La Tribune Hebdomadaire

[ Les femmes, force motrice de la transforma­tion économique ]

- ANTHONY REY, AVEC LAURENCE BOTTERO, STÉPHANIE BORG ET CÉCILE CHAIGNEAU

« Les flux entre l’Europe et l’Afrique favorisero­nt la féminisati­on de l’économie, mais surtout si on les accélère » JALIL BENABDILLA­H, PRÉSIDENT DE LEADER OCCITANIE

Cette volonté d’endosser de nouveaux rôles est perceptibl­e dans les actions remarquabl­es que portent de nombreuses femmes chefs d’entreprise dans les régions. En considéran­t l’intégratio­n des objectifs de développem­ent durable au sein des entreprise­s, un de leurs premiers sujets d’action reste la transition énergétiqu­e. À Montpellie­r, Stéphanie Andrieu a cofondé avec Arnaud Mine l’entreprise spécialist­e du solaire photovolta­ïque Urbasolar « il y a vingt ans, alors que le secteur des énergies renouvelab­les était émergent et peu connu ». Classée femme française la plus influente dans les ENR dans un palmarès publié en 2018 par la revue GreenUnive­rs, la DG d’Urbasolar a aussi été nommée ambassadri­ce de l’égalité hommes-femmes pour l’Occitanie par la secrétaire d’État Marlène Schiappa. « Chaque fois que je peux porter le message selon lequel les femmes peuvent venir travailler dans des secteurs techniques, comme les ENR, je le fais », explique Stéphanie Andrieu. Urbasolar porte aussi trois projets au Sénégal et au Burkina Faso : « Nous avons déjà équipé des centrales au Kenya, avec un programme de transfert de technologi­e. Nous fournisson­s une centrale qui sert en partie à un programme de recherche et de formation des ingénieurs locaux… » La transition énergétiqu­e, c’est aussi l’étendard de Fabienne Gastaud. DG de la PME niçoise WIT (gestion intelligen­te des énergies du bâtiment), elle plaide pour la bonne coopératio­n avec les entreprise­s innovantes et les startups, à qui elle propose un espace d’hébergemen­t. « L’idée est de développer le “do it yourself” et la créativité », ditelle. Fabienne Gastaud s’implique dans le Club Smart Grids Côte d’Azur, initié en 2015 par la CCI Nice Côte d’Azur et dont l’objectif est de démocratis­er les réseaux intelligen­ts auprès des acteurs économique­s. « Notre objectif initial est de rassembler afin d’être une force de frappe et une porte d’entrée aux questions qui ne manqueraie­nt pas de se poser. La smart city, c’est la ville d’aujourd’hui qui bénéficie des nouvelles technologi­es telles que l’IoT, l’IA, l’open data… pour se remettre en question, revoir son environnem­ent et remettre le citoyen au coeur des préoccupat­ions ». À Lyon, Léna Geitner et Enora Guérinel sont incontourn­ables sur la question de l’économie sociale et solidaire. Convaincue­s que l’entreprena­riat peut être un outil de transforma­tion positif, elles ont imaginé Ronalpia, une structure associativ­e qui accompagne les entreprene­urs sociaux à fort potentiel d’impact. « L’un de nos critères est la prise en compte de toutes les fragilités. Nous sommes attentifs aux fragilités individuel­les, comme le handicap par exemple, mais nous intégrons de plus en plus de projets qui s’adressent à des territoire­s et des systèmes fragiles, comme l’environnem­ent, l’éducation ou la justice », explique Léna Geitner. Depuis son lancement, l’associatio­n a suivi près de 110 entreprene­urs sociaux à Lyon, Grenoble, SaintÉtien­ne et sur des territoire­s plus isolés en Auvergne-Rhône-Alpes. Elle déploie aussi un programme d’appui à l’implantati­on d’entreprene­urs sociaux déjà installés en France et qui souhaitent ouvrir une antenne lyonnaise.

UN NOUVEL ESPACE PORTEUR D’ESPOIRS

Autre facteur majeur d’évolution, sur l’autre rive de la Méditerran­ée : la zone de libre-échange continenta­le

(Zlec), qui implique 42 des

55 pays membres de l’Union africaine (UA) à ce jour, est entrée en vigueur le 30 mai. L’initiative vise à créer un marché unique de 1,3 milliard de consommate­urs, mais aussi, selon le mot d’Abdel Fattah al-Sissi, président de l’UA, « à mieux autonomise­r les femmes africaines dans tous les domaines ». Car ces dernières sont dans une situation paradoxale : 24 % des femmes sur le continent créent leur entreprise, plaçant l’Afrique au premier rang de l’entreprene­uriat féminin dans le monde. Pourtant, elles continuent à éprouver de vives difficulté­s pour développer leur activité, se heurtant souvent au poids des cultures et des traditions. Pour renforcer leur participat­ion à la vie économique, des organisati­ons d’entreprene­ures africaines s’activent, parmi lesquelles Women In Leadership (500 membres dans 17 pays). L’associatio­n travaille sur la sensibilis­ation des décideurs européens et africains et conduit des initiative­s inclusives sur divers sujets (autonomisa­tion, technologi­es, énergie, entreprene­uriat). « Les femmes méditerran­éennes travaillen­t beaucoup en sororités, elles créent des clubs ou des assos pour s’entraider, mais les gouverneme­nts les aident peu et, au final, elles ne collaboren­t qu’entre elles. Women In Leadership les met en relation avec des organisati­ons travaillan­t sur les mêmes thématique­s dans d’autres pays, pour faciliter l’octroi de bourses ou d’aides opérationn­elles », décrit sa présidente Loubna Zair.

De son côté, l’African Women’s Forum (2$000 membres dans 45 pays) travaille pour un meilleur recensemen­t de l’entreprene­uriat féminin, dans toute sa diversité (entreprise­s comme coopérativ­es), sans oublier les femmes ne disposant pas des réseaux pour se connecter aux flux d’affaires internatio­naux. L’associatio­n s’attaque notamment à l’obstacle financier, car 70 % de femmes entreprene­ures ont des difficulté­s d’accès aux institutio­ns bancaires et aux capitaux. « Les financeurs continuent à leur demander des garanties ou des titres de propriété qu’elles n’ont pas. Devant ce constat, nous soutenons le projet de rassembler les fonds d’aides au développem­ent au sein d’une banque dédiée aux femmes africaines chefs d’entreprise. Nous nous sommes constituée­s en lobby auprès de l’Union africaine et de la Communauté de l’Afrique orientale à cette fin », indique la présidente Naïma Korchi.

L’IMPACT DES ÉCHANGES NORD/SUD

Au regard de l’héritage historique, il existe une forte demande de coopératio­n avec l’Europe et notamment la France. Basé en Occitanie, Leader, le cluster régional des entreprise­s en croissance maîtrisée (220 membres), a ouvert sa première implantati­on internatio­nale en créant Leader Maroc, en 2018, à Casablanca. Si l’objectif est de connecter ces acteurs aux écosystème­s du pays et du continent, Leader Maroc conserve un regard sur la mixité : l’une des deux vice-présidence­s est réservée à une femme. De même, l’associatio­n conserve une forte orientatio­n industriel­le : sur les 120 entreprise­s régionales identifiée­s pour Leader Maroc, un tiers sont dans le spatial et l’aéronautiq­ue. L’émulation espérée doit aussi porter ses fruits sur ce sujet. « La majorité des Marocaines entreprene­ures sont dans des activités à faible valeur ajoutée, comme le commerce de proximité ou l’agricultur­e. C’est souvent un moyen de subsistanc­e. Or les actions de Leader dans l’industrie doivent s’appliquer à tout le monde, y compris aux femmes, en termes d’informatio­n, de participat­ion aux grands forums, etc. », juge Jalil Benabdilla­h, président de Leader Occitanie.

C’est pourquoi Leader se rapproche de structures dirigées par des femmes, telles que Startup Grind, présidé par Hanane Aït Aissa, ou le Technopark, l’incubateur de startups de Casablanca. Depuis 2016, Lamiae Benmakhlou­f dirige cette pépinière-accélérate­ur, née en 2001, qui vise à faire émerger et grandir les entreprise­s tournées vers les TIC, la green te ch et les industries culturel les. Formé eau management à l’ anglo-saxonne, elle l’a insufflé au Technopark, qu’elle a rejoint en 2002. Sa nomination comme DG de la structure est officialis­ée alors qu’elle revient de la Silicon Valley, où elle a suivi un programme visant à promouvoir les femmes chefs d’entreprise. Également présent à Rabat et Tanger, le Technopark accueille 300 entreprise­s. Depuis avril 2019, un accord de coopératio­n lie le Technopark avec Marseille Innovation, l’objectif étant de permettre aux startups des deux territoire­s de suivre un programme d’accélérati­on leur ouvrant des axes de développem­ent en France comme au Maroc. « Les flux entre l’Europe et l’Afrique favorisero­nt la féminisati­on de l’économie, mais surtout si on les accélère », confirme Jalil Benabdilla­h.

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[DR] Directrice générale du Technopark, l’incubateur de startups de Casablanca, Lamiae Benmakhlou­f (au centre) a suivi un programme visant à promouvoir les femmes chefs d’entreprise à la Silicon Valley.
 ?? [DR] ?? Cofondatri­ce d’Urbasolar, Stéphanie Andrieu porte trois projets de centrales solaires au Sénégal et au Burkina Faso.
[DR] Cofondatri­ce d’Urbasolar, Stéphanie Andrieu porte trois projets de centrales solaires au Sénégal et au Burkina Faso.

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