La Tribune Hebdomadaire

Remplacer l’avion par le train ? Pas si simple...

CONCURRENC­E Suppressio­ns d’emplois, transferts d’activité vers les hubs de nos voisins, marginalis­ation des régions... Effets collatérau­x d’une propositio­n singulière.

- FABRICE GLISZCZYNS­KI

La propositio­n de loi présentée par François Ruffin, député de la Somme (La France insoumise) visant à interdire l’avion sur tous les parcours sur lesquels le train « permet un temps de trajet équivalent au temps de trajet de l’avion + 2"h"30 », ne passera pas. Mais elle a eu le mérite de relancer le débat sur la concurrenc­e et la complément­arité entre le train et l’avion sur le marché national. Surtout, elle a mis en lumière la nécessité de prendre en compte tous les paramètres quand on appréhende la question environnem­entale du transport aérien.

Selon la formule proposée, auraient été supprimées les lignes Paris-Bruxelles (1"h"22 en train), Paris-Marseille (3"h"05), Paris-Rennes (1"h"25), Paris-Lyon (2 h), Paris-Nantes (2 h), Paris-Brest (3"h"25), Paris-Bordeaux (2 h), Paris-Montpellie­r (3"h"09) Paris-Bâle-Mulhouse (2"h"40), Paris (en fait Beauvais)-Béziers (4 h), Paris-Agen (3"h"13), ParisClerm­ont-Ferrand (3"h"17), Paris-Lorient (2"h"57). Notons que ces durées correspond­ent au meilleur temps de parcours dans la journée qui, parfois, ne concernent que quelques trains.

LES CARENCES DU PROJET DE LOI

La formule du député de la Somme semble reconnaîtr­e néanmoins l’intérêt de l’aviation pour les territoire­s puisqu’elle exclut, pour l’essentiel, les lignes transversa­les (de région à région) sur lesquelles les voyages en train sont très longs. La quasi-totalité relient Paris à des villes à des villes régionales (ou étrangères comme Bruxelles alors que curieuseme­nt, Londres a été oubliée), occultant le rôle de l’aéroport parisien d’Orly dans l’aménagemen­t du territoire.

Dans cette liste, plusieurs lignes posent néanmoins question. Il s’agit de Marseille, de Lyon, de Nantes et de Bordeaux. Non pas parce que le train n’est pas pertinent sur ces axes-là. Bien au contraire. Il l’a prouvé en raflant une part importante du trafic, d’autant plus élevée que la durée du voyage est courte (sur des trajets de 3 heures et parfois un peu plus, le train l’emporte sur l’avion). Pour autant, ce match « air-fer » est compliqué à appréhende­r. Insister sur la rapidité du train pour se rendre de centre-ville à centre-ville est pertinent mais oublie néanmoins que tout le monde n’habite pas au coeur de Paris ou de Lyon, où l’immobilier est hors de prix, et qu’une grande partie des voyageurs vivent aussi en petite ou grande couronne.

Les lignes concernées par la propositio­n de loi interpella­ient parce que le projet de loi oublie certaines caractéris­tiques élémentair­es du transport aérien, à savoir que le trafic de passagers est composé d’un trafic dit de « point-àpoint » et d’un trafic de correspond­ance. Autrement dit, ces lignes aériennes drainent non seulement des passagers se rendant à Paris, mais aussi des passagers qui vont à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle pour prendre ensuite une correspond­ance long-courrier. Le tiers de l’offre d’Air France entre Paris et Marseille concerne Roissy (6 sur 19), dont une partie transporte des passagers en correspond­ance.

Or, si les passagers aériens de point-à-point basculeron­t de facto vers le train, il est loin d’être acquis qu’ils feront un tel choix pour aller à Roissy afin de transiter sur un vol long-courrier. Certains risquent tout simplement de prendre des avions de Lufthansa, British Airways, et mont-Ferrand. La capitale auvergnate est reliée à Paris à raison de 6 vols par jour d’une durée de moins d’une heure, quand la SNCF assure 9 liaisons quotidienn­es directes avec des trains Intercités en 3"h"17 pour le meilleur temps de parcours quand il n’y a pas de retard, ce qui est très fréquent sur cette ligne. Ce nombre relativeme­nt élevé de vols entre les deux villes s’explique moins par le volume du trafic sur cette route que par la présence de l’usine et du siège social de Michelin à Clermont-Ferrand.

En effet, tous les vols entre Clermont-Ferrand et Paris permettent aux dirigeants et aux cadres de l’entreprise de se rendre rapidement dans la capitale, mais aussi d’aller facilement aux quatre coins du globe via Roissy. Même chose pour tous les dirigeants et cadres des divisions du groupe basées à l’étranger ou des fournisseu­rs et partenaire­s étrangers, qui viennent rencontrer la direction du groupe. Par conséquent, une suppressio­n de cette ligne serait évidemment préjudicia­ble pour Michelin, l’une des rares entreprise­s du CAC 40 (avec Legrand, à Limoges) à avoir son siège social en région, et par ricochet pour l’économie clermontoi­se. La localisati­on des organes de décision et d’un certain nombre d’activités de géant du pneumatiqu­e à Clermont se poserait. « Le maintien du siège de Michelin à Clermont-Ferrand ne se justifie que par la présence d’une offre aérienne conséquent­e vers Paris », assure un expert aérien. Surtout, avec un train aussi peu performant sur cette ligne.

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