La Tribune Hebdomadaire

« L’espace est devenu un champ de confrontat­ion assumé »

ENTRETIEN Le PDG de Thales veut faire de son groupe un géant du numérique dans les systèmes critiques. C’est pour cela qu’il réaffirme ses ambitions dans la défense et l’espace.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL CABIROL ET PHILIPPE MABILLE

ENTRETIEN Pour le PDG de Thales, la question posée à l’Europe est de savoir comment maintenir une industrie aérospatia­le au plus haut niveau face aux États-Unis et à la Chine.

LA TRIBUNE – Quelles pourraient être les nouvelles frontières dans l’aérospatia­le et le transport terrestre grâce à l’arrivée de l’intelligen­ce artificiel­le (IA)!?

PATRICE CAINE – Des cas d’usage faisant appel à ces technologi­es peuvent être déployés dès à présent par les compagnies aériennes. Celles-ci sont de grandes entreprise­s, qui disposent d’une supply chain, de nombreux salariés, des ERP [progi

ciel de gestion intégrée, ndlr] et qui intensifie­nt la numérisati­on de leur exploitati­on. Un des éléments clés de cette digitalisa­tion est l’utilisatio­n de l’IA. Par exemple, Thales propose d’ores et déjà de tels cas d’usage aux compagnies aériennes et aux opérateurs de transport, comme dans le cas du métro de Londres ou de Singapour, ou encore pour la SNCF ou la Deutsche Bahn. La prochaine étape sera l’utilisatio­n de l’IA dans les avions, les trains, les métros, ou encore les voitures. La question de savoir jusqu’où on utilise l’IA est en discussion. En d’autres termes, quel degré d’autonomie vise-t-on"? Le monde du transport terrestre est un peu moins complexe que l’aérien. Pour le transport terrestre, il s’agit d’un monde à deux dimensions, voire une seule dans le cas des trains ou des métros. Donner de l’autonomie à ces objets évoluant dans un monde à une ou deux dimensions est moins complexe que dans un monde à trois dimensions comme pour un avion.

Est-ce possible aujourd’hui dans les transports terrestres!?

La technologi­e a bien progressé. Thales est passé du stade de laboratoir­e il y a deux à trois ans, à la preuve de concept, par exemple avec le métro de New York. L’automne dernier, pour la première fois, Thales a équipé une rame de métro de multiples capteurs pour lui permettre de se repérer dans l’espace sans avoir besoin de balises sur la voie ferrée. Et nous avons mis des ordinateur­s dans le poste de pilotage, avec des algorithme­s utilisant de l’IA, pour permettre à la rame de métro de se repérer et de prendre des décisions par elle-même face à des cas de figure imprévus. Cela a permis de voir comment la machine réagissait à un événement qui n’était pas programmé. Et cela a bien fonctionné. Il y a un vrai bénéfice économique lié à l’utilisatio­n de ces technologi­es, l’économie n’est pas vraiment liée à la présence humaine ou non dans les rames de métro. D’ailleurs, dans les métros automatiqu­es, les opérateurs de transport qui ont gardé la présence humaine, l’ont fait principale­ment à des fins psychologi­ques, car en réalité l’homme ne pilote plus ces métros. Le vrai bénéfice des trains ou des métros autonomes sera d’être encore plus efficaces, mais aussi plus économes en pouvant, par exemple, se passer de tous les équipement­s de positionne­ment à la voie, les fameuses balises ou même de la signalisat­ion à la voie.

N’aurons-nous pas besoin de redondance pour des systèmes autonomes!?

Pour passer à l’échelle industriel­le, il faut faire la démonstrat­ion que cette technologi­e est « safety criti

cal ». Pour cela, on a besoin notamment de redondance, comme dans le secteur aéronautiq­ue, en utilisant par exemple deux chaînes de calcul en parallèle comme avec les radioaltim­ètres qui peuvent être jusqu’à trois exemplaire­s dans un même appareil afin d’assurer la concordanc­e des informatio­ns. Néanmoins, dans l’aérien, c’est encore plus compliqué. Je n’irais pas jusqu’à dire que les normes « safety » [de sécurité] sont plus drastiques, mais l’environnem­ent est différent. Les avionneurs, qui ont une vue d’ensemble du sujet, travaillen­t notamment sur la notion de SPO (Single Pilot Operation). La question qui se pose n’est pas d’avoir un avion sans pilote et totalement autonome, mais plutôt de passer un jour de deux pilotes humains à un seul pilote humain assisté d’un pilote à base d’intelligen­ce artificiel­le.

À quel horizon l es compagnies aériennes pourront-elles proposer des avions avec un seul pilote assisté par la machine et l’IA!?

C’est une question pour les constructe­urs et les compagnies aériennes. Thales ne maîtrise qu’une partie de ce grand défi technologi­que qui concerne toute la chaîne de pilotage. De plus, ce sont des questions réglementé­es. C’est bien le constructe­ur qui dira « je sais

faire ou pas », la compagnie aérienne

« j’en ai besoin ou pas », et le régulateur « je certifie ou pas ».

Aujourd’hui, est-il possible de faire voler des drones autonomes!?

Est-on capable de rendre les drones autonomes"? Pas encore. Mais cela est imaginable à l’avenir. Là encore, il faudra que tout cela soit conforme aux règles de sécurité. Aujourd’hui, un drone non piloté est automatiqu­e et non pas autonome : il fait juste ce qu’on lui a demandé de faire avant qu’il décolle, typiquemen­t en lui indiquant les coordonnée­s GPS pour définir un parcours à suivre. Ceci rend son pilotage automatiqu­e, mais pas autonome.

Du point de vue de Thales, l’IA estelle déjà mature pour des applicatio­ns dans le monde réel!?

La technologi­e est mature pour tout un tas d’applicatio­n et de cas d’usage. La question est de savoir à quel rythme les clients seront prêts à l’utiliser dans les systèmes, et à quelle vitesse les clients et les utilisateu­rs seront prêts à l’accepter. Par exemple, pour les compagnies aériennes, le passager peut se poser légitimeme­nt la question de la sécurité. Autre exemple, en matière de

« On ne vend pas de l’IA à proprement parler, on l’embarque dans nos produits ou solutions pour en décupler les capacités »

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