pour ceux qui, comme nous, laissent les champagnes se patiner en cave.
OP.