La Tribune Hebdomadaire

Éolien offshore : veillée d’armes à Dunkerque

ÉNERGIE Les prix très bas proposés par certains candidats au large du Dunkerquoi­s retardent les résultats d’un appel d’offres qui doit faire entrer le marché français dans une nouvelle ère.

- DOMINIQUE PIALOT

Certains avaient espéré que le lauréat de l’appel d’offres éolien offshore pour 500 mégawatts (MW) au large de Dunkerque, qui s’est clos le 15 mars dernier, serait désigné lors des Assises des énergies marines organisées le 4 juin dans la ville. Le délai supplément­aire que s’octroient la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et le gouverneme­nt pour étudier les dossiers de candidatur­e pourrait être lié au nombre de prétendant­s. Si la liste des candidats ayant réellement déposéuneo­ffren’estpaspubl­ique, on sait qu’une petite dizaine de consortium­s sont sur les rangs. Car cet appel d’offres, le premier lancé en France – il y a deux ans – depuis celui de 2014, a suscité un engouement sans précédent auprès de tous les grands acteurs de l’éolien offshore européen.

EDF EN, dont le Conseil d’État vient de valider l’autorisati­on

d’exploiter le projet de parc éolien en mer de Saint-Nazaire (LoireAtlan­tique), l’un des trois parcs remportés lors du premier appel d’offres de 2012, sera le premier énergétici­en à pouvoir construire un parc au large des côtes françaises. Cette décision conforte probableme­nt l’opérateur dans son choix de concourir à Dunkerque avec son partenaire des premiers parcs, le canadien Enbridge et l’allemand Innogy. « Pour nous, Dunkerque est un projet très important, affirme Béatrice Buffon, directrice Énergies marines renouvelab­les EDF Renouvelab­les. Ce serait un relais de croissance après l’achèvement de nos premiers parcs, une contributi­on importante à la stratégie Cap 2030 du groupe EDF, qui prévoit le doublement de nos capacités renouvelab­les dans le monde entre 2015 et 2030. Ce projet permettrai­t un renforceme­nt de notre lien avec le Dunkerquoi­s où le groupe est déjà très présent. » Et la jeune femme de mettre en avant l’expérience acquise sur ces premiers projets, notamment dans les relations avec les pêcheurs et, plus largement, l’intégratio­n locale, ainsi qu’une étude approfondi­e du site depuis deux ans. Même stratégie pour Engie. Après avoir remporté ensemble les parcs de Dieppe-Le Tréport (Seine-Maritime), des îles d'Yeu et Noirmoutie­r (Vendée) et de la ferme pilote flottante de Leucate (Aude), le français et le portugais EDPR ont annoncé, en mai, une coentrepri­se à l’échelle mondiale pour l’éolien en mer. Pour Dunkerque, ils ont été rejoints par l’allemand E.ON. L’espagnol Iberdrola, lauréat de l’appel d’offres de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), est également dans la course aux côtés du britanniqu­e RES.

LES PÉTROLIERS SHELL ET TOTAL SUR LES RANGS

Le suédois Vattenfall fait équipe avec WPD France et la Caisse des dépôts. « Nous sommes implantés en France depuis près de vingt ans, d’abord dans la fourniture d’électricit­é aux entreprise­s, et depuis octobre 2018 aux particulie­rs, rappelle Yara Chakhtoura, directrice générale de l’activité pour la France. Mais la France est le seul des pays dans lesquels nous sommes présents sans disposer de notre production d’électricit­é en propre. » Le consortium met en avant les atouts cumulés par les différents partenaire­s. « Nous sommes l’alliance la plus qualifiée de l’appel d’offres, avec une expérience exhaustive#: treize parcs en exploitati­on, trois parcs déjà démantelés, nous sommes présents sur cinq des six parcs des rounds 1 et 2 français… »

« Vents de Dunkerque » regroupe le néerlandai­s Eneco, présent depuis dix ans dans le développem­ent de parcs en mer en Europe de l'Ouest, DGE, filiale à 100 % de Mitsubishi Corporatio­n, et le constructe­ur de parcs offshore néerlandai­s Van Oord, qui ont déjà développé plusieurs projets ensemble. Le canadien Boralex, tout en continuant de participer au développem­ent du projet, a annoncé qu’il céderait sa part à ses partenaire­s si le consortium l’emportait, le projet ne satisfaisa­nt plus ses critères d’investisse­ment. La présidente du consortium Lydia Schot, détachée d’Eneco, insiste sur l’habitude des partenaire­s de travailler dès la conception d’un projet avec les acteurs locaux et d’éviter les recours, limitant ainsi le temps et le coût de constructi­on d’un parc. En plus de l’écosystème local, le consortium a pris langue avec Technip, géant de l’offshore pour l’oil & gaz, mais encore absent de l’éolien. « Moulins de Flandre », constitué du groupe belge Deme, de l'énergétici­en Shell et de la PME française Quadran Énergies Marines (une activité qui n’a pas été cédée à Direct Energie, repris à son tour par Total), s’est monté en six mois. « On a été très tôt conscients qu’il y aurait un avant et un après Dunkerque sur le marché français », explique Stéphane Cicolella, directeur de la transition énergétiqu­e chez Shell.

L’autre pétrolier candidat, Total, a rallié en février seulement le belge Elicio, qui participe déjà à plusieurs projets en Flandre, avant de convaincre le danois Ørsted, leader mondial avec près de 30 % du marché, de l es rejoindre. Depuis une tentative avortée de partenaria­t avec EDF EN en 2012 lors du premier appel d’offres français alors qu’il s’appelait encore Dong, Ørsted a l’habitude de développer ses projets en solo. « Mais pour la France, deuxième potentiel en Europe après le Royaume-Uni, nous n’avions pas de réseau », reconnaît-on chez Ørsted. Or, comme EDF, Total est un acteur de longue date du bassin dunkerquoi­s.

DES SOUPÇONS DE DUMPING

Mais plusieurs candidats suspectent cet attelage d’avoir proposé des prix anormaleme­nt bas, ce qui expliquera­it que le lauréat ne soit toujours pas désigné plus de deux mois après la clôture de l’appel d’offres. Jean-François Carenco, président de la CRE, a déclaré, le 5 juin, que deux candidats seraient soumis à des questions complément­aires visant à éliminer tout soupçon de dumping ou de prix d’éviction. Éventuelle­ment pratiqués pour s’acheter une part de marché, ils menacent la viabilité de toute la chaîne de valeur. D’après le président de la CRE, le prix moyen serait de 51 euros le mégawatthe­ure (MWh), un tarif en dessous des prix de marché actuels. Mais des rumeurs font état de plus bas autour de 35 euros. Or, si plusieurs candidats en lice ont pu proposer récemment des prix de 65 euros, seul Vattenfall est parvenu à passer sous les 50 euros par MWh pour un parc remporté au Danemark en 2016, avant de gagner le premier appel d’offres sans subvention pour un projet aux PaysBas en mars 2018. Le cahier des charges attribue au critère prix un poids de 70 %, mais s’il peut prouver que le tarif proposé n’offre pas toutes les garanties de robustesse, le régulateur est en droit d’éliminer les consortium­s en question. Aussi, dans la mesure où le projet devrait dans tous les cas s’avérer neutre pour les finances publiques, les candidats mettent en avant d’autres critères%: implantati­on d’une équipe sur place, projets pédagogiqu­es divers, lettres d’intention signées avec les acteurs locaux, engagement­s vis-à-vis des pêcheurs, financemen­t participat­if, etc.

Cinq ans après l’attributio­n de cinq des six premiers parcs à des énergétici­ens français, la décision du gouverneme­nt, qui doit intervenir courant juin ou début juillet, est très attendue par les autres acteurs, qui guettent un signe d’ouverture du marché français à la concurrenc­e européenne. Seule certitude à ce stade, annoncée par vidéo par François de Rugy aux participan­ts des Assises, les moyens financiers libérés par la compétitiv­ité de l’appel d’offres de Dunkerque seront redéployés dans l’éolien en mer. Une bonne nouvelle pour la filière, qui réclamait une révision à la hausse des volumes affichés dans le projet de Programmat­ion pluriannue­lle de l’énergie (PPE), notamment un volume annuel de 1%000 MW minimum au lieu des 600 MW initialeme­nt prévus, et un lissage des appels d’offres dans le temps.

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