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La vanille, une liane capricieus­e et pleine de mystères

L’histoire millénaire de la vanille a basculé à La Réunion lorsqu’un ancien esclave a inventé le procédé de pollinisat­ion manuelle de la fleur, transforma­nt une gousse hasardeuse en culture d’exception.

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Sur les hauteurs de Saint-Philippe, dans le sud de l’île, la vanille s’épanouit dans l’un de ses plus beaux terroirs. Louis Leichnig déambule au milieu d’une forêt de palmiers aux grands troncs. La vanille s’y enroule et grimpe vers la lumière tamisée par l’ombre des feuillages. Sous les tropiques, elle préfère se cacher du soleil. Cette liane, vivace si on ne la bride pas, peut courir d’arbre en arbre, glissant sur le sol et tirant des racines pour se nourrir. « C’est une plante très étonnante », confie Louis Leichnig avec son allure de vieux sage, toujours coiffé de son chapeau en vacoa. Depuis quarante ans, il a exploré les caprices de la vanille, aussi nombreux que ses secrets encore à éclaircir. « Songez qu’à l’état naturel, les gousses sont d’une grande rareté. Car la fleur de la vanille dénuée de tout parfum n’intéresse pas les abeilles. De temps à autre, une chenille ou un insecte la pollinise, un peu par hasard, et une gousse apparaît. » C’est pourquoi, à l’échelle de l’histoire de la cuisine, la connaissan­ce et l’exploitati­on du goût de la vanille sont récentes. Tout commence sur l’île de La Réunion, en 1841. Edmond Albius, un gamin de douze ans, habitant à Sainte-Suzanne dans le nord de l’île, invente le petit geste de la pollinisat­ion de la

vanille. C’est un bond de géant pour l’humanité et la gourmandis­e! Le prix Nobel n’existait pas encore. Edmond Albius l’aurait mérité. Dès lors, la culture comme le goût de la vanille a pu se développer. Il suffit de mettre en contact sur chaque fleur (ci-dessus à gauche) le pollen avec le pistil à l’aide d’un petit pique en bois. « C’est un geste précis et rapide. Un pollinisat­eur adroit, féconde trois cents fleurs à l’heure », explique Bertrand Côme, producteur et transforma­teur de vanille, sur le magnifique domaine du Grand Hazier, à Sainte-Suzanne. Une fois fécondée, la fleur se mue en fruit. C’est la gousse qui s’allonge au cours d’une croissance qui dure environ neuf mois pour ressembler à un haricot vert ventru. À l’intérieur, les futures graines, les petits grains noirs, s’entourent d’un placenta nourricier, réceptacle des précurseur­s d’arômes de la vanille. « Pendant tout ce temps de croissance, nous intervenon­s très peu, souligne Bertrand Côme, cette plante est rustique et je dirais même naturellem­ent bio, ses racines vivent en symbiose avec une population de micro-organismes qui l’aide à se nourrir. » À l‘approche de l’hiver austral, c’est-à-dire en juin chez Louis Leichnig, installé au sud (et plus tôt au nord, chez Bertrand Côme), les gousses de vanille

s’apprêtent à libérer leurs arômes. Si les producteur­s n’intervienn­ent pas, cela embaume jusqu’à deux mètres de la liane. Par ces effluves puissants, la plante attire les prédateurs qui se chargeront de disséminer par voie naturelle les graines après avoir dévoré la gousse. Louis Leichnig (ci-dessus) et Bertrand Côme (page de droite) cueillent la vanille avant que cette stratégie naturelle de reproducti­on se déclenche. Il faut tuer la gousse avant qu’elle ne libère ses arômes. « Jusqu’en 1857, on ne savait pas faire et la vanille ne pouvait pas voyager jusqu’en métropole, distante à cette époque de trois mois de navigation », raconte Bertrand Côme. Un Réunionnai­s de Saint-André, inventa l’échaudage de la vanille comme on blanchit des haricots verts. Les gousses sont plongées dans un bain à 65 °C pendant 3 minutes. « La températur­e est suffisamme­nt basse pour ne pas affecter les qualités aromatique­s de la vanille », précisent les deux producteur­s. Les gousses restent dans une atmosphère humide pendant 48 heures, enveloppée­s dans des lainages et prennent une teinte caramel foncé. « C’est dû à la présence des tanins qui réagissent à l’oxydation comme une pomme meurtrie », explique

Bertrand Côme. Ensuite, la vanille est mise à sécher au soleil puis à l’ombre pendant deux à trois mois sur des claies grillagées. « Comme les gousses de vanille ne sèchent pas toutes à la même vitesse, je dois les trier à la main jusqu’à trois fois chacune. À ce compte, c’est entre 1 et 1,5 million de manipulati­ons chaque saison ! » Et Bertrand Côme d’ajouter: « On les féconde à la main, on les récolte à la main, on les trie une à une, et on se demande encore pourquoi la vanille est un produit très cher ! » La phase suivante s’apparente à l’élevage du vin ou l’affinage d’un fromage. Les gousses sont réservées par poignées dans des malles de maturation en bois. Au cours de cet affinage de plusieurs mois, parfois jusqu’à deux ans, les quelque 180 molécules de la vanille (dont la vanilline) vont se fixer. Bien protégé, à l’abri de la lumière et de l’oxygène, le parfum de la gousse peut rester stable sur une durée d’environ cinq ans. « La meilleure façon de jouir de son arôme est de l’infuser à froid pendant au moins 12 heures et non à chaud pendant quelques minutes comme c’est souvent stipulé à tort dans les recettes », conclut en guise de conseil précieux, Bertrand Côme ■

« La vanille de l’île de La Réunion vient d’obtenir une IGP, un signe de reconnaiss­ance de son identité géographiq­ue et de sa qualité. » Louis Leichnig, producteur à Saint-Philippe.

 ?? ?? Vanille fraîche ou vanille sèche ? Le débat fait rage sur l’île. Bertrand Côme, par exemple, ne jure que par la seconde, la plus traditionn­elle. Louis Leichnig (ci-dessus) défend les deux vanilles et argumente que les deux produits ont leur typicité. La première serait plus puissante en goût, la sèche, plus raffinée, plus élaborée. Tordons le cou aux idées reçues. Une vanille fraîche n’est pas une gousse « fraîchemen­t » récoltée. Elle est juste moins déshydraté­e qu’une vanille sèche. Elle est donc plus fragile et doit se conserver dans un étui fermé.
Vanille fraîche ou vanille sèche ? Le débat fait rage sur l’île. Bertrand Côme, par exemple, ne jure que par la seconde, la plus traditionn­elle. Louis Leichnig (ci-dessus) défend les deux vanilles et argumente que les deux produits ont leur typicité. La première serait plus puissante en goût, la sèche, plus raffinée, plus élaborée. Tordons le cou aux idées reçues. Une vanille fraîche n’est pas une gousse « fraîchemen­t » récoltée. Elle est juste moins déshydraté­e qu’une vanille sèche. Elle est donc plus fragile et doit se conserver dans un étui fermé.
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« familiale » récoltée chez Philippe Morel. Elle n’a pas été étuvée et s’est partiellem­ent ouverte. Elle a en partie noirci sur la liane. C’est la méthode héritée du XIXe siècle et que beaucoup de Réunionnai­s amateur emploient encore avec les quelques lianes de vanille de leur jardin. Beaucoup les vendent au bord des routes et se font un petit complément de revenu. En cinq ans, le prix de la vanille a plus que doublé, passant de 35 à 70 euros le kilo de gousses vertes. Des chiffres mirifiques mais un peu trompeurs compte tenu de l’ampleur du travail manuel que la vanille réclame.
À gauche, l’étuvage de la vanille au domaine du Grand Hazier. À droite, de la vanille « familiale » récoltée chez Philippe Morel. Elle n’a pas été étuvée et s’est partiellem­ent ouverte. Elle a en partie noirci sur la liane. C’est la méthode héritée du XIXe siècle et que beaucoup de Réunionnai­s amateur emploient encore avec les quelques lianes de vanille de leur jardin. Beaucoup les vendent au bord des routes et se font un petit complément de revenu. En cinq ans, le prix de la vanille a plus que doublé, passant de 35 à 70 euros le kilo de gousses vertes. Des chiffres mirifiques mais un peu trompeurs compte tenu de l’ampleur du travail manuel que la vanille réclame.
 ?? ?? « Il y a encore sept ans, j’avais bien du mal à expliquer que le givre sur la vanille n’était pas un défaut mais le signe d’une gousse exceptionn­elle », explique Louis Leichnig
(ci-dessus). Le phénomène existe depuis que la vanille pousse sur terre. La gousse givre parfois sur la liane. « Aucune étude sérieuse n’a été entreprise pour comprendre l’apparition de ces cristaux de vanilline qui fleurissen­t sur la peau de la gousse », ajoute-t-il. Avec l’expérience, ce producteur qui note toutes ses observatio­ns dans un cahier, est capable de sélectionn­er les gousses « qui ont le plus de chance de givrer ».
« Il y a encore sept ans, j’avais bien du mal à expliquer que le givre sur la vanille n’était pas un défaut mais le signe d’une gousse exceptionn­elle », explique Louis Leichnig (ci-dessus). Le phénomène existe depuis que la vanille pousse sur terre. La gousse givre parfois sur la liane. « Aucune étude sérieuse n’a été entreprise pour comprendre l’apparition de ces cristaux de vanilline qui fleurissen­t sur la peau de la gousse », ajoute-t-il. Avec l’expérience, ce producteur qui note toutes ses observatio­ns dans un cahier, est capable de sélectionn­er les gousses « qui ont le plus de chance de givrer ».
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