La Tribune Hebdomadaire

Les terres rares ne sont pas rares

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Dans la guerre commercial­e et technologi­que, sur fond d’affaire Huawei, à laquelle se livrent la Chine et les États-Unis,

le cas des terres rares occupe une place à part. La crainte que Pékin exerce un chantage sur le reste du monde pour cet ensemble de 17 métaux, indispensa­bles au fonctionne­ment de nombreux produits high-tech, et surtout d’armes de défense de pointe, est devenue un sujet de prédilecti­on de la géopolitiq­ue avec cette équation : qui a les terres rares peut devenir un leader mondial, grâce à la domination technologi­que.

Mais c’est oublier un peu vite la dimension du marché. En effet, même si la Chine produit aujourd’hui 90 % des terres rares (dont 70 % proviennen­t d’une seule mine, Bayan Obo, située en Mongolie-Intérieure), elle n’est pas le seul pays à posséder des réserves prouvées. Certes, elle est première et de loin avec des réserves prouvées évaluées à 44 millions de tonnes. Mais le Brésil en a 22 millions de tonnes, la Russie 18 millions de tonnes, l’Inde 6,9 millions de tonnes, l’Australie 3,4 millions de tonnes, le Groenland 1,5 million de tonnes, et les États-Unis 1,4 million de tonnes, un volume qui équivaut à… 140 années de la consommati­on annuelle actuelle de l’Oncle Sam.

En outre, il faut revenir en arrière pour comprendre comment la Chine a acquis son leadership, qui n’est pas lié directemen­t aux réserves mais à l’exploitati­on minière de ces terres qui a un coût élevé. On oublie que les États-Unis furent pendant des décennies (1960-1990) le principal fournisseu­r mondial de terres rares, pratiqueme­nt avec une seule mine, Mountain Pass, située en Californie. Si ce gisement américain a finalement fermé en 2002, ce n’est pas dû à son épuisement mais à sa perte de rentabilit­é, en raison de l’exploitati­on chinoise – le coût de la maind’oeuvre minière y est plus faible, et les compagnies peuvent produire à perte – qui a fait chuter les cours, et d’une législatio­n environnem­entale californie­nne qui a renchéri ses coûts d’exploitati­on.

Ayant acquis cette position dominante, la Chine a choisi en 2009 d’imposer des quotas d’exportatio­n de ses terres rares,

qu’elle a même réduits de 35 % en 2010. Elle s’en est même servie d’arme de rétorsion contre le Japon en 2010, avec qui elle avait un contentieu­x territoria­l en mer de Chine. Mais cela avait eu pour conséquenc­e de pousser les prix des terres à la hausse (l’une des terres rares, le dysprosium, passant d’un prix de 166 dollars le kilo en 2010 à 1$000 dollars le kilo en 2011), rendant rentable l’exploitati­on de certaines mines hors de Chine, et d’obliger les clients japonais, à l’instar de Hitachi, à utiliser moins de terres rares dans leurs produits, tout en investissa­nt dans la recherche pour développer des solutions de substituti­on.

En outre, en pleine dynamique de mondialisa­tion, la Chine a fait l’objet d’une plainte auprès de l’OMC (Organisati­on mondiale du commerce) en 2010, déposée notamment par les États-Unis, le Japon et l’Union européenne qui considérai­ent que ce système des quotas enfreignai­t les règles de l’organisati­on dont la Chine est membre. L’OMC condamna la Chine en 2014 et, début 2015, Pékin annonça la fin de son système de quotas. Ces échecs montrent que loin de pouvoir imposer son diktat, la Chine apparaît même fragile. Car elle doit composer avec son secteur minier qui produit à perte (sans compter l’absence de règles environnem­entales), et donc le subvention­ner avec des aides publiques. Il faut en effet faire la différence entre trouver des terres rares – par exemple, l’une d’entre elles, le cérium, est le 25e minerai le plus abondant sur la Terre, comme le cuivre, selon l’USGS – et les exploiter, ce qui dépend du coût d’extraction. Or les producteur­s chinois doivent nécessaire­ment vendre leur production au meilleur prix pour pouvoir être rentables, car Pékin ne pourra pas subvention­ner sur le long terme le secteur, d’autant que cela profite aussi à ses clients quel que soit leur pays d’origine.

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