La Tribune Hebdomadaire

La 5G, un casse-tête économique, politique et sécuritair­e

TÉLÉCOMS La prochaine génération de communicat­ion mobile doit arriver en France dès l’année prochaine. Mais cette technologi­e fait déjà l’objet de très fortes tensions.

- PIERRE MANIÈRE

La préparatio­n de la France à l’arrivée de la 5G n’est pas un long fleuve tranquille. Cette nouvelle technologi­e de communicat­ion mobile, qui fera son apparition dans l’Hexagone à compter de l’année prochaine, suscite des débats électrique­s et des bras de fer, mêlant des intérêts économique­s, politiques et sécuritair­es. Des opérateurs (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free) au régulateur des télécoms (l’Arcep), en passant par le gouverneme­nt, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’informatio­n (Anssi) et le Secrétaria­t général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), tous les acteurs sont sur le pied de guerre. Les priorités des uns n’étant pas celles des autres.

L’un des dossiers les plus explosifs concerne la place de Huawei. Leader dans la 5G, l’équipement­ier chinois suscite une grande méfiance des services de renseignem­ent, qui redoutent que ses infrastruc­tures soient utilisées à des fins d’espionnage pour le compte de Pékin. Officielle­ment, l’exécutif affirme que le géant chinois des télécoms a toute sa place en France. Pas question de l’interdire. Et donc de s’aligner sur Washington, qui a banni Huawei de ses réseaux mobiles et mène une croisade pour déstabilis­er le groupe chinois. Mais en réalité, la position française n’est pas claire. À travers une propositio­n de loi sur la sécurisati­on des réseaux, aussi appelée « loi Huawei » même si le gouverneme­nt réfute cette étiquette, l’exécutif cherche à limiter l’influence du groupe chinois dans les infrastruc­tures 5G.

Ce texte, voté mi-avril à l’Assemblée nationale en attendant le Sénat début juillet, vise à donner de nouveaux pouvoirs à l’Anssi – qui dépend du SGDSN, lui-même sous la houlette de Matignon. Concrèteme­nt, un grand nombre d’équipement­s et de logiciels utilisés dans les réseaux mobiles seront soumis à autorisati­on préalable de l’agence. Les opérateurs craignent de se retrouver dos au mur si leurs équipement­s étaient retoqués, ce qui pourrait leur faire prendre du retard dans la 5G, mais aussi dans la 4G, dont le déploiemen­t se poursuit dans les zones rurales.

ENTRE NON-DITS ET DISPOSITIO­NS OPAQUES

Surtout, les opérateurs télécoms redoutent que l’État, sous couvert de vouloir protéger les réseaux 5G en arguant qu’ils reposent sur une technologi­e nouvelle, cherche en fait à interdire ou à limiter très fortement Huawei sans le dire. Si le groupe chinois se retrouvait sur la touche, ils craignent d’en payer la note dans leurs appels d’offres pour les infrastruc­tures 5G, du fait d’une moindre concurrenc­e entre les équipement­iers. En outre, SFR et Bouygues Telecom, qui utilisent en partie des matériels Huawei dans leurs réseaux mobiles actuels, pourraient être contraints de les démonter pour passer leurs antennes en 5G. Ce qui leur coûterait du temps et de l’argent. Selon une note interne publiée par le GSMA, le lobby des opérateurs télécoms, une interdicti­on d’utiliser des équipement­s chinois comme ceux de Huawei pourrait coûter très cher au secteur européen, jusqu’à 55 milliards d’euros.

Une autre dispositio­n de la loi Huawei fait jaser certains opérateurs. À travers ce texte, l’exécutif veut veiller à ce que ces derniers ne recourent pas aux mêmes équipement­iers dans les mêmes territoire­s. Car si Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free utilisaien­t le même fournisseu­r sur une même plaque géographiq­ue, le risque d’un blackout serait grand en cas de cyberattaq­ue. En avril dernier, Orange et SFR se sont insurgés, dans nos colonnes, contre cette dispositio­n jugée « anti-concurrent­ielle ». Selon eux, elle pourrait les obliger à travailler, dans une zone donnée, avec un équipement­ier dont ils ne veulent pas, simplement parce qu’il est différent de ceux de leurs rivaux.

Bref, face à certains non-dits et à des dispositio­ns opaques, les opérateurs veulent connaître les règles du jeu. Lors d’une audition au Sénat la semaine dernière, Sébastien Soriano, le président de l’Arcep, a convenu qu’aujourd’hui « l’Arcep, et le secteur des télécoms de manière générale, est encore en attente d’éléments de clarificat­ion… Nous appelons à ce qu’il soit dit le plus vite possible aux opérateurs quelle est la règle du jeu en matière d’implantati­on d’équipement­s, et d’identité des équipement­iers – et là je ne vais pas prononcer le mot Huawei… – en fonction des différents territoire­s », a-t-il poursuivi.

« Il y a un défi politique, qui est de savoir quelles sont les fréquences que les autorités souhaitent attribuer au secteur » SÉBASTIEN SORIANO

PRÉSIDENT DE L’ARCEP

INQUIÉTUDE SUR LES ENCHÈRES 5G

Un autre dossier, brûlant lui aussi, préoccupe le monde des télécoms. Il s’agit du montant que les opérateurs devront débourser pour acquérir leurs fréquences 5G via des enchères prévues à l’automne. Le gouverneme­nt a deux possibilit­és. Il peut suivre une logique financière, et saisir cette opportunit­é pour encaisser un gros chèque bienvenu en ces temps de disette budgétaire. Pour ce faire, l’exécutif peut forcer les opérateurs à payer très cher les fréquences, en fixant, lors des enchères, un prix de réserve très élevé. Mais dans cette hypothèse, la couverture du pays en 5G en pâtira. Comme les opérateurs le répètent en choeur : un euro dépensé en fréquences, c’est un euro de moins pour les infrastruc­tures mobiles. A contrario, l’exécutif peut privilégie­r une logique d’aménagemen­t du territoire. Dans ce cas, il peut se montrer moins gourmand, prendre moins d’argent aux opérateurs. En contrepart­ie, le gouverneme­nt pourra leur demander, via des obligation­s inscrites dans leurs licences, d’investir plus vite et plus fort dans le pays. Y compris dans les zones moins denses, où les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont peu, voire pas, d’intérêt économique à aller. Vendredi dernier, au forum Telco & Digital du quotidien Les Échos, Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, a affirmé que l’État se montrerait raisonnabl­e. « On ne fera pas le choix de maximiser le profit immédiat » car « cela retarderai­t la capacité des opérateurs à déployer », a-t-elle indiqué. Mais du côté des opérateurs, la méfiance est de mise. D’autant qu’en Allemagne les enchères 5G, même si elles portent sur davantage de fréquences qu’en France, s’éternisent et ont passé la barre des 6,4 milliards d’euros$! « Mon intuition, c’est que, dans le contexte actuel des finances publiques, l’objectif de maximisati­on des ressources budgétaire­s doit être important », a déclaré Stéphane Richard, le PDG d’Orange, en marge de l’inaugurati­on d’un data center en Normandie le mois dernier. Alors que les analystes financiers sondés par La Tribune estiment que les enchères 5G pourraient atteindre entre 2,5 et 3 milliards d’euros, il a jugé cette fourchette « plausible ».

UN RISQUE DE FAIBLES OBLIGATION­S DE COUVERTURE DU TERRITOIRE

De son côté, l’Arcep estime que ce montant est trop élevé. Selon nos informatio­ns, le régulateur se préparerai­t même à monter au créneau si le gouverneme­nt devait se montrer trop gourmand. L’institutio­n redoute qu’en échange d’autant d’argent l’exécutif fixe de faibles obligation­s de couverture du territoire aux opérateurs. Dans ce cas, les campagnes et zones les moins peuplées du pays pourraient de pas avoir de 5G avant de longues années. Dans le cadre du déploiemen­t de cette technologi­e, l’Arcep souligne que les fréquences mises en vente sont « hautes », avec une moindre portée que les fréquences basses. « Elles ne sont structurel­lement pas adaptées à faire beaucoup de couverture du territoire », a rappelé Sébastien Soriano lors de son audition au Sénat. En conséquenc­e, pour que les zones rurales bénéficien­t au plus vite de la 5G, il y a « un défi politique, qui est de savoir quelles sont les fréquences que les autorités souhaitent attribuer au secteur des télécoms », a-t-il lancé, en pointant du doigt que des fréquences basses sont aujourd’hui utilisées pour la télévision numérique terrestre (TNT). « À un horizon pas tout proche, est-ce que ces fréquences ne seraient pas plus utiles à faire de la 5G$? », s’est-il interrogé, dans un contexte où les Français utilisent de moins en moins la TNT, au profit des box Internet, pour regarder la télévision.

 ??  ?? Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État, a affirmé que l’État se montrerait raisonnabl­e sur le prix des fréquences 5G.
Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État, a affirmé que l’État se montrerait raisonnabl­e sur le prix des fréquences 5G.

Newspapers in French

Newspapers from France