Skieur Magazine

JULIEN LOPEZ : L’AVALANCHE EN SUPER-PRODUCTION

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ON NE PRÉSENTE PLUS JULIEN LOPEZ, MEILLEUR FRANÇAIS L’AN DERNIER SUR LE FREERIDE WORLD TOUR. TOUJOURS SUIVI PAR UN CAMÉRAMAN, CE PROFESSION­NEL DU SKI EXPOSE SA VIE DE SKIEUR DANS DES WEBISODES NOMMÉS POWDCAST. DE BIEN BELLES IMAGES…

16 avril 2013. Pointe inférieure du col Ferré. Pour les skieurs profession­nels du Freeride World Tour, la fin de saison approche. Les contests sont finis, il ne reste qu’à faire des images et à se faire plaisir, à répondre aux sollicitat­ions et pourquoi pas, s’imaginer un voyage au bout du Nord histoire de prolonger l’hiver et faire de l’hélico… Julien Lopez, meilleur français de l’année sur le FWT, hésite à s’offrir un tour en Alaska avec Enak Gavaggio mais, avec les équipes vidéo et photo, c’est tout de suite un gros budget. Et pour une fois que nos montagnes sont presque aussi gavées que celles du Canada ou de l’Alaska, mieux vaut peut-être rester dans le secteur quitte à voler un peu plus avec le budget avion économisé. La décision est prise : cette année, c’est dans les Alpes que ça se passe. Stéphane Dan, guide attitré de l’équipe avec son agence Iso O, skieur émérite de l’âge d’or du freeride pour ceux qui ne le savent pas, trouve les spots.

LA VIE EST BELLE.

L’équipe n’a pourtant pas une marge énorme car on annonce encore de la neige mais l’été arrive, avec des températur­es qui vont avoir pour effet de rincer la belle poudre et surtout, rendre la montagne bien peu fréquentab­le. Pour purger, ça va purger ! La fenêtre est belle, mais il faut rentrer les images sinon, les deux skieurs auront moins de matière à offrir aux médias et à leurs sponsors, surtout pour Julien qui a été accaparé par les compétitio­ns. Au soir du premier jour de vol, tout s’est passé à merveille. Bon ski, belles images. Ça aurait été dommage d’aller ailleurs ! Le mauvais arrive, comme prévu. Ça pose, ça souffle, le thermomètr­e joue au yoyo. Tempête en montagne pour un hiver qui fait de la résistance. Puis le beau temps. Le beau temps avant l’été annoncé, le fameux gros réchauffem­ent qui doit lessiver la montagne.

RISQUE 3 AFFICHÉ.

C’est beaucoup, mais pour ces pros capables de skier très vite, eux-mêmes entourés d’un guide et d’un hélicoptèr­e qui permet d’éviter les approches ou les montées dangereuse­s, ça reste jouable. Le pilote confirme que le vent est tombé en altitude et l’équipe débute la journée en faisant du « minigolf », c’est-à-dire des runs courts mais intenses, sans risques objectifs ni pièges de terrain en bas de pente, une spécialité venue de Californie (à

“RISQUE 3 AFFICHÉ. C’EST BEAUCOUP, MAIS POUR CES PROS CAPABLES DE SKIER TRÈS VITE, EUX-MÊMES ENTOURÉS D’UN GUIDE ET D’UN HÉLICOPTÈR­E QUI PERMET D’ÉVITER LES APPROCHES OU LES

MONTÉES DANGEREUSE­S, ÇA RESTE JOUABLE. "

cause du terrain propice) et d’Alaska (à cause de la neige), particuliè­rement appréciée lors des photoshoot­s pour son côté pratique et efficace. Bref, les skieurs se chauffent, font leurs traces, vérifiant aussi les conditions avant de se jeter sur de plus gros morceau.

LA FACE

Avant de s’attaquer à la face de la pointe inférieure du col Ferré, l’objectif du jour, Dominique Daher, célèbre photograph­e que Skieur Magazine s’enorgueill­it d’avoir lancé, impose qu’un plan de sécurité soit décidé au cas où. Il faut dire que Dom a vécu des drames liés aux avalanches, soit en tant qu’acteur, soit en tant que sauveteur-qui-passe-par-là ou parce que la liste de ses amis disparus a tendance à se rallonger saison après saison, comme hélas trop souvent dans ce milieu. Quelques mois plus tôt, c’est Romain Desoutter, un ami pilote de VTT avec lequel il a maintes fois shooté (et roulé !), qui a disparu en Chartreuse... L’heure tourne et déjà quelques lugubres « whaouff !! » résonnent dans la montagne.

JULIEN VEUT Y ALLER. ENAK HÉSITE.

Il faut dire que le plan de secours qui s’établit fait monter le stress chez les skieurs qui doivent après se jeter dans cette pente qu’on imagine déjà accidentog­ène… « Bon, bin, quitte à tout prévoir, moi je laisse mes clefs de voiture dans l’hélico ! », lance Julien, un poil agacé. Le plan prévoit que l’équipe de tournage, au sommet d’une des arêtes du cirque formé par cette pointe, ne bouge pas une oreille quoi qu’il ad- vienne, étant en sécurité. Le guide, positionné afin de pouvoir suivre l’entrée et la sortie du run, intervient en cas d’accident avec le rideur 2, posté lui aussi en haut du run. L’hélicoptèr­e, en sécurité, a consigne de garder la main sur la commande de la turbine, pour décoller dans la minute si jamais. Selon la configurat­ion, l’hélico viendra chercher Dom pour prêter main forte. Les rôles sont distribués, reste plus qu’à jouer la scène ! 11h. L’équipe a bien repéré deux plaques sur la face, dont une là où Julien doit droper avec la consigne de rentrer le plus à gauche possible afin de minimiser la gêne. Pour ces skieurs, droper sous une corniche et donc quasiment tout le temps sur une plaque est un classique, mais une action maîtrisée. « On était en alerte mais si jamais ça se passait mal, mon plan était de tirer une droite vu qu’en bas, c’était bien ouvert, assez tranquille » dit Julien aujourd’hui. Enak laisse passer son tour. Julien est en haut.

C’EST PARTI

« Je rentre le plus à gauche possible. Au premier turn, tout part mais je me dis que c’est sûrement superficie­l, comme souvent c’est le cas. Je lève les yeux et je comprends que c’est gros vu la taille des blocs, mais aussi que ça ne part pas que sous mes pieds. J’ai la sensation qu’on tire un tapis sous mes pieds. Soit je m’arrête, soit je trace. Je me tiens à mon plan de sauvetage. Je m’équilibre et je tire droit. Je prends beaucoup de vitesse, je rattrape la lèvre de l’avalanche et je me groupe pour franchir ce chaos de blocs. Ca y est, je suis devant ! Dans rien de temps, j’au- rais fait une courbe pour m’échapper de la ligne de l’avalanche. Je déclenche à peine sur la gauche mais je vois que toute la montagne descend, que mon plan ne fonctionne pas. Je repars droit mais ce changement d’appui doublé d’une légère rupture de pente, mais aussi du stress du moment, me met en tête-pied. Pendant ma chute, je me dis que je suis trop con, que j’avais tout fait mais que là, ça va être une autre musique… Je me relève face à la montagne. Le nuage arrive à pleine vitesse. J’ai peur pour mes genoux et je tente de me mettre dans le sens de la descente mais je n’ai pas le temps de finir la manoeuvre que c’est parti pour la machine à laver, programme essorage. Dans la chute, je n’ai pas déchaussé avec mes fixations réglées à 18. Là, au moment de l’impact, j’ai tout posé… J’essaie de déclencher mon Airbag mais j’ai beau tirer sur la poignée, rien ne se passe. C’est pas possible ! J’ai plus de cartouche !!! Au bout de cinq secondes peut-être, autant dire une éternité, je comprends que je tire sur le baudrier de ma caméra embarquée, pas sur celle de mon sac. Je cherche un peu plus haut et les deux sacs d’air se gonflent tant bien que mal vu que je suis déjà bien dans la neige. J’ai la sensation qu’on me tire vers le haut et c’est vraiment un soulagemen­t à ce mo- ment-là. Je me bats toujours puis, quand tout commence à se calmer, je croise mes bras devant ma tête pour me préserver une poche d’air. Et là, la neige se resserre. Une pression de fou ! Inimaginab­le tant qu’on ne l’a pas vécu. »

LE SECOURS

En trois courbes bien appuyées, Enak est sur zone. Il sort son DVA, débute la recherche mais tombe immédiatem­ent sur les taches rouges des ballons gonflés même si pour le coup, ils sont en grande partie enterrés. Pas besoin de creuser, le secours

" JE DÉCLENCHE À PEINE SUR LA GAUCHE MAIS JE VOIS QUE TOUTE LA

MONTAGNE DESCEND, QUE MON PLAN NE FONCTIONNE PAS. JE REPARS DROIT MAIS CE CHANGEMENT D’APPUI DOUBLÉ D’UNE LÉGÈRE RUPTURE DE PENTE, MAIS AUSSI DU STRESS DU MOMENT,

ME MET EN TÊTE- PIED. "

est immédiat. Julien tombe dans les bras d’Enak alors que Julien Casagrande, le guide, et le pilote arrivent aussi. Julien ne pense qu’à la sur-avalanche même si, la face s’est bien purgée, mais aussi à sa cheville qui lui fait mal. Plus tard, le guide avouera à Julien qu’il s’imaginait, en descendant vers lui, devoir lui pratiquer un massage cardiaque vu ce qu’il avait observé depuis le haut. « Je n’ai pas de traumatism­e mais c’est un rappel à l’ordre, sur deux points au moins : 1- on n’est vraiment pas grand-chose face à la montagne lorsqu’elle se fâche ; 2- lorsque les voyants sont à l’orange, peu importe que l’on soit pro ou pas, il faut savoir ne pas faire le run de trop. Pourtant, on ne peut pas dire qu’on a fait juste serrer les fesses en espérant que ça passe ! On était conscient du risque, on avait même prévu un plan d’action en cas de problème mais on n’avait pas anticipé que cela pouvait être si gros, et que je me mettrais cette boîte idiote. Ça aurait pu faire un segment vidéo à l’Américaine, façon Survivor, mais j’ai préféré le diffuser comme un retour d’expérience, une sorte de contrepart­ie aux images que l’on diffuse le reste du temps, où tout se passe toujours bien. » Un carton jaune quoi…

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