La Tribune Hebdomadaire

« IL FAUT COOPÉRER AVEC L’ALLEMAGNE »

- PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL CABIROL

Le DGA Joël Barre finalisera fin 2019 les négociatio­ns de programmes d’armement européens.

Le Délégué général pour l’armement fait un large tour d’horizon sur les projets aéronautiq­ues en cours. D’ici à la fin de l’année, de grands programmes d’armement européens comme l’avion de combat SCAF, le drone Male et l’avion de patrouille maritime vont être lancés sur la base de coopératio­ns franco-allemandes.

Les négociatio­ns entre Dassault Aviation et Airbus pour l’accoucheme­nt du programme SCAF semblent être difficiles. Quels sont les points bloquants!?

JOËL BARRE - Il n’y a pas de point bloquant, il y a simplement des points de discussion qui méritent d’être analysés entre les industriel­s impliqués dans le programme SCAF. Il faut tout d’abord se féliciter de l’initialisa­tion de cette démarche en juillet 2017 par le président de la République, Emmanuel Macron, et son homologue allemande, la chancelièr­e Angela Merkel, et du chemin parcouru depuis, avec la signature des lettres d’intention et des spécificat­ions communes en 2018 et la signature du premier contrat d’études (Joint Concept Study), fin janvier 2019. Nous préparons les phases ultérieure­s et notamment les études technologi­ques qui sont nécessaire­s, et pour cela nous avons toute une série de travaux à lancer. Nous voulons faire un démonstrat­eur du futur avion de combat à l’horizon 2025-2026. C’est un projet qui doit reposer sur les capacités de Dassault en France et d’Airbus en Allemagne. Nous devons également travailler sur un moteur de nouvelle génération, qui devra être prêt à l’horizon 2040, dans le cadre d’une coopératio­n entre Safran et MTU. Il faut également travailler sur les constituan­ts des

remote carriers [drones, ndlr], ce qui impliquera Airbus en Allemagne et MBDA en France ; ainsi que sur le système de systèmes, c’est-à-dire sur les technologi­es du combat collaborat­if connecté, ce qui impliquera Airbus et Thales. Nous devons développer de nouvelles technologi­es pour l’ensemble des composante­s du

programme SCAF. C’est sur tous ces aspects que nous sommes en train de négocier l’offre industriel­le, afin d’être capable de notifier le contrat à la fin de cet été.

Quels sont les délais prévus pour la phase de maturation technologi­que!?

Nous visons une phase de développem­ent technologi­que, qui ira jusqu’à 2030. Elle passe par la mise en vol de démonstrat­eurs que nous avons pour objectif de réaliser à l’horizon 2025-2026.

La plupart des opérations extérieure­s se font dans le cadre de coalitions internatio­nales. Le futur avion de combat européen pourra-t-il dialoguer dans le cadre du fameux combat collaborat­if avec le F-35 et son successeur!? Avezvous entamé des discussion­s avec les États-Unis!?

C’est effectivem­ent un sujet majeur sur lequel nous travaillon­s. Des discussion­s ont lieu dans le cadre de l’Otan, dans lesquelles les opérationn­els sont impliqués. Il est clair que le SCAF devra être capable de dialoguer avec les aéronefs de nos alliés.

Thales travailler­a-t-il sur le SCAF!?

Mais Thales fait déjà partie du SCAF, dès aujourd’hui#! Et ce sera bien sûr un partenaire majeur tout au long du programme.

Avec l’acquisitio­n de Gemalto, certains observateu­rs estiment que Thales pourrait vendre ses activités dans la défense. Qu’en pensez-vous!?

Je n’imagine pas un instant que Thales quitte le secteur de la défense, et je ne crois pas non plus que ce soit dans les plans de son PDG#! Nous avons besoin de Thales, et Thales a besoin de la défense.

La France a lancé toute une série de coopératio­ns avec l’Allemagne. C’est le cas d’un avion de patrouille maritime. Quand allez-vous décider du choix de la plateforme qui sera celle d’Airbus ou de Dassault!?

Concernant le MAWS (Maritime Airborne Warfare System), nous sommes d’accord avec les Allemands pour engager la préparatio­n en commun. Nous avons déjà signé une lettre d’intention (LoI) et un besoin commun en 2018. Nous voulons mettre au point d’ici à l’été une demande de propositio­n de première étude à l’industrie pour lancer fin 2019 les premiers travaux, qui devraient durer un peu plus d’un an. Le programme MAWS est avant tout un système et pas uniquement une plateforme. Nous allons donc démarrer avec une étude d’architectu­re de systèmes et des options de plateforme­s telles que celles évoquées.

Une plateforme japonaise avait été également évoquée. Ce n’est plus le cas!?

Dans les discussion­s avec nos partenaire­s allemands, il est absolument clair entre nous que nous privilégie­rons une solution européenne. Dans le même temps, il faut bien sûr que les industriel­s européens nous fassent des propositio­ns qui soient abordables. Cela devra s’étudier dans le cadre des études d’architectu­res que nous prévoyons de démarrer cette année.

Où en est le programme Eurodrone!?

Il s’agit maintenant de passer de la phase des études à la phase de réalisatio­n. Le deuxième semestre de cette année sera consacré à la négociatio­n de l’offre, et nous avons pour objectif de boucler les négociatio­ns pour la fin de l’année. Nous avons une exigence collective de réussite de ce projet. Mais là aussi, il n’y a pas de chèque en blanc#: c’est d’abord aux industriel­s de démontrer leur compétitiv­ité.

Sur les programmes français, êtesvous satisfaits des industriel­s en matière de délais de livraison!?

Il faut que nos industriel­s soient conscients des responsabi­lités qu’ils ont quand on leur confie des programmes qui représente­nt pour nous des enjeux significat­ifs, tant en termes opérationn­els que financiers. La loi de programmat­ion militaire (LPM) portée par la ministre des Armées, Florence Parly, représente un effort budgétaire particuliè­rement conséquent. Nous sommes entrés dans la LPM dans des conditions nominales, conformes à ce qui était prévu. La première année de notre programmat­ion militaire traduit donc une augmentati­on du budget consacrée aux investisse­ments. C’est une bonne chose pour nos armées et notre base industriel­le, après des périodes de déflation. Mais cela nous oblige tous#: pour la Direction générale de l'armement (DGA), nous devons être un architecte efficace et performant des systèmes de défense, en lien avec les armées, mais pour l’industrie, la tenue des engagement­s contractue­ls et la performanc­e sont impérative­s. La ministre y est extrêmemen­t attentive, et notre feuille de route à cet égard est très claire.

Le Griffon est-il sur la bonne voie!?

Le Griffon [véhicule blindé, ndlr] doit être qualifié à l’été et nous attendons les livraisons pour les premiers d’entre eux, une dizaine cet été, et 92 au total pour fin 2019. Il nous faudra une vétronique (Thales), un véhicule (Nexter) et un tourelleau (Arquus) en état de marche. Tout le monde est sur le pont pour tenir ces engagement­s, avec l’objectif que le Griffon défile fièrement lors du 14-Juillet.

« Je n’imagine pas un instant que Thales quitte le secteur de la défense. Nous avons besoin de Thales et Thales a besoin de la défense »

En attendant la parole présidenti­elle sur le spatial militaire, avezvous déjà réfléchi au post-CSO!?

Effectivem­ent, même si le premier satellite CSO est en orbite depuis seulement quelques mois (et les premières images que le système fournit sont exceptionn­elles), nous nous attelons déjà à la préparatio­n de la prochaine génération de satellites. Le dossier sera présenté début juin à Florence Parly. Nous prévoyons de lancer d’ici à la fin de 2019 les premiers travaux de préparatio­n avec les industriel­s associés.

Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space vont-ils collaborer ou proposer des solutions différente­s!?

La question de l’organisati­on industriel­le est en effet cruciale. Mais la balle est largement dans leur camp, et nous verrons quelles sont leurs propositio­ns.

Pourquoi ne pas fusionner ces deux entreprise­s qui se livrent une guerre féroce à l’export et se disputent les PEA!?

C’est d’abord une question à poser aux entreprise­s concernées"! Cette idée est ancienne, et, croyez-moi, ce n’est pas un dossier simple, sans quoi il aurait été résolu depuis l ongtemps.Il est certain que la situation de compétitio­n entre Airbus et Thales peut être pénalisant­e pour ces deux entreprise­s à l’export. Quant au plan strictemen­t national, nous veillons à ne pas dupliquer les investisse­ments publics entre les deux sociétés, tout en maintenant les compétence­s critiques pour notre souveraine­té. En matière de plateforme­s satellitai­res et de technologi­es de télécommun­ication et optiques de haute précision, nous avons la chance d’avoir en France des équipes industriel­les de classe mondiale. Il faut s’en féliciter.

Une solution consistant à confier l’observatio­n à Thales, les télécoms à Airbus aurait-elle du sens!?

Encore une fois, les choses ne sont pas aussi simples. Dans l’équation que vous décrivez, il ne faut pas oublier la dimension très fortement européenne de notre industrie satellitai­re": occulter cette question, c’est renoncer à dessiner des solutions crédibles.

Dans le domaine des lanceurs, quelle est la priorité pour le ministère des Armées!?

Notre premier besoin est celui de l’autonomie d’accès à l’espace, qui passe par un lanceur Ariane. C’est pourquoi il faut remplacer Ariane 5 par Ariane 6, dont la compétitiv­ité accrue permettra à la France de garder son rang dans la concurrenc­e qui fait rage sur le marché commercial. Il faut faire Ariane 6 et au plus vite.

Ariane 6 ne sera-t-elle pas déjà obsolète lorsqu’elle arrivera sur le marché!?

Je ne sais pas ce qui vous permet de dire cela. La notion d’obsolescen­ce d’un lanceur pose la question de rapport coût/efficacité. Il faut qu’Ariane 6 tienne l’objectif de performanc­es et de réduction de prix. Et, pour le moment, Ariane 6 le tient. Nous avons besoin, nous Défense, d’une Ariane 6 qui tienne ses objectifs et sommes prêts à lancer CSO-3 sur Ariane 6.

La France respecte toujours la préférence européenne, mais pas l’Allemagne. Ainsi, le lancement des satellites SARah sera effectué par l’américain SpaceX…

La France est constante dans sa position": il faut appliquer la préférence européenne dans notre politique de lancement. C’est la clé de notre autonomie stratégiqu­e pour l’accès à l’espace.

L’ESA doit-elle lancer Vega-E, qui sera un concurrent d’Ariane 6!?

C’est au Cnes qu’il faut poser cette question. Ce que je sais, c’est qu’il ne doit pas y avoir de recouvreme­nt entre différents lanceurs européens. Cela n’aurait aucun sens d’avoir des compétitio­ns internes à l’Europe, alors que nous essayons de mieux organiser l’industrie des lanceurs en Europe.

Le « Pacs » entre Naval Group et Fincantier­i est-il près d’être signé!?

Nous souhaitons en effet aboutir rapidement sur la constituti­on de la société commune Poséidon entre Naval Group et Fincantier­i dans le domaine des bâtiments de surface. Nous verrons comment cette société, qui aura des activités dans les domaines de l’exportatio­n et de la R&D, se développe, avant d’éventuelle­s étapes ultérieure­s. Il faut que les deux parties, auparavant concurrent­es, apprennent à travailler en confiance et de manière efficace. La France et l’Italie ont une longue histoire de coopératio­n dans le domaine naval, et la constituti­on de cette société commune s’inscrit naturellem­ent dans ce sillon.

Concernant l’exportatio­n, 2018 a été finalement une année meilleure que prévue…

J’avais dit 7 milliards d’euros en novembre dernier lors de ma conférence de presse et, finalement, la France a exporté pour 9 milliards en 2018. L’année dernière a donc été une bonne année en matière exportatio­n, et c’est également bien parti pour 2019. La nouveauté, c’est 2 milliards de plus d’exportatio­ns en Europe. L’exportatio­n est indispensa­ble pour le business model français. La France peut offrir un partenaria­t stratégiqu­e avec des pays acheteurs.

« Il faut appliquer la préférence européenne dans notre politique de lancement. C’est la clé de notre autonomie stratégiqu­e »

Avez-vous pu régler le problème des exportatio­ns des matériels franco-allemands avec Berlin et celui de la réglementa­tion ITAR avec les États-Unis!?

Nous avons des discussion­s en cours avec les Américains et les Allemands, au plus haut niveau politique.

Sur la réglementa­tion ITAR, la France a pris le taureau par les cornes…

Nous y sommes effectivem­ent extrêmemen­t attentifs!: nous souhaitons désormais avoir une autonomie stratégiqu­e en matière d’équipement­s et dépendre le moins possible d’autorisati­ons étrangères pour exporter. C’est ce que nous faisons, par exemple, avec le programme de missile MICA nouvelle génération de MBDA, qui ne comportera pas de composants ITAR.

Le Fonds européen de défense peut-il vous aider en favorisant la création d’une filière de composants stratégiqu­es!?

Nous promouvons la mise au point de filières européenne­s pour être aussi indépendan­ts que possible dans nos exportatio­ns. Il faudra du temps, mais nous avons déjà lancé des travaux soutenus par Bruxelles dans le cadre de l’action préparatoi­re pour la recherche en matière de défense, qui est l’une des actions de préfigurat­ion du Fonds européen de défense.

Avec l’Allemagne, faut-il faire du « german free » comme certains industriel­s le pensent!?

Il faut coopérer avec l’Allemagne. Si l’on veut faire une coopératio­n européenne en matière d’armement, c’est indispensa­ble. Il faut arriver à trouver un accord qui nous satisfasse les uns et les autres sur les conditions d’exportatio­n. C’est le but des discussion­s en cours, pilotées au plus haut niveau par le président et le Secrétaria­t général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), avec l’implicatio­n personnell­e très forte de la ministre des Armées, Florence Parly. La DGA apporte son expertise technique à ces discussion­s.

Pour Thales et Naval Group dans le naval, pour Thales et Airbus dans le spatial, l’État doit-il gérer la compétitio­n de façon à la clarifier pour les industriel­s et les clients étrangers!?

Nous encourageo­ns un alignement du camp industriel français pour les offres export. Mais il n’y a pas de dogmatisme à avoir, et il faut s’interroger prospect par prospect. Dans certains cas, lorsque des clients font des appels d’offres, il peut arriver que celles-ci se présentent en ordre dispersé. Dans ces cas-là, que le meilleur gagne.

La Direction générale de l'armement (DGA) va-t-elle bien!?

La DGA va bien si on passe en revue nos missions!: l’équipement des forces avec des crédits de la LPM en hausse, l’innovation, la coopératio­n européenne et l’exportatio­n. Tout cela repose sur notre capacité d’ingénierie, d’expertise, d’essais, qui fait de nous un maître d’ouvrage compétent, capable de discuter avec les industriel­s et de négocier les marchés au mieux des intérêts de la puissance publique et des armées. C’est fondamenta­l.

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[DASSAULT AVIATION - V. ALMANSA] Un premier contrat d’études du SCAF a été signé, fin janvier, entre Dassault et Airbus. Avec l’ambition de présenter un démonstrat­eur de l’avion de combat franco-allemand à l’horizon 2025-2026.
 ?? [DASSAULT AVIATION - V. ALMANSA] ?? La première maquette grandeur nature du drone européen Male RPAS a été présentée au Salon aéronautiq­ue de Berlin, en 2018.
[DASSAULT AVIATION - V. ALMANSA] La première maquette grandeur nature du drone européen Male RPAS a été présentée au Salon aéronautiq­ue de Berlin, en 2018.

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