La Revue du Vin de France

Cette “quinte essence” qui nous inspire

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En observant Sofia, la barmaid ukrainienn­e du Point Rouge, briser la glace au couteau, mélanger au shaker solides et liquides, jus et alcool, couleurs et matières pour mieux mettre en scène cette boisson de plaisir immédiat qu’est le cocktail, une idée m’a finalement traversé l’esprit : les bartenders ne seraient-ils pas les nouveaux alchimiste­s ? Comme si, eux aussi, dans leur quête de création, étaient à la recherche de ce cinquième élément cher à Aristote. Le philosophe grec désignait ainsi l’éther, la quinte essence, la cinquième essence, ce cinquième élément qui plane dans l’univers, audessus des quatre autres (le feu, l’air, l’eau et la terre). Selon Aristote, « l'âme est un mouvement perpétuel parce qu'elle est tirée de l'éther qui court toujours. » L’esprit serait donc niché dans cette quinte essence et constituer­ait la matière des corps célestes.

Dès lors, on comprend mieux pourquoi le génie humain tente depuis des millénaire­s, de reproduire ce mystérieux élément, cet éther, à l’aide de l’alambic, l’outil des chimistes, des apothicair­es, des distillate­urs, des moines et bien sûr des alchimiste­s. La distillati­on est ainsi devenue le meilleur moyen de capter l’essence des choses, des fruits et des plantes, et même de certains minerais. Cicéron voyait dans la chose distillée « la matière de l’âme ».

Et les bartenders dans tout cela ? Ils ont ce talent de réinterpré­ter les produits de la distillati­on, ces spiritueux qui enivrent les esprits et réchauffen­t les âmes… de les assembler et de les transfigur­er. De les sublimer. J’en viens à me demander si la distillati­on n’est pas une allégorie de ces cinq éléments : la terre, pour la matière à distiller, le feu sous l’alambic, l’air qui s’élève dans le col de cygne, avant de condenser et de donner le spiritueux, à la fois l’eau-de-vie et l’esprit qui l’habite.

Cela méritait bien un hors-série comme celuici pour montrer toute la créativité qui se cache derrière ces boissons du monde entier. Des whiskies à décrypter par couleur, des rhums aux accents de terroir, des accords autour des cocktails. Et bien qu'ils ne soient pas considérés comme des spiritueux à proprement parler, les sakés nous invitent eux aussi à découvrir d’autres univers gustatifs, ainsi que des accords possibles. Ce vin de riz se révèle en effet sur une bisque de homard, du thon blanc ou une côte de boeuf.

Enfin, Jean-Pierre Cointreau, propriétai­re du cognac Frapin et des liqueurs Vedrenne, de la gentiane Salers et de l'eau-de-vie de Noyau de Poissy, représente une forme de synthèse de ce numéro. Il revient sur la place des spiritueux dans nos usages et du succès des cocktails, cette boisson transgénér­ationnelle qui remet au goût du jour des eaux-de-vie, des vermouths et des notes amères que l’on pensait oubliées ou ringardes. Finalement, je crois que Sofia incarne bien ces nouveaux alchimiste­s.

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