[ Les femmes, force motrice de la transformation économique ]
« Les flux entre l’Europe et l’Afrique favoriseront la féminisation de l’économie, mais surtout si on les accélère » JALIL BENABDILLAH, PRÉSIDENT DE LEADER OCCITANIE
Cette volonté d’endosser de nouveaux rôles est perceptible dans les actions remarquables que portent de nombreuses femmes chefs d’entreprise dans les régions. En considérant l’intégration des objectifs de développement durable au sein des entreprises, un de leurs premiers sujets d’action reste la transition énergétique. À Montpellier, Stéphanie Andrieu a cofondé avec Arnaud Mine l’entreprise spécialiste du solaire photovoltaïque Urbasolar « il y a vingt ans, alors que le secteur des énergies renouvelables était émergent et peu connu ». Classée femme française la plus influente dans les ENR dans un palmarès publié en 2018 par la revue GreenUnivers, la DG d’Urbasolar a aussi été nommée ambassadrice de l’égalité hommes-femmes pour l’Occitanie par la secrétaire d’État Marlène Schiappa. « Chaque fois que je peux porter le message selon lequel les femmes peuvent venir travailler dans des secteurs techniques, comme les ENR, je le fais », explique Stéphanie Andrieu. Urbasolar porte aussi trois projets au Sénégal et au Burkina Faso : « Nous avons déjà équipé des centrales au Kenya, avec un programme de transfert de technologie. Nous fournissons une centrale qui sert en partie à un programme de recherche et de formation des ingénieurs locaux… » La transition énergétique, c’est aussi l’étendard de Fabienne Gastaud. DG de la PME niçoise WIT (gestion intelligente des énergies du bâtiment), elle plaide pour la bonne coopération avec les entreprises innovantes et les startups, à qui elle propose un espace d’hébergement. « L’idée est de développer le “do it yourself” et la créativité », ditelle. Fabienne Gastaud s’implique dans le Club Smart Grids Côte d’Azur, initié en 2015 par la CCI Nice Côte d’Azur et dont l’objectif est de démocratiser les réseaux intelligents auprès des acteurs économiques. « Notre objectif initial est de rassembler afin d’être une force de frappe et une porte d’entrée aux questions qui ne manqueraient pas de se poser. La smart city, c’est la ville d’aujourd’hui qui bénéficie des nouvelles technologies telles que l’IoT, l’IA, l’open data… pour se remettre en question, revoir son environnement et remettre le citoyen au coeur des préoccupations ». À Lyon, Léna Geitner et Enora Guérinel sont incontournables sur la question de l’économie sociale et solidaire. Convaincues que l’entreprenariat peut être un outil de transformation positif, elles ont imaginé Ronalpia, une structure associative qui accompagne les entrepreneurs sociaux à fort potentiel d’impact. « L’un de nos critères est la prise en compte de toutes les fragilités. Nous sommes attentifs aux fragilités individuelles, comme le handicap par exemple, mais nous intégrons de plus en plus de projets qui s’adressent à des territoires et des systèmes fragiles, comme l’environnement, l’éducation ou la justice », explique Léna Geitner. Depuis son lancement, l’association a suivi près de 110 entrepreneurs sociaux à Lyon, Grenoble, SaintÉtienne et sur des territoires plus isolés en Auvergne-Rhône-Alpes. Elle déploie aussi un programme d’appui à l’implantation d’entrepreneurs sociaux déjà installés en France et qui souhaitent ouvrir une antenne lyonnaise.
UN NOUVEL ESPACE PORTEUR D’ESPOIRS
Autre facteur majeur d’évolution, sur l’autre rive de la Méditerranée : la zone de libre-échange continentale
(Zlec), qui implique 42 des
55 pays membres de l’Union africaine (UA) à ce jour, est entrée en vigueur le 30 mai. L’initiative vise à créer un marché unique de 1,3 milliard de consommateurs, mais aussi, selon le mot d’Abdel Fattah al-Sissi, président de l’UA, « à mieux autonomiser les femmes africaines dans tous les domaines ». Car ces dernières sont dans une situation paradoxale : 24 % des femmes sur le continent créent leur entreprise, plaçant l’Afrique au premier rang de l’entrepreneuriat féminin dans le monde. Pourtant, elles continuent à éprouver de vives difficultés pour développer leur activité, se heurtant souvent au poids des cultures et des traditions. Pour renforcer leur participation à la vie économique, des organisations d’entrepreneures africaines s’activent, parmi lesquelles Women In Leadership (500 membres dans 17 pays). L’association travaille sur la sensibilisation des décideurs européens et africains et conduit des initiatives inclusives sur divers sujets (autonomisation, technologies, énergie, entrepreneuriat). « Les femmes méditerranéennes travaillent beaucoup en sororités, elles créent des clubs ou des assos pour s’entraider, mais les gouvernements les aident peu et, au final, elles ne collaborent qu’entre elles. Women In Leadership les met en relation avec des organisations travaillant sur les mêmes thématiques dans d’autres pays, pour faciliter l’octroi de bourses ou d’aides opérationnelles », décrit sa présidente Loubna Zair.
De son côté, l’African Women’s Forum (2$000 membres dans 45 pays) travaille pour un meilleur recensement de l’entrepreneuriat féminin, dans toute sa diversité (entreprises comme coopératives), sans oublier les femmes ne disposant pas des réseaux pour se connecter aux flux d’affaires internationaux. L’association s’attaque notamment à l’obstacle financier, car 70 % de femmes entrepreneures ont des difficultés d’accès aux institutions bancaires et aux capitaux. « Les financeurs continuent à leur demander des garanties ou des titres de propriété qu’elles n’ont pas. Devant ce constat, nous soutenons le projet de rassembler les fonds d’aides au développement au sein d’une banque dédiée aux femmes africaines chefs d’entreprise. Nous nous sommes constituées en lobby auprès de l’Union africaine et de la Communauté de l’Afrique orientale à cette fin », indique la présidente Naïma Korchi.
L’IMPACT DES ÉCHANGES NORD/SUD
Au regard de l’héritage historique, il existe une forte demande de coopération avec l’Europe et notamment la France. Basé en Occitanie, Leader, le cluster régional des entreprises en croissance maîtrisée (220 membres), a ouvert sa première implantation internationale en créant Leader Maroc, en 2018, à Casablanca. Si l’objectif est de connecter ces acteurs aux écosystèmes du pays et du continent, Leader Maroc conserve un regard sur la mixité : l’une des deux vice-présidences est réservée à une femme. De même, l’association conserve une forte orientation industrielle : sur les 120 entreprises régionales identifiées pour Leader Maroc, un tiers sont dans le spatial et l’aéronautique. L’émulation espérée doit aussi porter ses fruits sur ce sujet. « La majorité des Marocaines entrepreneures sont dans des activités à faible valeur ajoutée, comme le commerce de proximité ou l’agriculture. C’est souvent un moyen de subsistance. Or les actions de Leader dans l’industrie doivent s’appliquer à tout le monde, y compris aux femmes, en termes d’information, de participation aux grands forums, etc. », juge Jalil Benabdillah, président de Leader Occitanie.
C’est pourquoi Leader se rapproche de structures dirigées par des femmes, telles que Startup Grind, présidé par Hanane Aït Aissa, ou le Technopark, l’incubateur de startups de Casablanca. Depuis 2016, Lamiae Benmakhlouf dirige cette pépinière-accélérateur, née en 2001, qui vise à faire émerger et grandir les entreprises tournées vers les TIC, la green te ch et les industries culturel les. Formé eau management à l’ anglo-saxonne, elle l’a insufflé au Technopark, qu’elle a rejoint en 2002. Sa nomination comme DG de la structure est officialisée alors qu’elle revient de la Silicon Valley, où elle a suivi un programme visant à promouvoir les femmes chefs d’entreprise. Également présent à Rabat et Tanger, le Technopark accueille 300 entreprises. Depuis avril 2019, un accord de coopération lie le Technopark avec Marseille Innovation, l’objectif étant de permettre aux startups des deux territoires de suivre un programme d’accélération leur ouvrant des axes de développement en France comme au Maroc. « Les flux entre l’Europe et l’Afrique favoriseront la féminisation de l’économie, mais surtout si on les accélère », confirme Jalil Benabdillah.