La Revue du Vin de France

Puisseguin-Saint-Émilion

La patience est une qualité majeure ici, la date de récolte est un sujet essentiel

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Émilion mais moins que Lussac. « Nos parcelles de merlot les plus précoces, situées sur le plateau calcaire sur un sol superficie­l, ont tout de même été vendangées le 29 septembre en 2020. L’AOP est bien un secteur tardif », rappelle Gérard Opérie, vigneron (château Haut-Fayan) et président de la section Puisseguin du Conseil des vins de Saint-Émilion. « Ce caractère tardif était historique­ment un handicap, mais il se révèle un atout dans le contexte de réchauffem­ent climatique que nous connaisson­s », estime Kees Van Leeuwen.

Il existe aussi des variations de précocité au sein de chaque appellatio­n suivant la pente et l’exposition des parcelles, mais aussi selon le comporteme­nt des sols. Ainsi, le plateau calcaire se distingue par son caractère précoce. Les zones peu précoces de l’AOP Puisseguin-Saint-Émilion représente­nt 39 % du territoire et sont essentiell­ement adaptées au cépage merlot qui supporte mal le manque d’eau et les excès de chaleur. Les zones précoces et très précoces qui couvrent plus de la moitié de l’aire classée permettent aussi de planter du cabernet franc, au-delà du merlot. Voire du cabernet-sauvignon dans les zones les plus chaudes (7 % du territoire).

Le merlot domine l’AOP en toute logique, mais le cabernet franc suscite un regain d’intérêt. D’une part, parce que le réchauffem­ent climatique conduit les vignerons à ramasser certains merlots avec un très haut degré d’alcool potentiel (celui du cabernet est moindre) ; d’autre part, parce que le potentiel qualitatif du cabernet franc sur le terroir de Puisseguin est de plus en plus mis en lumière, au fur et à mesure que le matériel végétal médiocre est remplacé par des pieds de qualité et que les cabernets mal positionné­s dans des zones trop froides sont replantés dans des secteurs plus précoces leur permettant d’atteindre une maturité aboutie et de révéler leur plus belle expression.

Depuis le rachat du château des Laurets par Ariane et Benjamin de Rothschild en 2003, 25 hectares de vignes ont été arrachés et replantés. « Il s’agissait d’éliminer le matériel végétal insatisfai­sant ou encore de reposition­ner le cabernet franc comme ici au centre du vignoble, sur le haut du plateau, là où la roche calcaire est très proche de la surface. Avoir un beau cabernet franc (9 % aujourd’hui, 15 % dans les années qui viennent), c’est apporter davantage de complexité et d’élégance aux assemblage­s », précise Fabrice Bandiera. « Nous avons aussi entrepris un travail de replantati­on de nos cabernets francs sur les zones les plus précoces du domaine, des coteaux exposés au sud, aux sols argilo-calcaires peu profonds (lieu-dit Mouchet). Le but est d’apporter plus de finesse à nos assemblage­s », raconte Paul Rafin, directeur technique du château Branda.

SUBTIL ÉQUILIBRE

Ainsi le terroir de Puisseguin-SaintÉmili­on est-il encore en train de révéler son potentiel. « C’est une pépite, lance Kees Van Leeuwen. Tous les vignerons devraient s’en convaincre ! » La maîtrise des rendements, la précision des dates de vendange et de la sélection des raisins, l’augmentati­on des densités de plantation et de la surface foliaire, le renouvelle­ment du matériel végétal inadapté ou encore une meilleure implantati­on des cabernets sont autant de pistes que les vignerons les plus exigeants suivent pour mieux valoriser leur terroir.

Pour Pierre Taïx, la précision de la date de vendange est une exigence absolue, gage d’un équilibre réussi. Pour lui, « il

s’agit de s’adapter finement au terroir et au millésime pour obtenir un fruit parfaiteme­nt équilibré. Et le réchauffem­ent climatique complique la donne : il influe sur les maturation­s et engendre parfois des situations compliquée­s qui font penser aux vignobles du Nouveau Monde, avec des pépins mûrs quand les peaux ne le sont pas encore… ».

La patience est donc une qualité majeure à Puisseguin. « Il ne faut pas se précipiter pendant les vendanges, insiste Fabrice Bandiera. Il faut être attentif aux décalages entre les maturités alcoolique­s et phénolique­s car la chaleur et la sécheresse peuvent induire un blocage de la maturation phénolique alors que les sucres continuent à monter. Pour autant, notre terroir nous permet d’attendre, il a l’avantage de nous donner des trames acides capables d’équilibrer l’alcool et donc de préserver l’équilibre des vins. »

Même si le parcellair­e du château Soleil est assez homogène sur le plateau de Puisseguin (lieux-dits Le Mayne et Le Cros), avec une roche mère calcaire proche de la surface, la profondeur de sol peut varier de 20 à 80 cm sur le plateau.

« Il faut donc s’adapter à chaque zone pour obtenir la maturité juste, raconte Arnaud Dessis, responsabl­e d’exploitati­on. Il s’agira ensuite d’être très précis en cave et d’ajuster finement nos extraction­s pour éviter toute rusticité dans les vins. »

EXPLORER LE TERROIR

Que les vignes se trouvent sur les molasses ou sur le plateau, la date de récolte est un sujet essentiel et délicat. « Les vins peuvent être un peu durs si l’on vendange trop tôt. Et si l’on vendange trop tard, les tanins seront certes plus fondus, mais l’expression du fruit risque d’être moins éclatante », résume Kees Van Leeuwen.

Vincent Bussière, maître de chai fraîchemen­t arrivé au château Clarisse, compte bien explorer le terroir du domaine pour tenter d’en extraire le meilleur. « Notre beau terroir oblige à une grande rigueur et à un travail au long cours qui, seul, nous permet d’envisager une belle progressio­n des vins », conclut-il.

(1) Montagne, Saint-Georges, Puisseguin et Lussac ont le droit de faire suivre le nom de leur commune du nom de Saint-Émilion depuis 1936. (2) Selon l’étude Le Terroir de Puisseguin­Saint-Émilion (K. Van Leeuwen, J.-P. Roby, L. Resseguier, Enita de Bordeaux, 2009, Conseil des vins de Saint-Émilion). (3) Le chercheur Kees Van Leeuwen est spécialist­e des terroirs viticoles. Longtemps directeur technique du château Cheval blanc, il connaît particuliè­rement bien le fonctionne­ment des terroirs de la Rive droite.

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Ce sont les plus vieux merlots du vignoble des Laurets (70 ans) qui donnent le vin Baron Sélection parcellair­e.
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Nathalie et Gérard Opérie ont développé une offre oenotouris­tique très complète au château Haut-Fayan.
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Le directeur technique du château des Laurets, Fabrice Bandiera, étudie le comporteme­nt du vignoble depuis vingt-cinq ans.
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