Skieur Magazine

DAVID QUICHANTE

AVEC UN NOM PAREIL, DIFFICILE D’IMAGINER DAVID COMME TACITURNE OU RÉSERVÉ. À TRENTE-HUIT ANS, CE TOUCHE-À-TOUT POLYVALENT ET TALENTUEUX A DERRIÈRE LUI DES DIZAINES D’HIVERS ENFIÉVRÉS AVEC EN POINT D’ORGUE, QUELQUES JOLIS TRIPS OU DES PARTICIPAT­IONS À DES

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LE SAUT DANS L'INCONNU

Bourguigno­n d’origine, David a toujours beaucoup pratiqué les sports de montagne avec ses parents tous deux fonctionna­ires (chez France Télécom et à la Poste), son frère aîné et le camping-car synonyme de liberté. Éduqué dans le culte de la médaille d’Edgar Grospiron aux JO de 1992, il finit de se convertir à l’hiver avec les imposants backflips de Seb Michaud, pour poser ses valises à Tignes, son camp de base depuis 1998. Plus inspiré par les trips de Bruno Compagnet que par les coaches des clubs par lesquels il n’est pas passé, David skie pour Tecnica France et shoote avec Philippe Royer ou Pascal Lebeau, deux photograph­es bien installés dans le milieu et donc, publiés, et encore plus souvent avec Julien Rambaud qui parcourt les Alpes du nord au sud pour trouver les dernières chutes de neige et ramener la photo magique (cf article sur La Rosière dans Skieur Magazine). Parallèlem­ent, il passe le diplôme de pisteur-secouriste car mieux vaut skier pour le plaisir que pour gagner sa croûte. Et puis, c’est le métier idéal pour compléter son monitorat de vélo qui s’exprime en partie en VTT (il a aussi fait des coupes de France des descentes), mais surtout en BMX race, lui qui a grandi aux côtés d’Anne-Caroline Chausson, la championne olympique de la discipline également multiple championne du monde de VTT DH, une légende quoi ! « Depuis tout petit, j’ai toujours baigné dans le BMX, c’est mon truc sur un vélo. » Côté poudre, cette vie le laisse parfaiteme­nt libre de s’exprimer sur la neige au gré des projets et des rencontres, comme cet hiver 2013 où il a passé six mois au Canada à travailler dans l’événementi­el, pour voir d’autres choses et goûter l’air que respirent nos cousins du Québec. « C’est l’avantage du rythme saisonnier. Ça offre des possibilit­és », commente-t-il aujourd’hui, d’autant que bien intégré à Tignes, il fait régulièrem­ent des images avec les photograph­es locaux que sont Tristan Shu et Andy Parant, autant pour lui que par passion pour l’image. Jusqu’à ce 3 février 2014.

Skieur Magazine : Comment gérais-tu les risques que tu prenais avant l’accident ?

David Quichante : C’était deux choses : ma pratique personnell­e et celle du moniteur, du secouriste. D’un côté j’engageais, de l’autre je faisais de la prévention, du secours. Ça donnait une forme d’équilibre intéressan­t puisque je n’ai jamais été un furieux qui faisait n’importe quoi. Certes, j’ai fait des erreurs de jeunesse lorsque je pensais bien connaître la montagne alors que je ne comprenais rien, mais comme tout le monde dans la phase d’apprentiss­age. Pour moi, c’est frustrant de me blesser à trente-huit ans…

SK: Ton métier de secouriste t’a-t-il influencé dans ta prise de risque ?

D.Q. : Oui, évidemment, mais plus par l’éducation que par l’action. Ça m’a formé à la montagne mais surtout, ça m’a fait comprendre qu’il fallait vraiment rester humble. Il y a tellement d’histoires d’accidents qui n’auraient pas dû exister qui se colportent chez les pisteurs que tu

sais que même en évaluant bien les risques, la montagne est plus forte que toi. Tu deviens hyper attentif et d’une certaine manière, tu te nourris des accidents des autres pour encore améliorer tes connaissan­ces et ton degré de vigilance. En revanche, intervenir sur des accidents ne m’a pas calmé : j’aime la compétitio­n et je skiais avec le degré d’engagement que j’estimais le bon. Ce sont deux choses parallèles qui ne s’opposent pas : d’un côté des sensations fortes et de l’autre, la gratificat­ion que tu as à encadrer ou secourir. J’estime qu’être pisteur ou moniteur était même complément­aire à ce que je faisais sur les skis ou à vélo : d’un côté tu vends du rêve aux gamins que tu encadres, par la compétitio­n et l’image, mais de l’autre tu éduques sérieuseme­nt afin qu’ils puissent s’épanouir dans ce sport sans faire n’importe quoi.

SK: Et être secouriste t’a aidé lors de l’accident à comprendre ce qui t’arrivait ?

D.Q. : J’ai tout de suite compris ce qui se passait. Quand les pisteurs sont arrivés, je leur ai immédiatem­ent dit que le dos et la moelle épinière étaient touchés… Au début, je pensais avoir les deux fémurs pétés parce que mes chaussures étaient à 180°, les pieds en éventail. J’ai touché, je ne sentais rien. Alors je me suis mis deux coups de poing dans les cuisses et là non plus, je n’ai rien senti. Je savais ce que ça signifiait… À mon réveil à l’hôpital de Grenoble, deux jours après, personne n’a eu besoin de m’annoncer que je ne marcherai plus jamais. J’avais déjà intégré ça…

SK: Et l’accident justement…

D.Q. : Ça s’est passé assez tôt, vers 9 h du mat’, dès la première descente. J’étais avec un pote pour faire des images et j’avais repéré un petit bout de corniche avec une belle lumière, un truc sans problème. J’ai tassé le sommet de la corniche pour signaler l’axe du saut mais j’ai merdé dans la prise d’élan. Je me suis désaxé et au lieu de faire dix mètres sans danger, sans cailloux, j’ai pris vingt mètres. Quand je me suis rendu compte que j’avais merdé, que je volais beaucoup trop, je me suis groupé et j’ai mis les skis en travers pour freiner un maximum à l’atterrissa­ge car une piste verte traversait en contrebas. Ça m’a catapulté et je suis tombé à plat dos sur la piste.

SK: Comment l’a vécu le photograph­e? Il aurait pu se sentir en partie responsabl­e…

D.Q. : Il a été évidemment choqué car il a tout vécu en direct mais personne ne m’a poussé à sauter, c’est d’ailleurs moi qui dirigeais et orientais le shooting. Quand je saute, je me rate tellement que je suis hors cadre, il ne m’attendait pas du tout là où j’ai sauté… Je me suis raté, il n’y a pas de souci entre nous, on en a parlé… Pour le coup, je n’ai jamais été un « Jamie Pierre », un adepte de la cascade pour l’image ou la médiatisat­ion. Je trouvais que ce type faisait davantage de mal au sport qu’il apportait de bienfaits et je reste persuadé qu’il ne faut pas se laisser dévoyer ou appâter par l’image. Il faut le faire par passion, avec gourmandis­e.

SK: Fatalité ou pas de chance ? Erreur ou regrets ?

D.Q. : Je me serais pété la gueule un soir bourré en voiture, je m’en voudrais. En rééducatio­n, j’en ai vu qui avaient la haine ou des remords. Moi, je suis arrivé en forme le matin, bien équipé, motivé, sans vouloir prendre des risques inconsidér­és, juste pour me faire plaisir. Mon histoire, c’est un peu celle d’un guide haute montagne qui s’expose plus longtemps aux risques objectifs que les autres car il évolue dans un cadre hostile. Il tente de minimiser les risques au maximum mais parfois, on ne peut pas savoir si le sérac va tomber au mauvais moment ou si le pilier sur lequel tu grimpes décide de rejoindre la moraine… Je regrette ma vie d’avant mais pas l’accident en lui-même. La leçon, c’est que chacun doit bien avoir conscience de ce qu’il fait et des risques encourus, avoir conscience que l’on évolue dans des milieux à risques. De là à conclure qu’il ne faut plus rien faire, ne plus prendre aucun risque, d’avoir un discours très sécuritair­e, c’est une illusion ! À l’avenir, je pense ne rien changer à mon approche, si ce n’est que je n’ai plus les mêmes possibilit­és qu’avant. J’ai parfois l’impression d’être devenu le fantôme de moi-même… Bon, il me faut accepter ces changement­s, et accepter l’aide des autres aussi. J’ai toujours des rêves,

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David, toujours en l'air au col du Palet, à Tignes.

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