Skieur Magazine

/ ITW: SAM FAVRET

L'ÂGE DE RAISON

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LE FREE(STYLEUR)RIDEUR CHAMONIARD

CHAQUE DÉCENNIE, LA VALLÉE DE CHAMONIX APPORTE SON LOT DE RIDEURS AU MILIEU DE LA MONTAGNE ET CE, DEPUIS QUE LA NEIGE EST NEIGE ET QUE LA GLISSE EST GLISSE. ON POURRAIT D'AILLEURS REMONTER ASSEZ LOIN ET CITER DES PERSONNAGE­S TELS QUE HORACE-BÉNÉDICT DE SAUSSURE (1740-1799), CONSIDÉRÉ COMME LE PÈRE DE L'ALPINISME, MICHEL PACCARD (1757-1827), ALPINISTE ET JACQUES

BALMAT (1762-1834), GUIDE DE HAUTE MONTAGNE, PREMIERS À AVOIR ATTEINT LE SOMMET DU MONT-BLANC, CHARLES BOZON (1932-1964) ALPINISTE ET SKIEUR ALPIN

AYANT REMPORTÉ LE SLALOM DES CHAMPIONNA­TS DU MONDE DE 1962 À CHAMONIX OU ENCORE, PLUS RÉCEMMENT, L'ÉTOILE FILANTE DISPARUE BIEN TROP TÔT, MARCO SIFFREDI (1979-2002), AUTEUR DE LA PREMIÈRE DESCENTE DE L'EVEREST EN SNOWBOARD PAR LE COULOIR NORTON.

Tous avaient ce même amour pour la montagne, ce tempéramen­t d'acier forgé au pied du mont Blanc, au plus profond de ce que l'on appelle encore aujourd'hui, « le sanctuaire alpin des sports de montagne ». Malgré sa jeunesse, somme toute relative dans le milieu du freeski, Sam Favret fait déjà partie de l'histoire de Chamonix, son berceau depuis vingt-cinq ans. Avec un père à la fois moniteur de ski et guide de haute montagne, Sam se retrouve sur la neige dès son plus jeune âge avant d'enchaîner par un passage en club pour bouffer du piquet. Comme pour la majorité des rideurs de son époque, Sam l'adolescent ne peut faire face aux sirènes du freestyle moderne naissant et envoie tout péter, club alpin et école, pour ne faire plus que du freestyle… Skieur Magazine : Tu avais seize ans lorsque tu as tout envoyé bouler, école comprise. C'était un sacré pari, ne serait-ce que par rapport à certaines familles qui poussent leur gamin à continuer l'école en parallèle pour assurer leurs arrières. Qu'est-ce qui a motivé ta décision ? Sam Favret : Comme beaucoup, je suis arrivé à saturation de l'alpin, je me suis rendu compte que ce milieu n'était pas fait pour moi et que je ne trouvais plus de plaisir à skier dans cette structure. À côté, je faisais déjà beaucoup de skate et j'avais pas mal accroché avec l'esprit cool du sport, le style de vie, cette manière de penser et d'agir. C'était aussi l'époque où sortait la toute première « Rastafarid­e », où le freestyle commençait à prendre sérieuseme­nt son envol en France. Voilà le ski que je voulais faire, une pratique libre avec des icônes comme Candide Thovex pour son style ou encore Marco Siffredi pour ses exploits et son toucher de neige incroyable. Cette décision n'a pas été facile à accepter par mes parents au départ, surtout celle d'abandonner l'école, en première année de BEP Menuiserie. De toute façon, je crois que je n'étais pas fait pour aller à l'école, je n'ai jamais réussi à tenir en place. En revanche, le fait d'avoir attaqué mon BE de ski directemen­t à la sortie de l'école a peut-être rassuré mes parents à propos de ma décision, qui m'ont toujours soutenu par la suite. Parfois, les débuts d'une nouvelle carrière sont parfois difficiles, surtout dans le freestyle où le niveau progresse à une vitesse folle et où un léger retard peut être extrêmemen­t handicapan­t. Qu'en a-t-il été pour toi ? À peine un an après mes débuts en freestyle, à dix-sept ans, je me suis directemen­t inscrit sur une compétitio­n européenne à Saas Fee, où j'ai terminé deuxième. Je pense que cette compétitio­n a été l'élément déclencheu­r qui m'a poussé à continuer à fond dans le freestyle, qui m'a même redonné le goût de la compétitio­n que j'avais perdu en alpin. J'étais lancé et je n'avais logiquemen­t plus envie de m'arrêter. J’ai commencé à voyager pour aller m'entraîner dans de meilleures structures et j'ai enchaîné sur pas mal de compétitio­ns nationales et internatio­nales pendant plusieurs années (King of Style, SFR Tour, Budapest Fridge, Frostgun Invitation­nal, European Open…). Tout cela m'a permis d'évoluer avec les marques et j'ai commencé à me faire un petit nom dans le milieu, en parallèle avec la notoriété grandissan­te de PVS dans le milieu de l'image. Mais depuis cette époque, tu as opéré un léger revirement de situation. On ne te voit presque plus en park, encore moins sur les compétitio­ns de freestyle pur. Sam Favret prendrait-il de l'âge et se dirigerait-il vers une pratique plus « mûre » comme le freeride ? J'ai passé pas mal de temps dans les parks, sur les compétitio­ns de freestyle et honnêtemen­t, je pense avoir un peu fait le tour de ce milieu, j'avais besoin de changement, de nouveaux challenges mais aussi de revenir aux sources. Chamoniard d'origine, j'ai toujours été attiré par le freeride, dont l'image me plaisait de plus en plus. Je m'y suis mis pour continuer à progresser dans mon ski tout en gardant mes acquis de freestyleu­r, mais dans un nouveau décor, me permettant d'acquérir encore plus de polyvalenc­e.

« J'AI SIGNÉ CHEZ ROSSIGNOL POUR NE FAIRE PRINCIPALE­MENT QUE

DE L'IMAGE, DU FREERIDE ET DU BACKCOUNTR­Y. »

Ta signature avec Rossignol a-t-elle accéléré ce revirement de situation ?

Il y a un peu de ça puisque j'ai signé chez Rossignol pour ne faire principale­ment que de l'image, du freeride et du backcountr­y. Ça tombe plutôt bien puisque c'est aussi la politique de leur nouvelle gamme S, on était donc sur la même longueur d'onde et le feeling est passé rapidement. Je me retrouve ambassadeu­r de cette nouvelle gamme, aux côtés d'Enak Gavaggio et on continue de bosser sur le développem­ent de la gamme qui devrait s'agrandir dans les prochaines années…

Hormis le fait que ton père soit guide de haute montagne, quelle relation as-tu avec la montagne ?

J'aime la montagne tout simplement, je me sens bien là-haut.

« JE SUIS PASSÉ DE JEUNE CHIEN FOU À VIEUX SAGE, PLUS LE TEMPS PASSE ET PLUS MON SKI EST

RÉFLÉCHI ET MATURE. »

La montagne t'offre ce que la société moderne oublie de te donner, c'est ma nouvelle école, mon nouveau terrain de jeu et c'est une excellente façon d’apprendre à mieux se connaître. La culture est à la source de toute créativité et mon père m'a donné la chance d’en profiter dès mon plus jeune âge et toutes ces aventures deviennent indispensa­bles pour avancer dans mes projets et il y a des milliers de possibilit­és avec un peu d imaginatio­n. Par extension, j'adore faire beaucoup de rando, c’est même devenu mon outil principal dans l’hiver pour aller chercher des spots de BC ou pour aller rider de belles lignes excentrées des stations. Depuis deux ans, j'ai la chance de pouvoir profiter un peu de l'hélicoptèr­e. L'approche est un peu moins écolo mais ça reste un des seuls moyens pour rentabilis­er une grosse journée de ski sans trop se fatiguer et avoir accès à des faces que tu ne pourrais jamais approcher en rando, mais ce n’est pas ma priorité. On mérite une belle descente quand on s'est donné à fond pour la gravir et forcément, les images ont plus de valeur. Mais ça, c'est personnel. Pour en revenir à la compétitio­n, quel est ton avis sur l'évolution du Freeride World Tour l'an passé dans une voie plus freestyle, avec des rideurs en wildcards comme Markus Eder, Fabio Studer ou encore Nico Vuignier ? C'est plutôt une belle évolution et je pense qu'on verra de plus en plus d'anciens freestyleu­rs sur ce genre de compète. Mais après, il ne faut pas oublier que le freeride reste un milieu où l'expérience fait la différence et le fait d'être plus à l'aise dans les airs ne fera pas tout. Il faut savoir s'adapter au terrain et on ne pourra pas toujours, selon les faces, montrer notre bagage technique de freestyleu­r mais, ça reste un plus qui ne peut pas faire de mal au sport. Les compètes de freeride prennent un coup de jeune et ça ne m'étonnerait pas de voir de plus en plus de jeunes rideurs se spécialise­r dans cette discipline, plutôt que de se tourner directemen­t vers les parks. Cette nouvelle génération de rideurs backcountr­y apporte au FWT une nouvelle vision du sport avec un ski plus basé sur la fluidité, la créativité et sur les choix de ligne.

Et donc, à court terme, tu vises le Freeride World Tour ?

Ça commence effectivem­ent à beaucoup me titiller mais j'ai pour le moment des priorités avec quelques projets vidéos. C'est très difficile de mélanger compétitio­ns et shootings car je ne peux pas être à 200 % partout. De nature perfection­niste, si je m'engage sur un projet, ce n'est pas pour le faire à moitié. Alors quand tu sais que le Freeride Word Tour te bloque la moitié de la saison, c'est vite vu ! Je préfère donc me concentrer sur l'image pour le moment et le FWT, on verra plus tard.

Tu peux nous en dire un peu plus à propos de ces « gros projets » ?

Je repars avec PVS cet hiver mais pas que pour la vidéo classique qu'on présente chaque automne au milieu des autres production­s mondiales. On se lance sur une websérie en trois épisodes qui sortiront au cours de l'hiver, un truc plutôt qualitatif teinté de bonne ambiance. J'ai une équipe qui va travailler à fond sur ce projet et normalemen­t, si tout va bien, ça devrait avoir de la gueule ! À côté de ça, toujours en film, je participe tout au long de l'hiver au nouveau projet vidéo de Rip Curl, « The search is everything », avec de jolis voyages à la clé. Côté compétitio­ns, j'ai reçu mon invitation pour les Red Bull Linecatche­r et Swatch Skiers Cup, et ça sera sûrement mes seules compétitio­ns de l'hiver… Moins de compétitio­ns, une orientatio­n plus freeride et des projets vidéo… Tout ça sent quand même bien le rideur arrivé à maturité. Il t'arrive encore d'être le jeune chien fou qu'on a pu voir se mettre des tirs insensés sur le méga hip du feu road gap du Galibier ou cette époque est révolue ? Je suis passé de jeune chien fou à vieux sage, plus le temps passe et plus mon ski est réfléchi et mature. Toute ma période freestyle a toujours été poussée par la connerie, à celui qui enverrait le plus gros, le plus loin, mais depuis

que je suis de plus en plus en montagne, je crois que la sagesse a repris le dessus. À ce propos, il est d'ailleurs plus préférable d’être plus sage en montagne que dans les parks, on ne joue pas sur le même terrain. L'erreur fait toujours partie du jeu et même si tu arrives à limiter la casse, il y a toujours un moment où le brin de folie peut te pousser à l'erreur et t'envoyer sur une ligne mal repérée.

Toi qui as justement connu le freestyle des débuts, quel est ton avis « d'ancien » sur ce qu'est en train de devenir la discipline, avec l'incroyable progressio­n dans le niveau des rideurs et l'arrivée de la discipline aux Jeux Olympiques ?

Concernant l'arrivée de notre sport aux Jeux Olympiques, j'y vois du bon comme du mauvais. Il y a tout ce côté médiatique qui va faire parler de nous, démocratis­er notre sport, ce qui est plutôt une bonne chose mais après, est-ce vraiment le freeski comme on a envie de le voir, celui qu'on a tous connu ? Personnell­ement, je trouve malheureus­ement que ce n'est pas la bonne image de notre sport qui sera mise en avant sur cette compétitio­n, encore plus avec l'arrivée de tous ces double et triples figures qui ne me font pas rêver et qui donne à notre sport, un penchant beaucoup trop acrobatiqu­e et académique, inaccessib­le au public qui regardera ces épreuves. On est aussi, et surtout, en train d’enterrer une époque, un état d'esprit et une vision du sport avec de plus en plus de rideurs qui se prennent bien trop au sérieux… Une chose est sûre, je me suis largement fait dépasser par ces événements mais bon, je dois quand

« LORSQUE J'AI APPRIS L'ARRIVÉE DU SLOPESTYLE AUX J.O., J'AI MIS

DU TEMPS À ME DÉCIDER, SAVOIR SI JE M’EMBARQUAIS DANS CETTE AVENTURE OU PAS. »

même avouer que lorsque j'ai appris l'arrivée du slopestyle aux J.O., j'ai mis du temps à me décider, savoir si je m’embarquais dans cette aventure ou pas. Mais franchemen­t, je n'ai pas eu le goût de m'y remettre à fond, d'une part car je ne suis plus tout jeune dans le milieu et d'autre part, car j'ai eu peur de perdre le plaisir du ski comme je l'ai perdu autrefois en alpin. Bien évidemment, et ce serait un mensonge de dire le contraire, ça m'aurait quand même bien plu de faire les J.O., ça reste un rêve de gosse pour de nombreux rideurs et je pense que j'aurai un petit pincement au coeur lorsque je regarderai le slopestyle de Sotchi. Malgré tout, le ski reste pour moi un plaisir, et tout ce milieu est déjà bien loin derrière moi…

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 ??  ?? Ci-dessus, chez lui, dos à l'aiguille Verte, Sam fait parler la poudre !
Ci-dessus, chez lui, dos à l'aiguille Verte, Sam fait parler la poudre !
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Les clubs de golf pour taper la balle au fond du jardin. Les vélos, c'est Chico (son colloc) qui les retape et les vend.
Les skis pour affronter les pentes chamoniard­es. Le bois pour chauffer la maison durant les longues nuits d'hiver. Les clubs de golf pour taper la balle au fond du jardin. Les vélos, c'est Chico (son colloc) qui les retape et les vend.
 ??  ?? Ci-dessus, Sam envoie du lourd sur le tournage de La Nuit de la Glisse. Grosse journée shooting au fin fond du Valais suisse.
Ci-dessus, Sam envoie du lourd sur le tournage de La Nuit de la Glisse. Grosse journée shooting au fin fond du Valais suisse.

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