LES APPLIS SÉCURITÉ PEUVENTELLES CONCURRENCER LES DVA ?
DES APPLICATIONS CAPABLES DE LOCALISER LES VICTIMES D’AVALANCHES ET D’ALERTER AUTOMATIQUEMENT LES SECOURS EN CAS D’ACCIDENT CRÉENT LE BUZZ DANS LE MILIEU DE LA SÉCURITÉ EN MONTAGNE. LA PLUS ABOUTIE D’ENTRE ELLES, ISIS, EST L’OEUVRE D’UN JEUNE HAUT-SAVOYARD. COMMENT FONCTIONNE-T-ELLE ? QUELS SONT SES ATOUTS ET POINTS FAIBLES ? LES TECHNOLOGIES DE CE TYPE PEUVENT-ELLES, À TERME, REMPLACER LES DÉTECTEURS DE VICTIMES D’AVALANCHES ? ECLAIRAGES.
Décembre 2012, domaine skiable de La Clusaz, Haute-Savoie. Plus de cinq heures après que sa disparition ait été signalée par son épouse, un skieur de 35 ans est retrouvé mort à une centaine de mètres des pistes. C’est grâce à ses identifiants Apple (adresse mail et mot de passe) que le Peloton de gendarmerie de haute montagne d’Annecy parvient ce jour-là à localiser la victime. « A partir du moment où son épouse nous les a fournis, nous avons pu le situer avec précision, à environ 10 mètres. Après coup, nous nous sommes dit qu’un déclenchement automatique, comme celui d’iSis, aurait peut-être permis de le sauver ». iSis ? Une application mobile créée il y a près de deux ans par Malik Karaoui, jeune entrepreneur de Marnaz (voir encadré ci-contre). Capable de déclencher automatiquement l’alerte en cas d’acci- dent et de géolocaliser les victimes, cette dernière avait très vite fait entrevoir des possibilités nouvelles dans le milieu du secours en montagne. « A l’époque, les smartphones étaient déjà de plus en plus souvent utilisés pour déclencher des alertes dites manuelles, se souvient Eric Lazeri. Le premier point qui a attiré notre attention fut donc la possibilité d’alerte automatique et de localisation précise en cas d’accident grave (chute, choc, avalanche) provoquant l’inconscience de la victime. Aujourd’hui encore, comme à La Clusaz, nous perdons souvent des minutes précieuses au moment de situer les lieux d'accidents ou de disparition des victimes. Malgré des moyens techniques et humains à la pointe et des permanences effectuées 24 heures sur 24, nous devons souvent rester en attente car la victime ou les témoins de l'accident sont incapables de se localiser avec précision.»
COMMENT ÇA MARCHE ?
L’application iSis fonctionne assez simplement. Elle peut être téléchargée sur iPhone 4S et 5 en se connectant à l’App Store. L’abonnement coûte 5,99 euros pour une semaine et 79,99 euros pour un an. Ce prix, relativement élevé pour une applica- tion, doit être mis en perspective avec le coût d’un détecteur de victimes d’avalanches, soit environ 250 euros. Pour autant, « il n’est pas question de venir remplacer les DVA, insiste Malik Karaoui. Nous jouons la carte de la complémentarité ». Une fois l’application téléchargée, son utilisateur est immédiatement géolocalisé. iSis suit alors en permanence la vitesse et la trajectoire du smartphone. À chaque arrêt du skieur, son parcours est passé au crible. S’il correspond à une trajectoire de type « chute en avalanche » ou « chute de barre rocheuse », un SOS est automatiquement envoyé aux secours. Dans le cas où la victime serait consciente, elle peut aussi déclencher manuellement l’alerte. « En cas d’avalanche, les quinze premières minutes sont vitales, explique Malik Karaoui. iSis permet de gagner un temps précieux grâce à la précision de la géolocalisation et la
“ISIS PERMET DE GAGNER UN TEMPS PRÉCIEUX GRÂCE À LA PRÉCISION DE LA GÉOLOCALISATION ET LA TRANSMISSION DES DONNÉES PERSONNELLES DE LA VICTIME, CES DERNIÈRES AYANT ÉTÉ PRÉALABLEMENT SAISIES PAR LE PROPRIÉTAIRE DE L’APPLICATION ”
transmission des données personnelles de la victime, ces dernières ayant été préalablement saisies par le propriétaire de l’application au moment de son téléchargement ». Pour accéder aux signaux émis par l’application, les professionnels des secours (services des pistes, CRS, PGHM) sont de leur côté connectés à un site internet dédié. Ce dernier permet de localiser sur un périmètre préalablement défini l’ensemble des skieurs possédant iSis. Dans le cas où la batterie du smartphone viendrait à s’épuiser une fois l’application téléchargée, le signal reste mémorisé par les services de secours. « Une fois dans le cercle d’imprécision GPS, c’est le bluetooth qui prend le relais, précise Malik. L’iPhone qui passe en mode bluetooth envoie un SOS à tous les téléphones équipés de l’application, laquelle sera reçue si la personne lance un scan ».
COMPLÉMENTAIRE AU DVA… POUR L’INSTANT
Les grands acteurs du secours en montagne s’accordent à considérer iSis comme « un produit plein d’avenir », comme l’explique Serge Reveill de Domaines skiables de France. « Bien évidemment, il doit encore être amélioré et ne doit pas être considéré comme une solution miracle. Une application, quelle qu’elle soit, n’empêchera jamais personne de se blesser ni d’être équipé correctement par ailleurs ». Pour Claude Jacot, responsable du système national d’observation de la sécurité en montagne, le pôle expertise de l’Ecole nationale du ski et d’alpinisme, iSis offre, en plus du gain de temps en cas d’utilisation par des non professionnels, la possibilité d’organiser différemment les opérations de secours. « Lorsque nous arrivons sur une scène d’accident, nous commençons par mettre en place notre secours, ce n’est que dans un second temps que nous prévenons nos collègues. Avec iSis, la possibilité de prévenir peut être déléguée et donc simultanée à la préparation du secours. Cela change beaucoup de choses ».
Si les applis ont un avenir, le DVA reste l’unique référence aujourd’hui. © Steph Candé
En dehors de la stricte fonction de secours, Sébastien Martin du service des pistes de La Clusaz trouve intéressante « la possibilité de savoir qui est encore sur le domaine skiable lorsque nous fermons ce dernier au public le soir ». Convaincue du potentiel de l’outil, l’ENSA n’a pas hésité à inclure son maniement à la formation des futurs moniteurs de ski et des guides de haute montagne. « Nos cursus contiennent des séquences ‘stratégie avalanche’ au cours desquelles nous travaillons sur la sécurité active et sur la sécurité passive. C’est dans cette seconde famille qu’est intégré le maniement des DVA et que sera intégré le maniement d’iSis dès cet hiver ». Claude Jacot imagine très bien, de sa batterie n’excède que très rarement une journée. Il est en outre difficile d’actionner un iPhone avec des gants de ski voire des moufles. A considérer la question d’un peu plus près, ces inconvénients semblent pouvoir être assez facilement dépassés. Concernant l’incompatibilité avec le système d’exploitation Androïd, Malik Karaoui a déjà commencé à plancher sur la question : « Jusqu’à présent, la plate-forme Androïd posait des problèmes de fiabilité. En déposant une application, nous avions beaucoup de chances d’être crackés ». Des versions compatibles avec les iPhone 5S et 5C sont également à l’étude. Pour les problèmes de ré-
“LOUÉE POUR SES NOMBREUX MÉRITES, L’APPLICATION ISIS A PLUSIEURS LIMITES. ELLE N’EST D’ABORD COMMERCIALISABLE QUE SUR L’APP STORE D’APPLE ET EXCLUT DONC DE FAIT TOUS LES POSSES
SEURS DE BLACKBERRY, SAMSUNG ET AUTRES NOKIA ”
d’ici une dizaine d’années, que ce type d’applications puisse avoir « soit remplacé les DVA, soit été totalement intégré aux DVA par les fabricants. Mais nous n’en sommes pas encore là. Il existe encore plusieurs obstacles techniques à surmonter ». Pour Antoine Ferrero, responsable marketing chez Nic Impex, fabricant du célèbre Arva, l’intégration de ce genre de technologie aux détecteurs de victimes en avalanches serait « un grand pas en avant ». « Mais pour l’instant, ni Nic Impex ni aucun autre fabricant n’a trouvé de solution satisfaisante. Cela pose notamment d’importants problèmes d’autonomie ». Des essais d’intégration de GPS aux DVA ont déjà été réalisés par le passé. La marque Pieps a commercialisé en 2012 le DVA Vector, doté de quatre antennes avec support GPS. Mais le produit fut rappelé pour défaillance technique. « En voulant fabriquer un super DVA-GPS, Pieps a créé un appareil qui n’était ni un bon DVA ni un bon GPS, analyse Antoine Ferrero. C’est une des raisons qui font que pour l’instant, Nic Impex est assez frileux. Nous préférons nous concentrer sur ce que nous connaissons bien : la fabrication de DVA performants de plus en plus simples d’utilisation ».
DES TECHNOLOGIES ENCORE PERFECTIBLES
Louée pour ses nombreux mérites, l’application iSis a plusieurs limites. Elle n’est d’abord commercialisable que sur l’App Store d’Apple et exclut donc de fait tous les possesseurs de BlackBerry, Samsung et autres Nokia, soit un nombre de personnes de plus en plus élevé. Son fonctionnement possède en outre les défauts de n’importe quel smartphone utilisé en milieu montagnard. Par température extrêmement basse, inférieure à moins 20 degrés, l’appareil connaît de nombreux ratés. L’autonomie sistance au froid, toutes sortes de housses isolantes adaptées peuvent être ajoutées au téléphone. Quant à la question de l’autonomie, elle n’est « pas si importante que cela », selon Malik « puisqu’une fois qu’un premier signal a été repéré par iSis, il est gardé en mémoire même si l’appareil s’éteint ». A ce jour, les limites les plus sérieuses sont ailleurs. Elles concernent deux points en priorité : le bluetooth et la précision de la recherche finale. La recherche finale s’avère pour l’instant beaucoup moins précise lorsqu’elle est effectuée avec un iPhone que lorsqu’elle l’est avec un DVA dernière génération. « A l’intérieur des iPhone, il n’y a actuellement qu’une seule antenne, commente Antoine Ferrero. Technologiquement, c’est un peu comme si nous revenions à l’utilisation des DVA analogiques. Or aujourd’hui, les DVA ont trois antennes et proposent une recherche extrêmement précise ». Pas du genre à s’arrêter en cours de route, Malik Karaoui a déjà commencé à travailler sur ce point : « l’idée est de parvenir à intégrer un système de recherche directionnel à iSis et non plus en croix ». Concernant le signal bluetooth, plusieurs études tendent à prouver que ce dernier aurait tendance à diminuer fortement sous la neige. D’une portée maximale de près de 150 mètres (sur bluetooth 4.0) en terrain dégagé, il passerait à 45 mètres sous une couche de deux mètres de neige humide. C’est moins mais cela reste honorable. Beaucoup plus problématique par contre, le signal pourrait devenir quasiment inexistant « lorsque l’appareil émetteur est situé sous un corps humain, dit Antoine Ferrero, ce qui a de grandes chances de se produire en cas d’avalanche ». On touche là du doigt « la » réserve la plus importante des technologies de type iSis, la position du corps humain étant une variable totalement incontrôlable en cas d’accident.
ISIS À LA CROISÉE DES CHEMINS
Malik Karaoui le sait, son application est aujourd’hui à un tournant de son existence. Non content d’avoir suscité l’intérêt des professionnels, iSis va cet hiver entrer dans la phase de tests in situ, lesquels viendront notamment confirmer ou infirmer les limites du bluetooth évoquées un peu plus tôt. L’hiver dernier, plusieurs stations partenaires se sont livrées à une première série de tests. Parmi elle, La Clusaz en Haute-Savoie. « Sans nous prévenir, après que la base iSis ait été installée au bureau, une alerte a été lancée, se souvient un responsable. On a pu se rendre compte que la géolocalisation était très précise, que l’alerte était donnée au bon service des pistes et pas à celui de la station voisine. Pour autant, nous n’avons encore jamais véritablement secouru de personne disposant de l’application ». Même constat ou presque du côté de l’ENSA où « nous nous sommes pour l’instant contentés de voir si techniquement, tout fonctionnait correctement, la réception du signal, l’émission de l’alerte… De ce point de vue, nous n’avons jamais eu aucun problème. Par contre, nous n’avons encore jamais essayé de chercher un mannequin équipé d’iSis sous 2 mètres de neige. Cette phase-là débute maintenant ». Un peu partout dans le monde, la concurrence s’organise. D’autres sociétés de même acabit que Nextinov tentent de s’installer sur le segment de la sécurité. Développée en Andorre, l’application Alpify est par exemple téléchargeable sur l’Androïd market mais ne propose pas la géolocalisation automatique. En Suisse, Uepaa est également disponible sur App Store et Androïd Market mais n’est pour l’instant téléchargeable… que par les Suisses. D’après Antoine Ferrero, tous ces produits sont à ce jour « moins performants qu’iSis, mais certains d’entre eux ont l’avantage d’être plus ‘userfriendly’, ce qui n’est pas le moindre des avantages ». NicImpex, comme nombre d’autres entreprises du milieu de la neige ou de l’oudoor, a reçu la visite de ces entrepreneurs « très en avance techniquement mais en quête d’un socle pour leur commercialisation ». En contact avec tous les grands noms du secteur, Malik a conscience que son application suscite des convoitises. Pour se développer et conquérir des marchés potentiellement bien plus larges que les sports d’hiver, il souhaite s’appuyer sur un partenaire qui puisse lui offrir « des possibilités nouvelles sans pour autant perdre le contrôle. J’en suis au stade où il va falloir faire un choix. Telle enseigne plutôt que telle autre. Telle stratégie de développement plutôt que telle autre ». La success story façon capital n’a peut-être pas fini de nous tenir éveillés.
Grosse accumulation derrière cette arête et déclenchement immédiat de la plaque. © Stéphane Godin