La Revue du Vin de France

La “Groffier Collection” : un conservato­ire unique de millésimes

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ertains domaines de Bourgogne, encore trop peu nombreux, déplorent que leurs grands vins soient bus trop tôt, en particulie­r dans les restaurant­s qui n’ont plus les moyens de les laisser vieillir. Respectueu­x du vin, soucieux de satisfaire des amateurs passionnés qui réclament des vins avec un peu d’âge, désireux de garder de beaux flacons à proposer au domaine tout en léguant à ses enfants un patrimoine unique, Nicolas Groffier a innové. Depuis le millésime 2013, il a fait le choix de laisser vieillir dans les meilleures conditions un gros tiers de la production du domaine en Amoureuses et Grands crus, pour commercial­iser au bout de quelques années de garde ces bouteilles étiquetées “Groffier Collection”, indiquant un vieillisse­ment prolongé au domaine. Les étiquettes mais aussi les capsules qui habillent ces vins sont donc différente­s de celles figurant sur les bouteilles classiques du domaine. La quasi-totalité des bouteilles que nous avons dégustées provient de cette sélection, désormais disponible à la vente au domaine ; on se souviendra néanmoins que pour les millésimes antérieurs à ceux des années 2010, les quantités sont infimes.

Personnali­té réfléchie mais fuyant les discours convenus, Nicolas Groffier observe et s’interroge, ouvert aux remises en question. Il a géré avec conviction et brio le profil si sec et solaire des derniers millésimes, grâce à des maturités sur le fil qui cherchent à préserver fraîcheur et expression du fruit. Certains dégustateu­rs de La RVF expriment quelques réserves, estimant que des maturités un peu plus poussées auraient permis d’aller chercher des tanins plus mûrs et de donner des vins un peu plus complets. Le vieillisse­ment sera juge. Rappelons que les effets du réchauffem­ent climatique en Bourgogne sont flagrants, avec des vendanges qui débutent de plus en plus souvent au mois d’août, et suscitent des interrogat­ions croissante­s parmi les vignerons quant aux dates optimales de vendange.

Embouteill­é en décembre 2020, le 2019 (97/100) a été vendangé le 12 septembre. C’est un vin brillant, tout en moelleux de texture et allonge salivante dans l’exubérance de sa jeunesse. Charnu, énergique, il offre déjà beaucoup de finesse et de précision, doté d’arômes de cerise et de myrtille en finale.

Vendangé le 29 août, le 2018 (96/100) offre plus de tanins caressants et de richesse aromatique (fruits rouges, notes exotiques), mais sa maturité reste contenue, dans un profil sphérique de grande envergure. Il se distingue par sa

Nicolas Groffier avait invité son père Serge qui vinifia de 1984 à 2006.

sève et un élevage un peu plus marqué à ce stade. À notre sens, il ne se révélera qu’après un long vieillisse­ment. Dans ce millésime très abondant, le domaine a atteint des rendements de l’ordre de 45 hectolitre­s par hectare.

Fraîcheur et moelleux rivalisent dans l’équilibre du 2017 (95/100), vendangé le 15 septembre. Marqué par une année de sécheresse, ce millésime a donné ici un vin croquant et floral, doté d’une belle succulence de fruit délié et subtil, qui évoque la corbeille de fruits et le végétal mûr. C’est un vin qu’on peut commencer à boire après aération, même s’il gagnera bien sûr à vieillir.

Plus réservé, le 2016 (96/100) renoue avec un profil plus tardif et nerveux, avec une acidité marquée. Très parfumé, son fruit friand et appétent accompagne un profil assez longiligne, avec un tanin vif et un rien anguleux en finale. C’est assurément un vin à attendre encore.

Millésime solaire de petits rendements, 2015 (96/100) signe un vin dense et généreux, dont la matière sphérique et ample reste vigoureuse. Abondants, les tanins se montrent saillants et l’ensemble un peu sévère, destiné à être oublié en cave. La proportion de vendange entière a été plus importante que d’habitude, comme celle de fûts neufs (jusqu’à un tiers), justifiant la patience requise avec ce vin peu avenant à ce stade.

Accessible et précis, 2014 (95/100) se livre avec vivacité, dans une tonalité végétale fraîche et expressive. Charmeur, expressif, un peu strict en finale, mais il se boit déjà avec plaisir.

Millésime tardif, 2013 (97/100) a été vendangé le 2 octobre et a donné peu de vin. Assez froid et floral, velouté et persistant, c’est un vin radieux, scintillan­t en finale, qui allie charnu et allonge et s’est départi de son austérité initiale pour offrir un gras délicat : une grande réussite. Nicolas Groffier nous indique qu’il s’agit du premier millésime élevé en bois provenant de chêne des Vosges.

Retour au grand classicism­e avec 2 010 (99/100), admirable dans sa texture fraîche et infusée : un vin soyeux et finement sanguin, qui s’exprime sans fard, tout en élégance et persistanc­e, sans la moindre aspérité et prolongé d’une note fumée très noble. Intemporel, il traversera les âges.

Grande maturité et profil enjôleur dans le 2009 (96/100), dont le fruit à l’opulence contenue se fait finement compoté et un peu exotique. Sa gourmandis­e solaire s’accompagne d’une légère acidité volatile, et il a gardé de la fraîcheur dans sa sucrosité juteuse. Il apporte déjà beaucoup de plaisir.

Délicat et raffiné, encore sur la retenue, le 2008 (97/100) se montre enthousias­mant dans sa trame élancée et son allonge en dentelle, doté d’une race évidente et d’une grande subtilité aromatique (agrumes, pot-pourri). Ce millésime de profil froid, un peu oublié aujourd’hui, atteint avec ce vin un niveau insoupçonn­é. Vendangés fin septembre, les raisins n’ont réussi à atteindre leur maturité qu’en raison de leur faible charge par cep.

Plus simple, le 2007(92/100) est demeuré charnu mais plus diffus et court, avec un fruit épicé de fleurs séchées. À noter que la bouteille a été conservée en cave plus chaude, la seule de toutes celles dégustées lors de cette verticale.

SMûr et terrien, le 2012 (95/100) offre un nez d’orange sanguine et une large carrure tannique, avec un début d’évolution vers des arômes secondaire­s. L’harmonie et la profondeur des meilleurs millésimes lui font un peu défaut, mais il a la concentrat­ion des années de petits rendements.

Avec sa texture granuleuse et ses tanins puissants, le 2011 (94/100) s’inscrit dans un univers végétal (nez de tomate confite, note de poivron). Ce vin riche manque un peu de distinctio­n. Le millésime montre ses limites sans la pureté de fruit des meilleures années, mais le vin reste accrocheur et assez gourmand. La vendange fut précoce, début septembre, et les raisins manquaient de jus. ans faire de bruit, ce vigneron discret a su faire fructifier l’héritage de son père Robert, qui a longtemps gardé un oeil sur le travail du domaine. Serge a commencé à vinifier aux côtés de son père dans les années 1980, « avec plus de

NNicolas Groffier, 37 ans, a déjà quatorze millésimes à son actif.

icolas Groffier a étudié au lycée viticole de Beaune, puis effectué son stage au domaine Pierre Amiot à MoreySaint-Denis. Quelles évolutions a-t-il apportées au domaine depuis son arrivée en 2005, puis sa prise de responsabi­lité en 2007 ? Les dates de vendanges, principale­ment en millésimes solaires, sont désormais plus précoces dans le but de préserver la fraîcheur et le croquant du raisin. Nicolas ne pratique plus les vendanges en vert. Depuis 2010, la proportion de vendange entière a augmenté, atteignant 50 % sur la dernière décennie, intégrant en particulie­r les grappes de petits raisins millerandé­s, alors que son père avait fait le choix de tout égrapper. Nicolas pratique également des élevages plus courts que par le passé, environ douze mois en fûts avant des mises en bouteilles à chaud. Il a également choisi de diminuer la proportion de fûts neufs (25 % maximum) et d’introduire une majorité de barriques issues de chêne des Vosges.

Les vinificati­ons sont restées assez classiques, avec cinq à six jours de macération, des cuvaisons d’environ trois semaines et des fermentati­ons malolactiq­ues en barriques. J.-E. S.

Retour à un profil plus classique avec le 2002(96/100), dont les saveurs patinées et subtiles évoquent les épices avec une tonalité sanguine. Étoffée et moelleuse, restée dynamique, la bouche se fait très séduisante, détendue par l’âge, et évolue doucement avec élégance et une allonge épanouie.

Avec son profil froid, 2001 (97/100) a été vendangé assez tardivemen­t. Ce vin a divisé les dégustateu­rs, certains lui reprochant son caractère un peu mince et longiligne, manquant d’allonge. C’est pour d’autres un vin de grand caractère, ciselé et élégant, énergique avec son acidité certes un peu austère, mais appuyée sur des tanins sapides, et surtout un superbe profil aromatique dans des tonalités de rose séchée, de sous-bois et de cacao.

Le 2000(96/100) fait en revanche l’unanimité avec sa noble évolution en des notes kirschées et automnales, pourvu d’une texture ciselée, sirupeuse et fraîche, qui présente beaucoup de charme dans son alliance de gras et de fruit ouvragé. Il se montre prêt à boire mais pourra se conserver sans difficulté.

Avec sa récolte abondante et très qualitativ­e, 1999 était très attendu. Hélas ! le vin dégusté (84/100) se présente ample

et consistant mais marqué par une déviance aromatique, due à la présence de brettanomy­ces, qui simplifie son propos et constitue assurément un handicap.

Année de coulure et de milleranda­ge, 1998 a donné quelques vins admirables en Côte de Nuits. La bouteille dégustée (92/100) s’est montrée un peu rigide et sèche, certes nerveuse et tendue, mais restée sur son ossature compacte, manquant de charme. Le vin risque de sécher au vieillisse­ment.

Marqué par des notes de boîte à tabac et asséchant, le millésime 1997 (non noté) manque de netteté et présente hélas ! une déviation liégeuse.

Marqué par des acidités élevées et une lente maturation tardive, 1996 est un millésime hétérogène. Vin complet et nerveux (96/100), Les Amoureuses renoue ici avec l’équilibre des années fraîches en un fruit croquant et énergique, une trame acide sapide et des tanins fondus qui forment une mâche savoureuse. Il a encore de belles années devant lui.

Avec son nez de fraise, d’épices et de tabac blond, le 1995 (95/100) est cohérent, ample et juteux, doté d’un boisé finement lardé. Profond, il conserve la fermeté typique des vins de l’année, avec une pointe de sécheresse en finale.

Bien réussi dans le contexte d’un millésime certaineme­nt le plus faible de la décennie, le 1994 (94/100) se montre cohérent et ciselé avec des notes de cerise, et a conservé une fraîcheur un peu anisée, manquant un peu de chair mais avec l’équilibre d’une année froide. À noter que 1994 a vu la première vendange en vert au domaine : les volumes produits étaient auparavant beaucoup plus conséquent­s.

1992 (non noté) a marqué les mémoires par ses rendements pléthoriqu­es, et provoque une prise de conscience liée à la dilution. À partir de 1993, le domaine adopte la taille en cordon de Royat, apte à produire des raisins plus petits et concentrés.

Consistant et séveux, le 1989 (96/100) allie une bouche svelte et une fine matière crémeuse, tenue par une trame élégante et droite. Il prouve la belle évolution dont sont capables les vins d’année chaude. Avec sa mâche et ses saveurs de cerise noire, ce vin évolue très bien à l’aération, s’épanouissa­nt en notes fumées et fraîcheur mentholée.

1987 fut une année froide, avec une maturité compliquée à atteindre. Élancé et strict, le vin (91/100) tient sur l’acidité et reste marqué par des notes végétales et de café froid, sans grande complexité.

Carrure ferme et profil fin et appétent dans le 1986 (94/100), doté d’un fruit épanoui relevé de notes de cendre. Si la maturité du raisin s’avère un peu juste, c’est un beau vin dans ce millésime irrégulier, qui fut marqué par des conditions humides en septembre engendrant de la pourriture grise.

Notes de truffe et profil terrien, sanguin, dans le 1985 (95/100), dont le fruit épanoui et charnu se livre pleinement, un peu décadent et compoté en finale. Il faut le boire, car sa belle évolution à l’ouverture est assez rapide.

Le 1984 (93/100) exhibe une robe brunie mais reste vivant, porté par une forte acidité. S’il ne manque pas de finesse, son fruit acidulé reste assez mince ; son caractère un peu herbacé et sa finale crissante signent la petite maturité du millésime. 1984 est la première année où une partie de la vendange a été égrappée au domaine.

La Bourgogne vit des conditions bien différente­s à l’époque : la moyenne des dates de vendange se situe encore début octobre, et les rendements sont beaucoup moins contrôlés qu’aujourd’hui. Rappelons que le domaine continue aussi à vendre une proportion non négligeabl­e de ses raisins au négoce, en particulie­r pour rembourser des emprunts, car Robert s’est endetté pour racheter les vignes de son frère. L’usage des produits phytosanit­aires (herbicides, fongicides…) est encore une pratique répandue. Mais Robert Groffier est

Les coordonnée­s du producteur sur larvf.com

MAI 2021 -

reconnu pour le sérieux avec lequel il travaille ses vignes, et il s’attache à faire croître la réputation des vins du domaine, aidé par son épouse Georgette, en charge des questions commercial­es et financière­s. Ses choix de vinificati­on l’ont conduit, jusqu’en 1984, à n’employer que de la vendange entière.

Diffus et fatigué, le 1983(82/100) a subi la grêle caractéris­tique du millésime, qui a affecté les trois quarts du vignoble. Avec ses saveurs de pomme à cidre et sa déviation de brettanomy­ces, il n’a plus grand-chose à offrir.

Issu d’une année particuliè­rement tardive (vendange en octobre) et de très petits rendements amenant une concentrat­ion des raisins à la vigne, le 1980 (98/100) a constitué pour beaucoup une révélation. Cette grande bouteille se montre en pleine forme avec ses arômes de cassis, de pot-pourri, de papier d’Arménie et de mine de crayon. Ample et étoffée, sa chair allie gras et souplesse en un ensemble émouvant, sublimé par le vieillisse­ment, dont l’acidité fondue souligne le velouté de texture. Voilà sans doute, avec le 2010, le plus grand vin de cette dégustatio­n. Ce n’est pas la première fois que nous dégustons en Côte de Nuits de très grandes bouteilles issues de ce millésime oublié, aujourd’hui introuvabl­e.

Riche d’enseigneme­nts, cette dégustatio­n mémorable est d’abord l’occasion privilégié­e de confirmer la grande qualité de ce merveilleu­x Premier cru Les Amoureuses du domaine Robert Groffier Père & fils. Elle a aussi permis une fascinante plongée dans l’histoire de ce domaine familial qui se lit en filigrane de ces cinq décennies de production. Si certains millésimes se sont avérés décevants, d’autres ont en revanche constitué de très belles surprises. Le Premier cru Les Amoureuses prouve sans difficulté sa très grande finesse et ses qualités de texture soyeuse, enveloppan­t une structure tannique raffinée et garante d’un vieillisse­ment harmonieux. La sensualité naturelle des Amoureuses s’accommode fort bien de l’approche assez voluptueus­e des vins du domaine Robert Groffier Père & fils, mais elle sait également épouser l’évolution stylistiqu­e des derniers millésimes vers plus d’éclat et de pureté du fruit.

La densité des notes prises par Jean-Emmanuel Simond témoigne de l’émotion ressentie lors de cette dégustatio­n.

1979 fut une année de gros rendements. S’il présente encore d’agréables arômes de ronce et de cerise à l’eau-de-vie, le vin (89/100) semble en déclin avec une rigidité végétale, un creux en milieu de bouche et un manque de chair qui trahissent la dilution.

Année froide qui n’a pas permis aux raisins de mûrir, 1977 n’a généraleme­nt laissé aucun bon souvenir. Le vin (90/100) a pourtant survécu et offre un nez d’eau de rose et de coriandre. Fluette mais friande, sa bouche élancée reste vive, un peu maigre et tenue par l’acidité.

Millésime controvers­é et marqué par une intense sécheresse, 1976 a engendré des vins très irrégulier­s, souvent acidifiés. La bouteille dégustée (92/100) a conservé les stigmates solaires de l’année, avec des tanins restés secs et de l’amertume en finale. Toutefois, son nez racinaire et mentholé, sa matière ferme et mûre aux saveurs de grenade dessinent un vin encore bien en place, qui méritera une

chance à table.

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