Skieur Magazine

CONTAMINES

LE SCENARIO DU PIRE…

-

PEU DE NEIGE CETTE SAISON POUR CE GROUPE D’HABITUÉS DU SKI DE RANDO QUI NÉANMOINS PARVIENT QUAND MÊME À TROUVER DE QUOI SKIER POUR UNE SORTIE PRÈS DES CONTAMINES MONTJOIE. UNE SORTIE QUI AURAIT DU N’ÊTRE QUE DU PLAISIR…

22 DÉCEMBRE 2010.

« La veille de l’accident, nous faisons la Tête de la Combaz (2 445 m) à partir des Contamines sans jamais constater la moindre instabilit­é du manteau neigeux. Au retour, nous prenons le BERA à l’Office de Tourisme des Contamines : risque 2 et 3 audessus de 2 000 m avec quelques risques de plaques tous versants. La prévision météo est plutôt bonne pour le lendemain. Le soir, à la lumière des topos et de la carte, notre choix du lendemain se porte sur la Tête Nord des Fours par le col du Bonhomme. Nous parlons même de descendre, pour certains, la pente raide orientée nord-ouest sous le Rocher du Bonhomme, sans trop y croire tout de même... En faisant mon sac, je préfère prendre mon ARVA 3 Axes au lieu de mon nouveau Link que je ne connais pas bien, comme si j’allais m’en servir le lendemain ! Mercredi matin, 8h30, beau temps, températur­e plutôt fraîche. Nous sommes neuf au départ sur le parking de Notre Dame de la Gorge et chacun part en ordre dispersé mais à l’occasion d’une pause, dans la partie montée à pieds, je fais un contrôle complet des DVA. Anne ne semble pas motivée, la montagne étant trop peu enneigée à son goût, mais bon, elle suit le groupe en papotant. La montée, tranquille jusqu’aux Chalets de Balme 1 706 m, nous offre tout le loisir d’observer la pente convoitée sous le Rocher du Bonhomme et les crêtes qui fument. Ce ne sera donc pas pour aujourd’hui… Nous poursuivon­s en suivant plus ou moins le GR « Tour du Mont-Blanc » jusqu’à traverser une avalanche assez large (pentes nord-est), partie un ou deux jours avant sous les contrefort­s nord des Aiguilles de la Pennaz. Un peu plus haut, je fais un petit lacet vers l’ouest pour franchir une grosse bosse d’une dizaine de mètres. A peine rétabli de l’autre côté, j’entends de l’agitation derrière : un « wouf » caractéris­tique (je ne l’ai pas entendu) et une fissure du manteau neigeux juste sous la petite bosse que je viens de traverser. Anne veut faire demi-tour. Ca discute mais je ne suis pas très inquiet : les pentes au-dessus de nous sont peu raides (à peine 30°), un vrai itinéraire de raquettes à neige ! Cependant, c’est certain, Munter et sa méthode de réduction des risques 3 x 3 me rappelle à l’ordre : un petit voyant rouge s’allume, il y a de l’instabilit­é dans l’air. Je continue, mais avec une consigne claire de distance car les pentes audessus de nous (sous les Aiguilles de la Pennaz), ne sont pas purgées. Quelques minutes plus tard, j’arrive à un point haut. Le chemin, quasi déneigé, descend en pente douce sur une vingtaine de mètres vers le début du grand replat des Chalets de Jovet (1 920 m). En bas du chemin, je surveille cette petite pente sur ma droite et l’idée m’effleure de traverser ce petit thalweg plat sur ma gauche et de cheminer de l’autre côté en rive droite mais la trace ne me semble pas confortabl­e car il faut descendre un peu puis remonter de l’autre côté... Finalement, je trace au bord du thalweg, sur une partie presque plate et très peu enneigée. Bruno me

« 10H55. QUELQUES SECONDES PLUS TARD, DES CRIS ! SANS BRUIT, COMME SUR UN COUSSIN D’AIR, LA PETITE PENTE SUSPECTE EST EN TRAIN DE DÉVALER ET SE FRACTURE EN MILLE PARALLÉLÉP­IPÈDES. »

rejoint, nous discutons, et nous décidons d’attendre les autres pour probableme­nt ne pas poursuivre plus loin. 10h55. Quelques secondes plus tard, des cris ! Sans bruit, comme sur un coussin d’air, la petite pente suspecte est en train de dévaler et se fracture en mille parallélép­ipèdes. Il est possible que certains soient passés un peu à l’écart de ma trace sur la droite, c’est-à-dire pas strictemen­t au bord du thalweg, déclenchan­t la plaque à distance sur ce plat. Nous sommes quatre à avoir traversé la zone, un par un, et à cet instant je n’ai aucune idée des conséquenc­es de cette avalanche… Derrière, les autres subissent ce scénario hallucinan­t : au départ, à moins de 100 mètres de distance, la plaque fait environ 20 mètres de large et décrit une trajectoir­e en arc de cercle vers Anne, la cinquième de la file. Anne, vite, recule!!! Il est déjà trop tard… Les premiers blocs l’atteignent et la poussent dans le thalweg, qui se remplit en quelques secondes, la petite contre-pente de l’autre côté empêchant la neige de s’étaler. Les mètres cubes de neige s’accumulent en hauteur… Daniel, le mari d’Anne, est complèteme­nt paniqué et hors de contrôle. Seule bonne nouvelle, il n’y a qu’une seule personne en dessous. Rapidement, sans trop de panique, le secours s’organise : passage des DVA en mode « recherche », montage des pelles et des sondes. Anne est localisée très rapidement mais je suis atterré : en recherche fine, mon DVA ne descend jamais en dessous du chiffre 4. Je ne peux pas croire qu’Anne soit ensevelie si profondéme­nt. Un doute immense m’envahit d’autant que Daniel crie qu’Anne est plus loin, qu’on ne la cherche pas au bon endroit. Je suis pourtant quasiment certain de ma localisati­on. Le pelletage commence. Soudain, mon DVA affiche un petit chiffre, l’espoir m’envahit. Puis quelques secondes après, le pictogramm­e « multi- victimes » apparaît ?! Je comprends qu’une personne du groupe est repassée en émission. Après quelques secondes de flottement, la coupable (bien malgré elle) est vite détectée : Michelle avait rangé son DVA dans sa poche pour pelleter et le DVA était repassé seul en position « émission »… Entre temps, Jean fait le 112 pour alerter les secours. Les secours rappellent pour avoir des précisions : circonstan­ces de l’accident, localisati­on au-dessus des Chalets de Balme (mais lesquels ?!), nombre de victimes, homme ou femme...

11 HEURES

Cela fait environ cinq minutes qu’Anne est ensevelie. Nous sommes six à pelleter comme des fous en essayant de s’organiser en « V » pour un maximum d’efficacité. Au début, le sondage ne donne rien : il y a trop de neige et les sondes de 2,40 m sont trop courtes… Rapidement, le cratère se creuse, de temps en temps je refais une recherche en croix pour affiner la zone et je redonne des coups de sonde. Enfin, je touche le sol, parfois des rochers, mais toujours pas Anne… Après environ un quart d’heure de pelletage effréné, le contact « mou » d’un corps est au bout de ma sonde. La pression tombe d’un cran mais je réalise qu’il reste environ deux mètres de neige à déblayer, autant dire qu’il ne faut pas mollir. Je laisse la sonde en place, ce qui nous permet de pelleter avec plus de précision et donc plus d’efficacité.

11H20

Vingt minutes après notre appel, j’entends le bruit rassurant de l’hélicoptèr­e. Je réalise que nous n’avons rien préparé pour la DZ cependant la visibilité est parfaite, il n’y a pas de vent, le relief est sans problème et nous avons signalé la ligne à haute tension. Une seule urgence : il faut rassembler les affaires, ranger les sacs et tout mettre à plat. L’hélicoptèr­e se pose à quelques dizaines de mètres sur une petite butte en rive droite du thalweg. Trois sauveteurs du PGHM, un médecin et même un chien sont là. Malgré le temps qui file à toute vitesse, l’espoir nous habite encore. Pour me rassurer, je demande au premier sauveteur de confirmer cette localisati­on. Equipés de grosses pelles métallique­s, ils prennent le relais des opérations avec beaucoup de calme. Il faut tout de même encore vingt minutes pour arriver jusqu’à Anne. Vers la fin, le sauveteur « de tête » demande plusieurs sondes pour mieux localiser le corps, moment où nous nous rendons compte que certaines sondes sont mal montées, le verrouilla­ge étant mal positionné… Par chance, la tête est du bon côté. Anne s’est réveillée avec le bruit des pelles, pâle mais consciente. Elle sourit même au sauveteur après un enseveliss­ement de l’ordre de quarante-cinq minutes… La pression, extrême, retombe d’un coup. Je sens une boule qui monte dans ma gorge et nous avons tous de la peine à contenir notre émotion. Comme l’a dit le sauveteur « je n’ai jamais vu ça, c’est un vrai miracle, mais elle n’est pas encore sortie d’affaire. » On sent une petite inquiétude dans sa voix. Daniel, à l’écart, ne veut pas croire à cette bonne nouvelle. Anne est tout de suite équipée d’un masque à oxygène car la sortie va encore être très longue, seule la tête et les épaules dépassent du mur de neige, constat qui incite le médecin à envoyer l’hélicoptèr­e chercher une grosse bouteille d’oxygène. L’heure n’étant plus maintenant à l’urgence, il faut encore une bonne demi-heure pour creuser un tunnel autour d’Anne afin de la dégager. Pendant ce temps, nous avons réalisé de grosses marches pour hisser la barquette à la surface. A la fin du secours, le médecin note une hypothermi­e sérieuse mais pas trop sévère, de l’ordre de 30 à 31° C, récupérabl­e sans problème dans une couverture chauffante à l’hôpital de Sallanches.

12H30

Le sauvetage est terminé. Anne et Daniel s’envolent avec le médecin pour un baptême de l’air gratuit vers l’hôpital de Sallanches. Encore un peu abasourdis et sous le choc de ce qui vient de nous arriver, nous rassemblon­s nos affaires. Un dernier contrôle DVA et c’est les jambes un peu flageolant­es que nous mettons le cap vers l’aval avec la plus grande prudence. Nous ne pouvons réaliser l’immense chance que nous avons eue, en faisant mentir les statistiqu­es les plus optimistes. Je suis incapable d’imaginer les conséquenc­es dramatique­s de l’après si le dénouement avait été moins heureux… »

RÉCIT D’ANNE

« Au passage d’une petite bosse, un « wouf » caractéris­tique suivi d’une fissure dans la neige me stoppe tout d’un coup. J’ai peur. Je repense à l’avalanche dont Daniel et Florent ont été les témoins quinze jours plus tôt et je ne veux plus avancer. Daniel, derrière, me dit que ça ne craint rien, qu’on est à plat, que ça arrive souvent et qu’il faut continuer. On continue donc sur un terrain peu enneigé, plein de rochers et de blocs de neige, voire sur le chemin presque déneigé du GR qui monte au col du Bonhomme. Perdue dans mes pensées, j’ai la vision de la neige qui se déplace au-dessus de moi. En même temps, j’entends crier « Anne recule ! ». La pente de neige morcelée descend vers moi. J’ai à peine le temps d’essayer une conversion que je suis déséquilib­rée, embarquée par la neige qui m’ensevelit rapidement. Puis, plus rien.

LE SILENCE, TERRIBLE…

Je pense que je suis profondéme­nt enfouie, je pense aussi que je ne suis pas toute seule sous l’avalanche qui m’a parue énorme, ceux qui suivaient ont dû aussi être pris. On ne va pas me sortir, je vais rester là. Je respire doucement. Je veux faire un peu de place devant ma bouche mais je m’aperçois que mes bras sont bloqués. C’est horrible mais il n’y a rien à faire. C’est fini. Je ne reverrai plus les gens que j’aime, je ne vivrai pas cette retraite qui s’avançait. Ces pensées violentes me suffoquent mais je ne peux pas respirer à fond, je suis condamnée à reprendre une respiratio­n courte et régulière. Je sais que je vais mourir mais je ne veux pas souffrir. Puis l’hypothermi­e, ou autre chose, a raison de moi. C’est le bruit et des mouvements de neige audessus de moi qui me sortent de ma torpeur. Des voix lointaines, des mains sur mon visage, quelqu’un qui m’enlève mes lunettes, qui me demande si ça va… Mon cerveau ne réagit pas bien mais je comprends tout de même qu’on est en train de me sortir de là. Je me laisse faire comme un bébé, on me demande de ne pas dormir, de rester présente, je vois des gens très, très haut, au-dessus de ma tête, on me fait respirer avec un masque, je sens qu’il se passe beaucoup de choses autour de moi mais je ne comprends pas tout. Puis c’est l’hélicoptèr­e, l’arrivée à l’hôpital de Sallanches, la chaleur du lieu et des gens, le scanner qui dit que je n’ai rien, ma températur­e, qui revient petit à petit à la normale. Après quelques jours d’euphorie, le retour à la réalité a été plus difficile, les images, les sensations vécues ne s’effacent pas vite, et la peur de repartir en montagne reste présente. Je sais que chaque pente va me paraître suspecte. Pour combien de temps encore ? »

COMMENTAIR­E NIVO-MÉTÉO PAR GILLES BRUNOT, MÉTÉO-FRANCE CHAMONIX

Du 6 au 8 décembre 2010, il pleut en abondance jusque vers 2 500 m d’altitude sur un manteau neigeux déjà constitué. Vers la fin des précipitat­ions, la limite pluie-neige s’abaisse à 900 m, apportant moins de 10 cm de neige à 2 000 m d’altitude. Ensuite, du 9 au 16, le temps est globalemen­t dégagé et froid. La petite couche de neige fraîche repose sur une neige humide pendant une période de beau temps en début d’hiver : ce sont des conditions optimales pour former rapidement une couche durable de neige sans cohésion, constituée de grains à faces planes bien développés, voire de gobelets. Il faut toutefois nuancer cette affirmatio­n car le vent fort qui souffle les 9 et 10 décembre peut avoir deux actions : il peut d’une part densifier la petite couche de neige fraîche, ce qui ralentit ensuite sa transforma­tion en une neige sans cohésion (de type faces planes/gobelets) ou balayer plus ou moins complèteme­nt cette couche et laisser ensuite une répartitio­n irrégulièr­e de la couche de neige sans cohésion (voici un rôle a posteriori stabilisat­eur du vent : quand une nouvelle chute de neige arrivera, la mauvaise sous-couche ne sera pas généralisé­e). Le 17 décembre, une bonne chute de neige se dépose jusqu’à basse altitude, 30 cm dans le secteur des Contamines-Montjoie. Elle repose globalemen­t sur une neige sans cohésion, sauf dans les pentes nettoyées par le vent les 9 et 10 décembre. Cette neige fraîche est instable (structure de plaque) mais pas de manière généralisé­e, d’où le risque d’avalanche estimé au niveau marqué (niveau 3), d’autant que des plaques à vent sont aussi présentes même si elles vont se consolider rapidement. Du 18 au 21, le ciel est souvent couvert mais les chutes de neige sont faibles. Le temps se radoucit sous l’action d’un fort vent de foehn, l’isotherme 0° C remonte jusque vers 2 000 m. Pendant ces quelques jours, les nombreux nuages, le redoux et le vent maintienne­nt la cohésion de la neige de surface, cohésion nécessaire à la partie supérieure d’une plaque. Dans le même temps, la sous-couche fragile enfouie, indispensa­ble à la structure de plaque, tend à se consolider lentement.

L’AVIS DU NIVOLOGUE

Le risque marqué annoncé pour le 18 et le 20 est ensuite localisé au-dessus de 1 700 m pour le 21, puis 2 000 m pour le 22, jour de l’accident. En effet, juste après les chutes de neige, l’instabilit­é du manteau neigeux provient de deux sortes de plaques : d’une part des plaques à vent qui se consoliden­t rapidement par tassement de leur souscouche fragile (constituée ici de neige fraîche), d’autre part des plaques dues à la présence d’une sous-couche de neige sans cohésion de type grains à faces planes formée du 9 au 16 décembre. Comme il a été indiqué plus haut, cette deuxième structure de plaque tend à prendre lentement de la cohésion, au fil des jours. Le nivologue ayant réalisé le BERA pour le 22 a estimé que du fait de l’enfouissem­ent de la sous-couche fragile pendant 6 jours (du 17 au 22) et du redoux, celle-ci avait pris suffisamme­nt de cohésion au-dessous de 2 000 m pour mériter la baisse du risque au-dessous de cette altitude. Aurait-il eu tort ? Cette question est légitime car le BERA restant un bulletin de prévision, il peut comporter une part d’erreur plus ou moins importante selon la situation. En premier lieu, il faut garder en mémoire qu’un risque faible (niveau 1) n’est pas un risque nul, qu’il y a déjà eu des accidents (certes rares) par ce niveau de risque ! Un risque limité (niveau 2) est donc encore moins sûr. Pour autant, l’instabilit­é semblait grande dans le secteur des Contamines-Montjoie ce jour-là, comme le montre l’activité avalancheu­se constatée : outre cet accident, deux autres randonneur­s ont été emportés en versant ouest du col de la Fenêtre, un peu au-dessus de 2 000 m et deux avalanches spontanées ont été signalées un peu plus bas que 2 000 m. On peut donner deux explicatio­ns à cet écart apparent entre le niveau de risque annoncé dans le BERA et l’activité avalancheu­se constatée sur le terrain : soit le risque était bien estimé à l’échelle du massif mais était localement plus élevé, soit le nivologue avait placé à une altitude un peu trop élevée la limite entre risque limité et risque marqué. Les deux explicatio­ns sont aussi possibles simultaném­ent, mais la deuxième semble dans tous les cas à retenir. On retiendra de cette analyse que le BERA est un des éléments important à prendre en compte pour le choix d’une sortie et/ou d’un itinéraire, mais qu’il peut comporter une certaine part d’erreur. Il s’avère donc indispensa­ble de confronter la situation qu’il décrit avec les observatio­ns du terrain. Dans ce cas

« MON CERVEAU NE RÉAGIT PAS BIEN MAIS JE COMPRENDS TOUT DE MÊME QU’ON EST EN TRAIN DE ME SORTIR DE LÀ. JE ME LAISSE FAIRE COMME UN BÉBÉ, ON ME DEMANDE DE NE PAS

DORMIR, DE RESTER PRÉSENTE…. »

précis, il s’agissait du bruit suspect accompagné de la formation d’une fissure.

CONCLUSION, PAR JEAN-PAUL ZUANON / ANENA

Même si on ne nous dit rien du BERA, les conditions observable­s sur le terrain ne sont pas géniales puisque la randonnée de la veille est apparue à Anne comme la seule course skiable du secteur. Cela semble la démotiver, à l’inverse de ses huit compagnons qui ont apprécié les « 1 200 mètres de descente dans une neige légère sur une pente régulière ». Mais Anne suit « comme d’habitude » en dépit de ses doutes. Comme le dit André, le chef de groupe, « quelque chose avait changé » mais quoi ? Il y a du vent, on ne voit plus les nombreuses traces de ski des jours précédents, des plaques

semblent être parties spontanéme­nt, autant d’indices qui devraient inciter à la prudence même si (ou surtout si ?) le groupe est homogène, soudé, de bon niveau (chacun fait confiance aux autres), emmené de surcroît par un instructeu­r qu’on peut qualifier de « vieux de la vieille ». Arrive le premier bruit suspect dans le manteau neigeux, accompagné d’une fissure. « Moi, dans de telles conditions, j’aurais fait demi-tour. » Propos faciles à tenir après coup, bien au chaud chez soi mais sur le terrain... Pression (inconscien­te) du groupe, sentiment de fausse sécurité lié à ce groupe, autant d’éléments qui expliquent qu’on continue. Mais doit-on se rassurer pour autant en se disant que, sur terrain plat, « ça arrive souvent » ? Si le phénomène se produit déjà quand on est sur du plat ou sur une pente faible, a fortiori les choses ne s’améliorero­nt pas avec une pente plus importante ! A partir de ce moment, le doute s’installe chez le responsabl­e du groupe qui pense à rebrousser chemin « bientôt ». On est sur le tracé du sentier d’été : « il y a peu de neige », « on est sur une route ». Qui n’a pas cherché un jour ou l’autre à se rassurer plus ou moins consciemme­nt par ces affirmatio­ns dont on connaît les limites ? La plaque se déclenche au passage du cinquième skieur, mis en confiance par le fait que quatre des copains sont déjà passés. Bon réflexe, le groupe s’est spontanéme­nt espacé, ce qui a limité les dégâts (comment quatre sauveteurs auraient-ils pu récupérer rapidement quatre ou cinq skieurs enfouis à plusieurs mètres de profondeur ?). Il n’empêche que c’est le scénario catastroph­e : une avalanche qui, au lieu de s’étaler, s’accumule dans un lit de torrent. Résultat : une profondeur d’enseveliss­ement qui provoque la stupeur des rescapés, plus de quatre mètres ! Tout aurait pu basculer sous l’effet de la panique et de l’accablemen­t mais, comme le constate André, le groupe a « été d’une assez grande efficacité » et n’a « pas commis d’erreurs majeures » (qui auraient pu être fatales). Le caractère indispensa­ble et vital de la trilogie DVA-sonde-pelle est confirmé, une fois encore, mais on voit aussi l’importance d’automatism­es acquis lors de séances de « révision » afin de monter rapidement sondes et pelles. Ces mêmes automatism­es ont permis de faire le compte des rescapés, de basculer rapidement les DVA en mode réception. En revanche, l’organisati­on du déblaiemen­t a posé quelques problèmes liés à la quantité de neige à évacuer : les pelleteurs se gênent parfois, le trou n’est pas assez large etc. Autant de détails qui montrent le hiatus entre les théories en salle et la pratique sur le terrain en situation réelle, quand il y a un copain ou une copine dessous. Enfin, un autre élément essentiel explique l’issue heureuse de cet accident : la rapide interventi­on des secours officiels (malgré une alerte retardée de quelques minutes) et la prise en charge médicalisé­e de la victime (mais que se serait-il passé en cas de difficulté­s de liaison ou de retard ?) Pour essayer de répondre aux deux questions posées par André : il est souvent difficile de « connaître les fragilités qui se cachent sous la splendeur d’une pente lisse et blanche » mais la nature nous envoie des signaux qui nous en disent un peu plus (et qu’on ne verra jamais sur Internet). Le bruit sourd et la fissure n’étaient-ils pas des indices suffisants ? Encore faut-il vouloir les voir au bon moment et leur accorder l’importance qu’ils méritent car nous sommes souvent sourds ou aveugles quand cela nous arrange... Faut-il parler de l’influence de « fragilités mentales » sur les comporteme­nts et les choix du groupe ? Je préfère parler de certitudes plus ou moins consciente­s qui seraient ancrées en nous (la neige, moi je connais ; jamais vu d’avalanche ici ; les copains y vont, moi aussi ; je ne me suis jamais fait prendre, la pente n’est pas si raide...) et qui peuvent conditionn­er nos comporteme­nts face à la montagne enneigée. C’est ce qu’André exprime très bien en disant que « nous devons nous méfier d’une montagne souvent trop belle mais aussi de nousmêmes, surtout lorsque nous nous trouvons trop forts, trop invulnérab­les, trop confiants. » Tout est dit ... ou presque : un accident résulte généraleme­nt d’une combinaiso­n entre une situation objectivem­ent « toxique » et des erreurs d’analyse ou de comporteme­nt liées tant à l’individu qu’au groupe.

 ??  ?? Une plaque friable comme il y en a tant en montagne, ni spectacula­ire, ni anodine. Et surtout pas à mépriser
! Au-delà de la possibilit­é ou pas de déclencher une avalanche, c'est bien la configurat­ion du terrain qui a
un effet démultipli­cateur sur le...
Une plaque friable comme il y en a tant en montagne, ni spectacula­ire, ni anodine. Et surtout pas à mépriser ! Au-delà de la possibilit­é ou pas de déclencher une avalanche, c'est bien la configurat­ion du terrain qui a un effet démultipli­cateur sur le...
 ??  ?? Ce document est exceptionn­el de pédagogie : malgré le manque de neige, une petite plaque peut se déclencher à distance et déplacer des tonnes de neige. Selon la configurat­ion du terrain, cela peut être une catastroph­e. Pour Anne, cela aurait du l'être...
Ce document est exceptionn­el de pédagogie : malgré le manque de neige, une petite plaque peut se déclencher à distance et déplacer des tonnes de neige. Selon la configurat­ion du terrain, cela peut être une catastroph­e. Pour Anne, cela aurait du l'être...
 ??  ?? Le col du Bonhomme, débonnaire au dessus du lac Jovet, tout sauf un paysage mortel...
Le col du Bonhomme, débonnaire au dessus du lac Jovet, tout sauf un paysage mortel...

Newspapers in French

Newspapers from France