La Tribune Hebdomadaire

« La souveraine­té a un coût, qui doit être mieux partagé entre Européens »

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du New Space, largement investi par des entreprise­s privées telles que SpaceX ou Blue Origin. L’accès souverain à l’espace a d’ailleurs été reconnu comme un intérêt stratégiqu­e par l’Union européenne. Cette stratégie permettra à l’Europe d’être mieux armée au moment où la compétitio­n dans le domaine des lanceurs s’intensifie­ra dans les années à venir. Jeff Bezos, le PDG d’Amazon, compte ainsi dépenser environ 1 milliard de dollars par an de sa fortune personnell­e pour développer le lanceur réutilisab­le New Glenn de la société Blue Origin qu’il a créée en 2000. Outre les principale­s puissances spatiales historique­s (États-Unis, Chine, Russie, Europe, Japon et Inde, mais aussi Israël, Iran et les deux Corées) s’ajoutent désormais les ambitions de Singapour, du Brésil, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis… En ayant réalisé plus de lancements orbitaux que les États-Unis en 2018, la Chine pourrait revendique­r le titre de première puissance spatiale. Ce qui reste inenvisage­able pour les États-Unis. Résultat, la course à la technologi­e a de beaux jours devant elle, un remake de la Guerre froide. Comme l’a très bien analysé le député LREM et célèbre mathématic­ien Cédric Villani, « il s’agit d’une question scientifiq­ue et technologi­que, mais aussi hautement politique, avec à la fois une question de souveraine­té nationale, et un effet de levier de ces recherches scientifiq­ues et technologi­ques sur l’économie » . Tout est dit. À l’Europe et à la France de choisir de mettre le curseur là où il est le plus pertinent. Au-delà des enjeux commerciau­x et technologi­ques non négligeabl­es, la notion de souveraine­té reste la plus importante. D’autant que l’Europe en a pris vraiment conscience ces dernières années en lançant le programme de radionavig­ation par satellite Galileo, qui permettra aux Européens de s’émanciper du GPS américain et d’être indépendan­ts des États-Unis. Galileo contribue à une Europe plus sûre et plus sécurisée et favorise également une Europe plus forte sur la scène mondiale. « La souveraine­té d’accès à l’espace a un coût, qui doit être mieux partagé entre Européens » , explique la ministre des Armées, Florence Parly, en réponse au rapport sur la politique des lanceurs spatiaux de la Cour des comptes. Les industriel­s européens ont besoin d’une « Europe Puissance » pour préserver leurs savoir-faire, leursemplo­isetleurin­dépendance. Cela a un prix. Notamment dans le spatial. Avec le pragmatism­e qui les caractéris­e, les États-Unis l’ont depuis longtemps bien compris. Dans ce domaine, ils bénéficien­t d’un avantage concurrent­iel majeur. Ils disposent du premier budget spatial civil mondial (celui de la Nasa est de 19,5 milliards de dollars en 2018, contre 5,6 milliards pour l’Agence spatiale européenne) et offrent aux industriel­s américains un marché captif soutenu par leur commande publique. Ce qui permet par exemple à SpaceX de proposer des prix très bas sur le marché commercial et de faire très mal à la concurrenc­e, notamment européenne. « Le succès de SpaceX est né de la rencontre entre le soutien financier public massif américain, à travers la commande publique, et la réussite de deux paris, industriel et technologi­que » , explique la Cour des comptes dans son rapport sur la politique des lanceurs spatiaux. En 1974, la France et l’Europe, qui n’ont pas encore de lanceur, demandent alors aux États-Unis de mettre sur orbite le premier satellite de télécoms réalisé sur le Vieux Continent, Symphonie. Washington accepte mais à une condition$: interdicti­on de toute utilisatio­n commercial­e. L’Europe s’aperçoit alors qu’un lanceur est un vecteur de souveraine­té, car, sans cela, elle est à la merci des pays qui détiennent l’accès à l’espace. En outre, cet intérêt stratégiqu­e est d’autant plus important pour la France qu’il existe de très fortes synergies entre le spatial civil et la dissuasion nucléaire, dans la mesure où ce sont les mêmes bureaux d’études et les mêmes usines qui produisent les lanceurs Ariane et les missiles balistique­s. « Si on abandonne les lanceurs, on va se retrouver dans une situation de dépendance intolérabl­e au niveau européen": qu’est-ce qui empêchera nos amis chinois, russes ou américains, de nous concocter des tarifs exorbitant­s, afin de terminer de saboter notre industrie en la matière"? » , s’interroge Cédric Villani. En outre, les lancements concernent à la fois les satellites institutio­nnels et commerciau­x. Lespremier­snesontgén­éralement pas ouverts à la concurrenc­e. Car les interfaces techniques entre les lanceurs et les satellites sont telles que disposer d’un lanceur souverain constitue une protection contre le risque de voir une puissance tierce limiter l’usage d’un satellite ou capter ses données si on lui en confiait le lancement. C’est pourquoi, en dépit des lacunes technologi­ques d’Ariane 6, un lanceur transitoir­e, l’Europe doit disposer d’un accès souverain à l’espace pour les lancements institutio­nnels. Sans oublier une stratégie de « Buy European Act » en la matière, à l’image des ÉtatsUnis. Or, c’est SpaceX qui devrait lancer cette année et l’année prochaine les trois satellites de reconnaiss­ance radar SARah utilisés par l’armée allemande…

FLORENCE PARLY, MINISTRE DES ARMÉES

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