BIEN GÉRER LE RISQUE SUR UNE SORTIE
QUELLE APPROCHE POUR MIEUX COMPRENDRE LA NEIGE ?
POUR LIMITER LES RISQUES EN MONTAGNE, IL Y A CERTES LA SÉCURITÉ PASSIVE AVEC LE FAMEUX TRIPTYQUE OBLIGATOIRE DVA-PELLE-SONDE MAIS LA BONNE GESTION DU RISQUE DÉBUTE LA VEILLE, À LA MAISON, EN PRÉPARANT SÉRIEUSEMENT SA JOURNÉE À PARTIR DU BERA OU BRA, SELON, (BULLETIN D’ESTIMATION DU RISQUE D’AVALANCHE) DE MÉTÉO FRANCE. SÉBASTIEN ESCANDE, GUIDE HAUTE MONTAGNE ET FORMATEUR À L’ANENA, NOUS DÉTAILLE LA DÉMARCHE À SUIVRE POUR PROFITER AU MIEUX DE LA NEIGE AVEC UN CRÉDO : ÊTRE VIGILENT, CE N’EST PAS RENONCER À SKIER EN HORS-PISTE, C’EST SEULEMENT CHOISIR LE BON OBJECTIF OU SAVOIR EN CHANGER EN FONCTION DES CONDITIONS… DES CONSEILS QUI VALENT DE L’OR… BLANC !
Dans les pratiques évoluant hors des pistes balisées et sécurisées, qu’il s’agisse de ski de randonnée, de ski hors-piste, d’alpinisme ou de raquette à neige, on gagnerait tous à avoir un minimum de connaissances, de savoir-faire et un certain « savoir-être ». La clef de voûte de la prise de décision en terrain avalancheux est le volet humain. En effet, il est possible, avec l’expérience (connaissances et techniques), d’intégrer au mieux les indices de cet environnement complexe mais nos comportements ou une mauvaise communication nous piègent souvent… Il est intéressant de retenir qu’une prise de décision se décline en plusieurs points : - observation - analyse - décision (réduction du risque) - communication (briefing, consignes) - action (stratégies) Cette approche donne une place centrale à l’individu qui peut après s’appuyer sur des méthodes (comme la 3x3 imaginée par W. Munter) pour analyser/décider. Dans cette démarche, l’expérience interviendra à tous les niveaux, d’autant plus efficacement si il y a un leader identifié dans le groupe (puisqu’on ne part jamais seul !). Une étude menée par Ian Mac Cammon en 2009, spécialiste du risque d’avalanche et psychologue, montre qu’on retrouve globalement cinq profils ou postures de meneurs : - le fonceur : c’est celui qui va au bout de son projet, du moment qu’il a décidé d’y aller. - le cartésien : c’est celui qui se base uniquement sur la science et qui aimerait tout vérifier en permanence, chose irréalisable. Du coup, il fait des paris ou ne se décide pas. - l’expérimenté : c’est celui qui joue avant tout sur l’affect et sur l’expérience. Cela peut être une posture efficace dans une situation déjà vécue ou simi- laire mais peut s’avérer très pervers puisqu’il joue sur l’émotionnel et pas le rationnel. - le procédurier : c’est celui qui s’appuie uniquement sur une méthode ou un outil d’analyse qu'il suit les yeux fermés. Au contraire de l’expérimenté, il ne s’écoute absolument pas. - le vigilant « encadré » : c’est celui qui identifie au fil de sa progression des alertes « orange » et qui se place dans un mode de vigilance particulier. Les 2 premiers profils sont plutôt dangereux, un mélange des 3 autres profils serait le plus efficace ! Le dernier en particulier est enseigné chez les
"AVANT DE CROIRE QU’UNE MÉTHODE D’ÉVALUATION DES RISQUES L’EMPORTE SUR UNE AUTRE, IL FAUT PRENDRE DU RECUL SUR SA
DÉMARCHE PERSONNELLE."
guides français : il est moins lourd à utiliser que les méthodes, plus cadré que celui qui ne joue que sur l’expérience ou au feeling… Donc, avant de croire qu’une méthode d’évaluation des risques l’emporte sur une autre, il faut prendre du recul sur sa démarche personnelle. Dans un second temps, nous proposons une démarche structurée à chaque moment de décision (avant, au départ, pendant) croisée aux différents facteurs (avec qui suis-je, dans quelles conditions, où, etc.), le tout en s’appuyant sur les différents outils déjà disponibles, comme le BERA (Bulletin d’Estimation du Risque d’Avalanche).
PRÉPARATION :
Le Bulletin d’Estimation du Risque d’Avalanche Ce travail effectué par Météo France mérite qu’on s’y attarde un peu, d’autant qu’il a grandement évolué ces dernières années, devenant riche, pointu et pédagogique pour peu qu’on sache le décrypter. Il faut avant tout comprendre qu’il s’agit d’une prévision, pas d’une certitude, effectuée par massif. On est donc loin de la réalité d’une station en général et encore moins d’une pente en particulier : ce n’est donc jamais un blanc-seing pour s’engager dans un run mais cela reste le meilleur outil pour comprendre l’état global de stabilité du manteau neigeux. D’un coup d’oeil, la vision d’ensemble permet de savoir si les risques sont plus ou moins forts et dans plus ou moins de pentes grâce à la rosace des vents. Pour le chiffre de l’état du risque (de 1 à 5), sachez qu’à 4, on est déjà au niveau maximal pour les déclenchements provoqués ! À partir de ce niveau, les avalanches n’ont besoin de personne pour partir… Le bulletin donne aussi l’altitude à laquelle les conditions changent ou les secteurs géographiques les plus risqués (proximité des crêtes, pentes ombragées…), ce qui permet en fonction de l’itinéraire choisi, d’envisager la sortie ou pas. L’essentiel demeure de mémoriser ces éléments simples (voire les noter pour les regarder sereinement une dernière fois sur place), pour être capable d’en expliquer le contenu aux autres. Après, il s’agit de noter tout ce qui peut être différent : quantité de neige fraîche tombée par rapport à ce qui était annoncé ; transport de neige par vent en cours ou pas ; force du vent ; direction ; etc.
Sur la haute route comme ailleurs, suivre la trace n’est un gage de sécurité que si les distances en fonction du relief sont respectées. © Dom Daher
Tout ce qui diffère du bulletin doit éveiller l’attention, interroger pour valider à nouveau ou remettre en cause le but de la journée. C’est bête comme chou mais essentiel car souvent, tout est écrit dans le bulletin : Météo France annonce du beau temps : fait-il beau ? Météo France annonce vent du nord : y a-t-il du transport de neige par vent du nord, les crêtes fument-elles ? Je vois des déclenchements récents de coulées : conforme au BERA, je peux aller me renseigner auprès des pisteurs….
AU DÉPART
Une fois sur le terrain, il s’agit de regarder l’homogénéité du groupe en matière de niveau technique et d’équipement (de sécurité notamment) mais aussi de connaissance avant de s’engager, après, il est trop tard. Un passage raide avec une personne peu sûre et c’est vite la panique… Tirer droit (ou vite) dans un passage court mais potentiellement avalancheux sachant qu’on va immédiatement se dégager sur une zone sécurisée, cela n’est pas possible lorsqu’on n’a ni le niveau technique, ni le niveau physique pour le faire, etc. Une discussion de l’ensemble du groupe sur les conditions du jour (quels dangers ?) et les projets envisagés s’avère souvent bénéfique La pente, dénominateur commun de l’avalanche Jusqu’à 30° d’inclinaison, c’est-à-dire souvent le plus raide d’une bonne piste rouge ou une piste noire classique, le terrain s’avère globalement stable : les plaques de neige sèche se déclenchent majoritairement à partir de cette valeur seuil. Attention, cette donnée est valable pour les pentes empruntées mais aussi celles qui vous dominent et celles qui vous entourent. Car une fois l’avalanche déclenchée, elle mobilise la neige des pentes beaucoup plus faibles, c’est-à-dire qu’elle se nourrit et grossit au cours de sa descente. Pour connaître l’inclinaison d’une pente, on peut utiliser un clinomètre voire ses propres bâtons, mais cela n’est qu’un outil d’apprentissage pour se donner quelques références : mieux vaut évaluer à la louche l’ensemble sachant que pour les skieurs, une piste noire fluctue entre 25 et 35° et que pour les randonneurs, les conversions deviennent obligatoires à la montée, à partir de 25°… En cas de doutes sur la stabilité du manteau neigeux dans la pente convoitée, il est souvent possible de faire un test de stabilité sur une pente moins engagée, plus courte ou moins raide, mais gardant les caractéristiques de celle visée (même orientation, même raideur, mais juste un talus au-dessus d’un terrain bien plat en bas, etc.). Cela permet de valider les décisions tout en faisant du bon ski. Pour connaître la structure du manteau neigeux, une coupe peut s’avérer intéressante en termes pédagogiques pour visualiser le millefeuille constitué par les multiples chutes de neige. Sinon, en matière de sécurité, mieux vaut bien lire le Bulletin d’Estimation du Risque d’Avalanche et le confronter au terrain que de creuser des trous tous les cinquante mètres !
SUR LE TERRAIN
En préambule, la vigilance n’empêche pas le plaisir, elle permet simplement de profiter plus ! Donc, sur le terrain, il s’agit d’abord de bien observer la pente et sa configuration... Quelles conséquences en cas de départ de cette pente ? Son ampleur et d’éventuels facteurs aggravants : rochers apparents, barres rocheuses, tombant dans un torrent ou un lac, etc.) ? Dans un second temps, il s’agit d’identifier les signes éventuels d’instabilité : accu-
“LA VIGILANCE N’EMPÊCHE PAS LE PLAISIR, ELLE PERMET SIMPLEMENT DE PROFITER PLUS ! DONC, SUR LE TERRAIN, IL S’AGIT D’ABORD DE
BIEN OBSERVER LA PENTE ET SA CONFIGURATION...”
mulations de neige (quelle épaisseur mobilisable ?), passages glacés, petits déclenchements par des skieurs avant nous… Si les voyants restent au vert (voire un peu orange), alors il faut définir une stratégie de groupe : trajectoire à suivre et donc zones à éviter ; point de ralliement et espacement. Souvent le leader part en premier afin que sa trace délimite la zone à skier (« skiez à gauche de ma trace » pour éviter les creux ou les barres, par exemple), sachant qu’un skieur non entraîné a beaucoup de mal à se situer dans la montagne passé les cent premiers mètres et que les consignes ne sont pas toujours respectées. Parfois, à niveaux (de ski) équivalents, après avoir bien briefé ses collègues, le leader peut partir en dernier, gérant alors au mieux les autres lors de leur entrée dans la pente. Par ailleurs, un talkie-walkie s’avère un super outil pour communi- quer (pas de problème de réseau) car si le premier identifie une situation toxique, il est essentiel qu’il puisse communiquer rapidement avec le reste du groupe avant que tout le monde ne s’engage dans cette galère la fleur au fusil… Dernier conseil, le point de ralliement doit être évidemment à l’abri d’un potentiel danger. On a souvent tendance à se réfugier sur un éperon mais souvent, en plein hiver, les zones rocheuses maintiennent une certaine instabilité du manteau neigeux alentour. À éviter si cet éperon est lui-même dominé par une pente.
L’ESPRIT DE CORDÉE
Skier à deux impose la même démarche qu’en groupe. Le leader définit la stratégie à suivre, ce qui ne doit pas empêcher la communication. L’idée de « l’esprit de cordée », où l’on remet sa vie entre les mains de l’autre et vice et versa, ne fonctionne que si chacun formule ce qu’il ressent avec des mots qui signifient la même chose, c’est-à-dire un langage commun. Le classique « Ça craint ? » peut dire des choses bien différentes : il s’agit donc d’expliciter clairement les choses sous peine de se retrouver en plein malentendu. De même, dans cette logique de cordée, chacun doit avoir son équipement minimum (DVA, pelle, sonde). Partir avec un ami non équipé paraît impensable. C’est jouer sa vie car l’autre n’aura pas la capacité d’agir pour vous sortir, si ce n’est appeler les secours. C’est dans l’étape de la préparation, la veille, que le message doit passer : chacun doit être équipé car très souvent, des groupes se retrouvent avec un ou deux « intrus » non équipés simplement parce que ce qui paraît évident pour certains ne l’est pas pour d’autres. Si on n’anticipe pas ce type de comportements, on risque au mieux la frustration, au pire de se mettre dans une situation particulièrement dangereuse et à forte responsabilité s’il y a un accident.
Matilda Rapaport s’échappe de la coulée qu’elle a elle-même déclenchée à Haslital. © Oscar Enander