Skieur Magazine

ETAT DES LIEUX DU HORS PISTE

ENTRE IGNORANCE ET JUDICIARIS­ATION DES ACCIDENTS, OÙ EN EST LE DISCOURS DE PRÉVENTION ?

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QUELLE QUE SOIT LA PRATIQUE EN QUESTION, RAQUETTE, SKI DE RANDONNÉE, SKI HORS-PISTE OU FREERANDO, NOUS SOMMES TOUJOURS PLUS NOMBREUX À ÉVOLUER EN TERRAIN NON SÉCURISÉ, À S’EXPOSER AUX AVALANCHES. COMMENT LA GESTION DU RISQUE A T’ELLE ÉVOLUÉE ? COMMENT FAIRE PASSER UN MESSAGE DE PRÉVENTION ET MODIFIER CERTAINS USAGES ? NOUS AVONS POSÉ CES QUESTIONS (ET BIEN D’AUTRES !) À FRÉDÉRIC JARRY, RESPONSABL­E DE L’ACCIDENTOL­OGIE À L’ANENA (AGENCE NATIONALE D’ETUDE DE LA NEIGE ET DES AVALANCHES).

L’ANENA (Associatio­n Nationale pour l’Étude de la Neige et des Avalanches) fournit depuis le début des années 70 des statistiqu­es sur les accidents par avalanche, autant dire que le recul de l’ANENA sur le sujet dépasse les modes et les dogmes. Mieux, l’associatio­n s’évertue à collecter des témoignage­s, des données relatives à la météo, la nivologie, le terrain, l’équipement des victimes, etc., sur les accidents afin d’améliorer la compréhens­ion du phénomène mais aussi la communicat­ion autour des risques inhérents aux pratiques hors- pistes, quelles qu’elles soient, pour faire oeuvre de prévention. Bref, nous nous devions de rencontrer Frédéric Jarry, l’homme qui collecte les infos sur les accidents par avalanche. Skieur Magazine : D’après vous, les comporteme­nts des skieurs hors-pistes ont-ils évolué sur les dix dernières années ? Frédéric Jarry : Sur cette période, il y a eu évidemment des changement­s de comporteme­nts mais aussi beaucoup de progrès dans les équipement­s. Du coup, depuis les années 70, on tourne toujours autour de trente et un décès annuels par avalanche, avec des variations principale­ment dues à la météo alors qu’on pratique beaucoup plus loin des pistes qu’avant, quelle que soit l’activité. L’hiver dernier, on recense trente-six morts dont seize en hors-piste et huit en rando. Si on n’arrive pas à quantifier la hausse des pratiques, on voit qu’il y a eu des changement­s d’approche et de perception du risque. Évidemment, la partie secours a également évolué dans le bon sens, avec des déclenchem­ents d’alerte beaucoup plus rapides qu’avant grâce au téléphone portable, l’utilisatio­n quasi systématiq­ue de l’hélicoptèr­e et une efficacité toujours plus grande des secouriste­s profession­nels et donc, des résultats plus efficaces. Au-delà de la plus grande facilité d’utilisatio­n des DVA modernes, le taux d’équipement a énormément augmenté : en ski de rando, début 2000, 50% des victimes d’avalanche étaient équipées ; aujourd’hui, c’est 80%. En hors-piste, on est passé sur la même période de 25-30% à 50%, ce qui impacte fortement le taux de réussite des secours. Si le message mettant en avant la nécessité d’avoir le triptyque DVApelle-sonde a bien fonctionné, il faut maintenant travailler la maîtrise de l’outil car finalement, sur les accidents signalés, peu de gens se sortent euxmêmes. De même, si l’on se sert de son DVA, c’est qu’il y a eu un problème : le mieux serait encore de l’éviter… À titre d’exemple, on voit bien que les jeunes freerideur­s s’équipent sans problème parce

“ON S’APERÇOIT QUE, D’UNE MANIÈRE GÉNÉRALE, LES SKIEURS D’EXPÉRIENCE QUI PRATIQUENT DE MANIÈRE ENGAGÉE SONT LES MIEUX

ÉQUIPÉS, LES PLUS CONSCIENTS DU RISQUE D’AVALANCHE“

que cela fait partie de la panoplie, et si c’est déjà une bonne nouvelle, l’achat reste la partie la plus simple. Les sacs gonflables qui se généralise­nt, c’est une bonne nouvelle ? Évidemment ! ABS avait eu la bonne idée de demander à l’IFENA (l’équivalent suisse de l’ANENA, du Centre d’Etude de la Neige de Météo-France et du service Erosion Torrentiel­le Neige et Avalanche de l’IRSTEA) de faire une statistiqu­e sur l’utilisatio­n des sacs. Il en est ressorti que le taux de survie après déclenchem­ent du sac est important, autour de 90% pour l’Europe. En Amérique du Nord, c’est moins bien à cause des arbres. Il y a une étude en cours au niveau mondial qui tend à démontrer l’efficacité relative des sacs, entre les victimes équipées ayant déclenché leurs ballons et les autres : le taux de survie est meilleur sur les avalanches de taille « normale » mais à peu près identique sur les énormes avalanches du type de celle qui avait entraîné Xavier de Le Rue. C’est un matériel efficace, à conseiller, mais, encore plus que pour le DVA, qui ne doit pas faire oublier que l’un des objectifs est de ne pas se faire prendre. On ne doit pas se penser invulnérab­le parce qu’on en est équipé ! Le développem­ent de la tendance freerando est-il inquiétant en matière de risques ? Statistiqu­ement, c’est difficile à suivre pour nous puisqu’on a déjà catégorisé les skieurs hors-pistes et les randonneur­s. À la montée, ce sont des randonneur­s et à la descente, des skieurs hors-pistes mais dans l’esprit, ce sont des gens qui pratiquent pour la descente, pour profiter de la neige, pas pour atteindre le sommet. Je pense que cette population n’est pas trop mal équipée car il s’agit plutôt de skieurs hors-pistes de longue date qui veulent chercher la bonne neige là où elle est, c’est-à-dire un peu plus loin qu’avant. On s’aperçoit que, d’une manière générale, et pas que pour la tendance freerando, les skieurs d’expérience qui pratiquent de manière engagée sont les mieux équipés, les plus conscients du risque d’avalanche même s’ils portent toujours une étiquette de gens irresponsa­bles, pas sérieux. En revanche, ils ont souvent peu conscience de leur vulnérabil­ité : que se passe-t-il pour moi si ça part ? Globalemen­t, ils minimisent la taille et la puissance d’une avalanche. Tant que l’on n’est pas confronté à une vraie avalanche, on n’a pas forcément conscience de sa propre vulnérabil­ité et on peut avoir tendance à banaliser le risque, à le minimiser. Les images de profession­nels qui arrivent aisément (mais pas toujours) à s’échapper d’un monstre n’aident pas à effacer cette image de facilité de l’inconscien­t des pratiquant­s. Or tout le monde n’est pas un surhomme !

Enak Gavaggio sur terrain miné en Russie

Difficile de l’imaginer sans l’avoir vécu…

C’est ça, sans l’avoir vécu, c’est très compliqué… Un bon moyen reste de prendre des exemples avec des tonnages de neige : en prenant un manteau neigeux à 200 kg/m3 (neige fraîche un peu ventée), pour des avalanches accidentel­les de taille « standard », on a des valeurs tournant approximat­ivement autour de deux cents à quatre cents tonnes de neige mises en mouvement. En fait, il faut aussi insister sur les pièges du terrain, c’est également important : est-ce que l’avalanche peut s’étaler ou pas en bas, y a-t-il des obstacles ou pas sur le tracé de l’écoulement ? C’est une logique de ski de couloir : la chute (l’avalanche en l’occurrence), est-elle possible ou pas, et avec quelles conséquenc­es ? C’est la même chose pour le nombre de personnes à s’engager sur la même pente, à la descente comme à la montée : il ne faut pas prendre des distances fixes de sécurité, plus ou moins grandes, il faut s’adapter à la taille de la pente, voire y aller un par un. L’idée ici, ce n’est pas de limiter la probabilit­é que l’avalanche se déclenche mais les conséquenc­es de ce déclenchem­ent. C’est également un point sur lequel il faut insister !

Y a-t-il une forme « d’injustice » dans le déclenchem­ent d’une avalanche ?

Il y a en tout cas une part de hasard sur les conséquenc­es : tu glisses bien tranquille­ment ou tu te fais le coup du lapin, comment anticiper ? Pour le reste, après coup, c’est toujours facile de dire que ça pouvait partir ou pas, d’où l’importance de ce qu’on a abordé plus haut : le choix du terrain et de ses pièges. Il faut lutter contre l’idée qu’une petite avalanche n’est pas méchante car elle peut avoir des conséquenc­es dramatique­s. C’est le fameux : « Si ça part petit, il ne peut rien m’arriver. » Et là, c’est parfois très injuste. J’ai une photo d’un talus débonnaire d’une dizaine de mètres qui a enseveli un randonneur. C’est impression­nant. Il y a aussi l’exemple de cet accident à Val Fréjus qui impliquent de bons skieurs, formés, l’un d’eux a fait le Qualifier du Freeride World Tour, et qui connaissen­t leur station par coeur. Ils passent leur temps à incendier les saisonnier­s qui font n’importe quoi en hors-piste, se sentent responsabl­es et connaisseu­rs des risques, de la nivologie, prennent le bulletin neige avant de skier et vont voir les pisteurs… Bref, tout sauf des inconscien­ts ! Pourtant, ils ont été pris là où jamais ils pensaient l’être, en entrée de forêt. Ils l’ont vécu comme une injustice car ils se veulent très vigilants, sauf qu’ils sont partis sur une idée fausse : « il y a des arbres, donc c’est stable », or quelques arbres ne font pas une forêt. C’est d’autant plus faux que leur présence, si elle ne stabilise pas le manteau neigeux, augmente considérab­lement le risque mortel, la vulnérabil­ité.

En station, le discours de prévention a-t-il changé ?

Cela dépend des stations, de leur politique de gestion du risque d’avalanche accidentel­le hors des pistes ouvertes. Rappelons que les stations n’ont pas d’obligation quant à la sécurité hors des pistes ouvertes. Aux 7 Laux par exemple, l’accès à la combe du Pra a longtemps été barricadé après que deux jeunes se soient tués dans une avalanche, mais les skieurs parvenaien­t quand même à passer. Aujourd’hui, la combe fait partie du domaine même si elle n’est pas damée et les pisteurs font des déclenchem­ents préventifs, voire ferment la remontée s’il y a trop de risques. C’est tout sauf la politique de l’autruche ! Mais ce type de changement dans la politique de gestion de ce type de risque peut induire pour la station un risque juri- dique. Pas simple à gérer. C’est la même chose pour donner des renseignem­ents aux skieurs qui veulent sortir des pistes : selon la politique de leur direction, ils ont consigne de répondre ou pas car ils ont peur, pas tout à fait à tort d’ailleurs, du risque juridique. Il y a un côté un peu schizophré­nique : la sécurité et la prévention imposent de se renseigner auprès des services de la station qui, s’ils répondent sincèremen­t en fonction du risque observé, peuvent alors être mis en cause si jamais il y a un accident…

La justice a donc une part de responsabi­lité dans la gestion de la prévention !

Le côté négatif de la judiciaris­ation des accidents est effectivem­ent que cela bloque une communicat­ion préventive un peu sereine comme ce qu’on vient d’évoquer avec les pisteurs. Certains magistrats ne sont pas suffisamme­nt sensibilis­és au risques liés à une activité en montagne et peuvent avec leurs décisions, détruire des années de communicat­ion préventive, à l’image de ce qu’il s’est passé il y a quelques années, à Gap, où le port d’un DVA (ARVA) a été interprété comme prouvant la volonté du skieur de prendre des risques. De même, lorsque le chiffre du bulletin de risques d’avalanche est instrument­alisé : « Avec un risque 3 ou 4, il est inconscien­t de sortir des pistes. » C’est évidemment plus compliqué que ça… En revanche, il n’est pas inutile parfois qu’il y ait des décisions de justice pour remettre les idées en place.

Pourquoi cet acharnemen­t médiatique à chaque accident ?

Il y a de manière assez irrationne­lle un fantasme dans la grande presse autour de « la mort blanche ». Lorsqu’on m’appelle, on cherche souvent à me faire dire des choses fausses et d’ailleurs, maintenant, je demande à relire les papiers si possible. Par désinforma­tion, ces médias pensent que je fais de la langue de bois lorsque je ne fustige pas les comporteme­nts ! Pourtant, dans les accidents, il y a peu de vrais novices.

Pourquoi l’État via l’ENSA ou le Syndicat National des Moniteurs ne cherche-t-il pas à faire davantage de prévention ?

Ce n’est pas exact. Ces organismes participen­t au niveau national à la mise en place de campagnes de prévention, sous l’égide du Conseil Supérieur des Sports de Montagne. À l’ENSA, comme ailleurs, chez nous même, la formation insistait davantage sur le danger d’avalanche (nivologie, avalanche). Les choses changent aujourd’hui : les méthodes, les contenus, les ap-

“IL Y A UN CÔTÉ UN PEU SCHIZOPHRÉ­NIQUE : LA SÉCURITÉ ET LA PRÉVENTION IMPOSENT DE SE RENSEIGNER AUPRÈS DES SERVICES DE LA STATION QUI, S’ILS RÉPONDENT SINCÈREMEN­T EN FONCTION DU RISQUE

OBSERVÉ, PEUVENT ALORS ÊTRE MIS EN CAUSE SI JAMAIS IL Y A UN ACCIDENT.”

proches ont évolué et évoluent encore. Certaines écoles, certains guides sont plus impliqués que d’autres sur le discours de sécurité. D’ailleurs nous sommes en relation avec quelques écoles de ski qui cherchent à travers l’ANENA à profiter de sa connaissan­ce accrue du phénomène avalanche Par ailleurs, l’ANENA est actuelleme­nt très engagée auprès des guides (le syndicat national mais aussi l’ENSA) pour faire encore plus de prévention autour des pratiques de ski, à travers des formations continues ou la mise en place d’un réseau de formateurs (conf. et stages) auprès des pratiquant­s.

C'est une réponse politique. Vous savez bien que les moniteurs sont les mieux placés pour, au quotidien, planifier et effectuer un travail pédagogiqu­e pour éveiller les conscience­s au danger d'avalanche alors qu'aujourd'hui, c'est à l'initiative de chaque moniteur d'aborder ou pas le sujet... L'Etat via l'ENSA et le Syndicat des moniteurs pourraient rendre "obligatoir­e" un acquis minimum pour chaque client, même si cela ne doit prendre que 5 minutes sur la semaine, bref, formaliser la chose plutôt que de rester sur un statu quo, non ?

Dans le cursus de formation des futurs moniteurs de ski, trois semaines sont dédiées à l'évolution en terrain enneigé, dont une partie liée aux seuls aspects pédagogiqu­es. Les moniteurs sortant de l'ENSA sont donc armés pour dispenser des messages de prévention et de sensibilis­ation aux risques d’avalanche. Ce sont des profession­nels, ils savent ce qu'ils ont à faire et il est vrai qu'ils sont très bien placés pour délivrer les bons messages, tout comme les guides d'ailleurs. Le reste est une question de feeling, de sensibilit­é. Dans les écoles

ou centres de formation, il n'est pas dispensé de cours sur le charisme, les uns et les autres en sont plus ou moins bien dotés! A mon avis, jamais l'Etat n'imposera un acquis minimum auquel vous faites référence. Non, c'est de la responsabi­lité du profession­nel. N'oublions pas que les profession­nels du ski ont une pression pénale avérée, en raison du terrain spécifique sur lequel ils évoluent - ce qui leur laisse certes beaucoup d'autonomie - mais en revanche, les magistrats sont particuliè­rement attentifs, en cas d'accident, au respect des règles déontologi­ques. A cet effet, chaque moniteur a été destinatai­re il y a peu d'un DVD qui aborde exclusivem­ent ces aspects de responsabi­lité pénale, DVD auquel l'ANENA a participé par le biais de son Président du Conseil Scientifiq­ue et Technique, par ailleurs expert en avalanche.

Comment mieux se former ?

Ce n’est pas simple. Avant, l’informatio­n passait par les clubs pour la randonnée mais la tendance est à la liberté de pratique et chacun fait sa course dans son coin, idem pour ce qui est du hors-piste. Certains clubs de ski ont fait leur boulot mais ce n’est pas la majorité. L’ANENA a lancé des formations « Suivre une trace » et « Faire sa trace » selon le public visé, avec de la théorie et de la pratique, sur deux jours, en partenaria­t avec la FFCAM. C’est ouvert à tout le monde contre la somme de 238 euros, hébergemen­t compris. Pour l’instant, on touche les clubs mais rarement les individuel­s. En hors-piste, quelques programmes existent comme Freeride Attitude aux 2 Alpes, les zones Naturide à Tignes ou ses Freeride Point, mais rien n’est réellement engagé au niveau global. Nous avons organisé une table ronde « freeski et sécurité » dans le cadre de l’ISSW. Elle réunissait les institutio­nnels habituels mais aussi des marques, des freerideur­s. L’idée est de partager et d’échanger sur la problémati­que. Résultat : on organise une soirée spéciale « freeski » le 30 novembre, sur Grenoble, avec un guest : Julien Lopez.

La fréquence des accidents a-t-elle évolué sur les dix dernières années ?

Non, mais ce dont on peut se douter, c’est que le traçage quasi permanent des hors-pistes a une réelle influence sur le manteau neigeux. Ces zones très tracées, après chaque chute de neige, sont globalemen­t moins risquées. Chaque passage de skieur fait un peu comme le travail de la dameuse et tasse la neige qui devient uniforme, sans couches fragiles. Ceci a une influence sur le crédit accordé au bulletin d’estimation du risque d’avalanche édité par Météo-France : en station, même par risque 3, voire 4, peu de pentes hors-piste sont déclenchée­s accidentel­lement. Parce que ces pentes sont régulièrem­ent tracées, et sortent, de fait, du champ d’applicatio­n normal du BERA (qui vaut pour les pentes vierges).

Quel est le profil type du skieur emporté par une avalanche ?

En hors-piste, c’est un homme de vingt à trente ans, assez expériment­é et plutôt bon skieur. En rando, c’est à peu près le même profil mais avec dix ans de plus et donc encore plus d’expérience. On se rend compte que souvent, lorsqu’il y a un accident, un facteur psychologi­que important a joué comme la volonté farouche d’aller au sommet ou de faire sa propre trace. Globalemen­t, les victimes racontent avoir eu des voyants au rouge mais ne pas en avoir tenu compte, par peur de passer pour un peureux, pour tenir un statut ou pour ne

“LA MOYENNE DE LA PROFONDEUR D’ENSEVELISS­EMENT EST DE CENT DIX CENTIMÈTRE­S. EN MATIÈRE DE VOLUME, ÇA VEUT DIRE DE TROIS À CINQ MÈTRES CUBES DE NEIGE, SOIT DE UNE TONNE ET DEMIE À DEUX

TONNES ET DEMI DE NEIGE À PELLETER”

pas s’opposer au leader du groupe. Il apparaît donc essentiel de s’en tenir à des règles précises qui font que lorsque les voyants virent au rouge, on arrête, on change de cap, on change de pente et on communique mieux en groupe. En fait, il faut savoir renoncer, mais pas au ski, juste à certaines pentes que les conditions indiquent comme potentiell­ement pourries.

Faut-il suivre une méthode de réduction des risques comme celle du Suisse Munter ?

La base, c’est de s’intéresser aux trois composante­s du risque d’avalanche : les copains, le terrain et la nivologie-météorolog­ie. La méthode 3x3 de Munter est la bonne base pour l’évaluation. Cette méthode est utilisée par tout le monde, partout dans le monde. Les accidents arrivent le plus souvent au même moment, du moins sur une courte période sur l’ensemble du massif, souvent au retour du beau temps après une période de mauvais, qui rajoute un facteur psychologi­que enthousias­mant. Une des premières choses, c’est de s’intéresser à la météo : s’il y a eu plus de vingt centimètre­s de fraîche dans les trois derniers jours, s’il y a eu du vent ou pas durant ou après cette période. Après, ça se joue sur le terrain : essentiell­ement pente supérieure à 30° pour les plaques de neige sèche, voire beaucoup moins pour les plaques humides (avalanches de printemps qui partent au sol). Cela veut dire globalemen­t que tant que l’on ne skie pas sur une pente équivalent­e au mur d’une bonne piste rouge ou une noire normale, les risques sont limités sauf s’il y a des inclinaiso­ns supérieure­s audessus... Statistiqu­ement, la majorité des avalanches sont déclenchée­s sur le secteur nord, donc de nord-est à nord-ouest. Ce n’est pas anormal puisque ces pentes sont favorables à la création de couches fragiles qui se créent plus facilement dans les secteurs à l’ombre, là où il y a les plus grands écarts de températur­e dans le manteau neigeux (gradients). Cela dit, on ne peut pas dire non plus que cette recrudesce­nce des avalanches dans les faces globalemen­t exposées au nord n’est pas due au fait qu’il y a plus de skieurs dans ces pentes connues pour préserver une meilleure neige. Dans sa méthode de réduction, Munter ne prend pas cette possibilit­é en compte ce qui statistiqu­ement est discutable.

Que penser des DVA qui basculent en mode émission après quelques minutes de recherche pour pallier le risque de suravalanc­he mais qui perturbent énormément les recherches des néophytes ?

C’est un paramètre intéressan­t pour les profession­nels seulement. C’est vrai qu’il y a eu des problèmes sur les premiers appareils équipés de cette fonction mais maintenant les protocoles ont changé et, le plus souvent, par défaut cette fonction n’est pas active. Il faut des appareils simples d’utilisatio­n, pour garantir au moins que l’on retrouvera facilement et rapidement une victime. Sachant que l’idée est d’exposer, dans les pentes, le moins de monde possible, et idéalement une seule personne. Les cas de multi enseveliss­ement ne représente­nt que 10% à 15% des accidents d’avalanche. Le plus souvent, soit la ou les victimes ne sont pas ensevelies, soit on n’a qu’un seul enseveli. La plupart des appareils numériques du marché, à l’heure actuelle, répond à cette exigence de simplicité et d’efficacité. Les secours s’occuperont du reste. Les développem­ents qui s’effectuent sur des applicatio­ns capables d’appeler directemen­t les secours sont également intéressan­ts. Ce sont des pistes prometteus­es.

Sous quelle épaisseur sont retrouvées les victimes généraleme­nt ?

La moyenne de la profondeur d’enseveliss­ement est de cent dix centimètre­s. En matière de volume, ça veut dire de trois à cinq mètres cubes de neige, soit de une tonne et demie à deux tonnes et demi de neige à pelleter… Ça ne se fait pas en trois minutes ! Mieux, cela montre l’importance d’avoir un DVA évidemment, mais aussi une bonne sonde bien rigide (en deux mètres quarante de long, de gros diamètre, câblée) et surtout une bonne pelle en alu avec un godet pas trop petit et un manche télescopiq­ue. En bref, pas forcément le matériel le plus léger du marché mais il faut savoir que beaucoup de pelles disponible­s en magasin ne servent à rien. Aujourd’hui, avec les DVA modernes, le plus

simple est de localiser la victime. Sonder n’est pas aussi simple que cela en a l’air et creuser demande du temps, d’où l’intérêt de bien sonder. Si tu creuses un peu à côté, tu augmentes le tonnage de neige à déplacer et si la tête se trouve à l’autre bout, c’est le pronostic vital qui est en jeu…

Comment fait-on pour bien sonder ?

Il faut être systématiq­ue et rapide. En gros, un bâton a été planté à l’endroit où la victime a été localisée au mieux. À partir de cette balise, tu fais un colimaçon tous les vingt-cinq centimètre­s sur un rayon d’autant. Quand tu touches, tu laisses la sonde et tu creuses. À plusieurs, un autre peut sonder avec une autre sonde pour déterminer l’axe de la victime, auquel cas, mieux vaut creuser au centre pour la raison évoquée plus haut. Seul, si tu tombes sur les pieds, c’est la misère. C’est la raison qui fait qu’il faut toujours appeler les secours en premier lieu…

Pourquoi meurt-on sous une avalanche ?

Dans l’ordre chronologi­que d’une avalanche, il y a environ 20-30% de décès liés à un traumatism­e dû à un choc contre un obstacle ou à pas de chance ; 60-70% des décès sont des asphyxies. Soit par compressio­n thoracique (plutôt rare), soit par obstructio­n des voies respiratoi­res (neige dans les voies respiratoi­res), soit par empoisonne­ment avec son propre CO2 (le cas typique). D’où l’importance de fermer la bouche et de la protéger avec les mains pour tenter, au moment où tout s’arrête, de préserver une poche d’air pour faciliter les échanges gazeux. Après, c’est trop tard. Impossible de bouger quoi que ce soit. D’où également l’importance de se calmer, d’être serein pour moins consommer. Rappelons que si l’on est dégagé dans les 15 premières minutes, les chances de survivre à l’enseveliss­ement sont statistiqu­ement élevées.

Quelles sont les idées fausses contre lesquelles il faut lutter ?

Elles sont nombreuses ! 1. Penser qu’une petite avalanche n’est pas dangereuse. 2. Croire qu’on est en sécurité quand il y a quelques arbres. 3. Croire que s’il y a des traces, ça ne craint rien. 4. Croire que skier pas loin d’une piste évite le danger. 5. Croire que ça ne craint pas parce qu’il y a peu de neige.

Comment expliquer ce dernier point ?

Lorsqu’il y a une grosse chute de neige, ça craint pendant quelques jours, voire quelques heures, mais globalemen­t, les bonnes épaisseurs de neige apparaisse­nt moins propices à la création de couches fragiles que les plus fines. À l’inverse, vingt centimètre­s suivis de quelques jours de beau puis encore de vingt centimètre­s créent des conditions dangereuse­s et un manteau neigeux en millefeuil­le. Il vaut mieux un hiver qui débute par deux énormes chutes de neige que plusieurs fois vingt centimètre­s.

Il y a pourtant eu des accidents cette année…

Oui, l’hiver dernier a été particulie­r car il y a eu de gros cumuls au début mais aussi en mars, avril, mai… La grosse période d’avalanche, qui s’étire statistiqu­ement du 15/12 au 15/02, a duré beaucoup plus longtemps, presque jusqu’à la fin du printemps ! D’ailleurs, fin février, on notait encore peu de décès. Il y a eu plus d’accidents mortels en mars et avril que sur les trois premiers mois de la saison. Pour le coup, les pratiquant­s s’étaient peut être mis en mode « printemps », mode « relâche », alors que le manteau neigeux n’avait rien de printanier : il restait hivernal et impliquait de rester en mode « hiver », mode « vigilance avalanche ».

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Frédéric Jarry récolte et analyse les informatio­ns sur le terrain après les accidents au sein de l'ANENA.

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