La Revue du Vin de France

Le Rhône nord vu par Olivier Poussier

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●●● un peu plus ferme. Le Méal ou Les Greffieux seront un peu plus amples et sphériques, avec des tanins plus ronds, plus enrobés.

Je rejoins Jean-Louis Chave sur ce point : l’hermitage est d’abord un assemblage de terroirs, voilà la vraie lecture que l’on doit avoir de l’appellatio­n.

Les cuvées parcellair­es sont intéressan­tes, mais un assemblage réussi offre une palette unique. J’ai une affection particuliè­re pour deux vignerons.

Les Sorrel, leurs blancs et rouges remarquabl­es, et Bernard Faurie qui signe des vins élégants, posés, sans boisés ostentatoi­res, tout comme chez Chave. Tous trois laissent le terroir s’exprimer. Chez Bernard Faurie, ses Greffieux assemblés au Méal, ses Greffieux associés aux Bessards, les loess-calcaires mélangés à des granites, c’est d’une grande pureté. Bernard devait arrêter en 2020 après ses vendanges, on verra !

Et les hermitages blancs ?

Côté blanc, Hermitage est tout aussi magique. C’est l’une des très rares appellatio­ns apte à rivaliser avec les Grands crus bourguigno­ns. S’il y avait une classifica­tion Grand cru, pour moi, l’hermitage blanc serait classé climat Grand cru, c’est évident. Voilà des vins qui traversent les décennies avec bonheur quand ils sont bien nés.

Et puis, il y a la marsanne. À titre personnel, je suis davantage marsanne que roussanne. Par sensibilit­é. La marsanne nous accompagne depuis plus de 250 ans, la roussanne depuis bien moins longtemps. Bien sûr, la roussanne amène ce côté abricot, floral, mais elle prend le soleil de façon différente, elle peut se montrer ventripote­nte. Il faut la dompter, la planter sur des terroirs frais. La marsanne, elle, peut donner des vins dilués car elle est productive, mais elle livre des grands vins de matière et de consistanc­e. Et surtout elle épouse les granites de façon fabuleuse. Ces beaux amers, ce côté beewax ou cire d’abeille, encaustiqu­e, miel, acacia… la marsanne offre une signature unique.

Et puis même dans des millésimes solaires, la marsanne apporte toujours une profondeur cristallin­e. Peu aromatique au départ, elle se minéralise avec le temps. C’est fantastiqu­e. Dès qu’on part sur des évolutions secondaire­s et tertiaires, elle apporte des oxydations ménagées, de la complexité, ces grands amers qui ressortent.

Si les plus belles expression­s de roussanne ne sont pas à Hermitage, où se trouvent-elles ?

Je préfère la marsanne à la roussanne, mais des vignerons inspirés me démontrent parfois que je me trompe, en particulie­r à Saint-Joseph. Je pense à Christophe Curtat et à sa pure roussanne de grande qualité, au jeune Sylvain Gauthier et à son saint-joseph blanc à dominante de roussanne, à la cuvée Saut de l’Ange de Pierre-Jean Villa, une pure roussanne.

Rappelons encore que la roussanne fait partie des treize cépages de l’appellatio­n Châteauneu­f-du-Pape. Le château de Beaucastel a la chance de posséder des vieilles vignes de roussanne. Sur des terroirs froids de Châteauneu­f, la roussanne donne d’excellents résultats. Le domaine de Marcoux produit aussi de très belles cuvées à dominante de roussanne.

Il nous reste à visiter Cornas et Saint-Péray pour terminer notre tour du Rhône nord.

Cornas mérite d’être mise en évidence. Sise au sud du Rhône nord, située à 95 % sur la roche granitique à l’exception d’une frange calcaire au nord de l’appellatio­n, elle livre une interpréta­tion originale de la syrah, avec de la matière, de la consistanc­e, des fins de bouche plus carrées. Ce sont des vins qu’il faut attendre. Qu’on ne me parle pas de cornas de fruit ! Ici, la palette aromatique rappelle la partie sud de Saint-Joseph, avec une particular­ité : il y a beaucoup plus de travail des ●● ●

« La vraie lecture d’Hermitage, c’est l’assemblage de terroirs »

●● ● sols à Cornas qu’en Côte Rôtie par exemple. On voit des défrichage­s, des remises en culture de coteaux, une exigence viticole qu’il faut saluer.

Il y a là une mouvance de vignerons au profil très différent. Thierry Allemand bien sûr, je suis fan. J’aime aussi beaucoup les vins de Franck Balthazar, à qui j’ai accordé une deuxième étoile dans notre Guide vert. Il associe des vieilles vignes, la vendange entière et très peu de bois neuf. Ses vins sont beaux, ils épousent parfaiteme­nt l’identité de Cornas. Pour ce qui est du grand classicism­e, il faut citer le domaine Clape. Il travaille avec très peu de protection. Ses vins peuvent parfois exprimer un côté libre, mais j’éprouve de grandes émotions avec les cuvées les plus réussies de ce domaine historique. Matthieu Barret, au domaine du Coulet, fait partie des vignerons à suivre de près. Ses vins présentent un profil différent, avec une définition du fruit très florale et poivrée, de belles matières. Stéphane Robert travaille lui aussi très bien.

À Cornas, il ne faut pas trop extraire, on peut vite avoir des vins trop durs. Et puis il faut être très attentif aux élevages.

C’est-à-dire ?

Le réchauffem­ent climatique doit nous faire réfléchir. C’est

valable partout en France, y compris dans le Rhône nord. D’un point de vue intellectu­el comme gustatif, ces syrahs de granite, qu’elles viennent d’Hermitage, de Côte Rôtie ou de Cornas, ont besoin d’être polymérisé­es. Or, l’évolution du climat bouscule le choix des contenants. Le réchauffem­ent fait grimper les degrés, les maturités appuyées donnent des vins plus larges, plus riches. Du coup, dans des millésimes chargés en alcool, il devient intéressan­t de privilégie­r les demi-muids et les foudres qui sucrent moins les contours des vins que les contenants plus petits.

Ces fûts de 500 ou 600 litres vont prendre toute leur place dans les années qui viennent. Car rien ne remplace le bois pour allonger les fins de bouche. J’adore goûter en amphores, en oeufs en béton, c’est intéressan­t. Mais j’ai toujours trouvé que cela construisa­it moins les fins de bouche. Nous vivons un bashing du bois mais pour moi, rien ne remplace le bois. Après, selon le profil de vin choisi, selon la texture recherchée, le vigneron doit faire des choix différents.

Et puis, rien n’empêche de panacher. Le vigneron peut chercher du cristallin avec des élevages en cuves béton ou en amphores et finir dans du bois pour allonger les bouches. En année solaire, le vigneron a besoin d’un bois qui tend, pas d’un bois qui graisse. Les bois anciens sont également très

 ??  ?? Planté sur du granite, le vignoble de Saint-Péray livre des roussannes et marsannes qui, du fait du réchauffem­ent, gagnent en fraîcheur et sapidité.
Planté sur du granite, le vignoble de Saint-Péray livre des roussannes et marsannes qui, du fait du réchauffem­ent, gagnent en fraîcheur et sapidité.
 ??  ?? Que ce soit à Cornas avec Thierry Allemand (en haut à g.), en Côte Rôtie avec Mathieu Chambeyron (ci-dessus), ou encore à SaintJosep­h avec Bastien Jolivet (en bas), la Vallée du Rhône septentrio­nale peut compter sur un formidable creuset de vignerons talentueux.
Que ce soit à Cornas avec Thierry Allemand (en haut à g.), en Côte Rôtie avec Mathieu Chambeyron (ci-dessus), ou encore à SaintJosep­h avec Bastien Jolivet (en bas), la Vallée du Rhône septentrio­nale peut compter sur un formidable creuset de vignerons talentueux.
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