PHIL MEIER
DÉCOUVERT AU TOURNANT DES ANNÉES 2000, LE SKIEUR SUISSE PROGRAMMÉ GÉNÉTIQUEMENT POUR TOUJOURS AVOIR BONNE MINE, TOURNE LA PAGE D’UNE CARRIÈRE SPORTIVE BIEN REMPLIE. L’OCCASION POUR LUI DE PORTER UN REGARD COMPLAISANT OU CRITIQUE SUR L’ÉVOLUTION DU SKI HOR
UNE RETRAITE BIEN MÉRITÉE
Faire un Misty 720 depuis une barre rocheuse, ça n’avait jamais été fait avant que Phil Meier se lance un jour à Verbier dans cette figure de style mêlant deux rotations sur deux axes différents. Voilà parfois à quoi tient une carrière ! C’était dans l’air du temps, encore fallait-il le concrétiser du moins en Europe, puisque les historiens ne se sont pas encore écharpés sur la réelle paternité du trick en ces lieux sauvages. D’ailleurs, Phil lui-même ne se reconnaît pas comme étant le premier à avoir rentré ce saut dans un run mais il admet avoir participé à la médiatisation de ce style de ski mêlant une dose de freestyle au gros freeride, mais aussi la fluidité dans les runs à une époque où l’usage voulait que l’on marque un arrêt au sommet d’un gros saut, et bien souvent au pied aussi. Avec cette approche que Skieur Magazine avait définie comme « ridestyle », Phil Meier et quelques autres vont enchaîner des barres peut-être un peu moins hautes (bien que…), mais en imaginant un run complet, de haut en bas, sans heurts ni arrêt. Cela semble une évidence aujourd’hui et pourtant, il y a bien eu un début à cette tendance qui perdure toujours, avec comme point d’orgue l’énorme et récent run de Candide à La Clusaz (One of those days 2, à voir sur skieur.com si jamais vous étiez dans le coma le mois dernier), ou celui de Tanner Hall dans les pillows (à voir au même endroit), entre autres… Depuis, Phil qui avait débuté sa carrière professionnelle comme banquier et sportive comme pilote de VTT de descente a parcouru le monde dans des hélicoptères à la poursuite de la neige, grillant quelques vies dans des avalanches de jeu vidéo, dont une énorme en Alaska qui a bien failli lui coûter une vraie vie… Globalement peu en verve en compétition voire un peu tétanisé dans le Bec des Rosses, chez lui, il demeure avant tout un skieur rapporteur d’images, un polyvalent qui vaut bien qu’on s’arrête un peu sur autant d’années passées à vendre du rêve et surtout à défendre une approche pluridisciplinaire de la montagne, sans se prendre pour un autre ni changer de style pour paraître. Plutôt que de faire le choix de productions égocentrées, lui a toujours préféré s’associer à des projets communs, faire partie d’un groupe, ne pas être une star mais une étoile du ski. Bref, un type bien, qui tire élégamment sa révérence, à déjà trente-neuf ans.
Skieur Magazine : Pourquoi cette décision d’arrêter ? Les p’tits jeunes se moquent de toi ?
Phil Meier : Je m’en tape pas mal ! Je n’ai jamais vraiment eu de souci avec mon âge, je ne suis pas attaché à ça. Le ski, ça fait rester jeune car effectivement, je skie surtout avec de jeunes trentenaires, sauf Seb Michaud évidemment ! L’arrêt de ma carrière provient uniquement de la volonté de partir au bon moment, quand je sens que j’aurais du mal à me motiver pour parvenir à fournir à mes partenaires les meilleures images ou mon meilleur rendement. Je préfère dire moi-même stop plutôt que de devenir un boulet. J’évolue moins qu’avant dans mon ski alors que le sport évolue, autant partir. Ça change rien à ma pratique perso, mais désormais, je skierai pour moi, sans contraintes ni pression. Je sens que c’est l’heure, c’est tout.
SK: Pourtant, ton fonctionnement était moins stressant que pour ceux qui font de la compétition par exemple ?
P.M. : C’est clair, il n’y a pas de couperet qui tombe ou pas au jour J, mais j’ai toujours été un perfectionniste qui ne s’en foutait pas si le trip, le film, bref le projet en cours, se déroulait bien ou pas même si les conditions dictent en partie la réussite ou pas d’un trip. J’ai toujours été entouré de gens compétents à tous les niveaux pour qu’au final, on puisse délivrer le meilleur. Quand des partenaires investissent sur toi, mais aussi que des professionnels te suivent et donc investissent aussi sur toi, ça crée un stress. Sur un trip hélico par exemple, il faut rentabiliser au mieux les heures de machine et sortir des images hors du commun sinon, ça ne sert à rien. Je sais d’expérience qu’une photo moyenne est inutile car il y a une telle production que seul le meilleur est publié, et encore… Bref, quand tu sens que tu risques de décevoir ces multiples attentes, le mieux c’est de n’emmener personne dans une galère potentielle. J’espère que cette décision me ressemble.
SK: Comment gère-t-on la concurrence ?
P.M. : Je n’ai jamais été en compétition avec les autres. En trip, tu pars avec des potes qui t’aident autant que tu les aides. C’est impossible pour moi d’être jaloux d’un autre, au sens négatif du terme, parce qu’il a fait un superbe run ! Mes partenaires ayant été fidèles, je n’ai jamais vraiment eu à me poser la question ou à avoir de la rancoeur pour m’être fait virer par exemple. C’est un peu pour ça que j’ai décidé d’arrêter de cette manière, probablement parce que je n’aimerais pas qu’on me foute dehors, que j’ai envie de poursuivre ma vie en me disant que j’ai eu une chance de fou plutôt que d’être aigri de m’être fait sortir du système. Choisir, c’est avoir son destin en main, c’est important. C’est d’ailleurs valable sur les skis comme dans la vie…
SK: C’était plus facile avant ?
P.M. : C’était un peu différent, c’est tout. Quand j’ai commencé, c’était à coup sûr plus facile car il y avait une grosse demande de la part des marques mais si le sport évolue très rapidement, imposant de nouvelles aptitudes, il demande aussi à être de plus en plus « professionnel », à savoir ne pas aller skier même par bonnes conditions pour aller serrer des mains pour un partenaire. Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus de team managers ou de nounous qui s’occupent de tout et pouvoir mener sa barque de manière autonome a une réelle valeur, ça permet de créer une vraie relation de confiance avec la marque. Autrement, faut vraiment être le meilleur…
SK: Ce Misty, ça a quand même changé ta vie !
P.M. : C’est quand même le vrai début de ma carrière ! Ça ne se faisait pas depuis une barre. Au mieux, on faisait un backflip mais comme j’avais fait un peu de park avant, j’ai voulu intégrer ce type de tricks à mon ski. Ce moment, immortalisé par cette séquence montée (Ndlr : ce qui n’existait pas tant à l’époque…), a quand même été un grand moment puisqu’elle m’a permis de choisir le ski
comme métier. Ce type de run amenait une sorte de fusion entre le park et le hors-piste, un peu comme du backcountry mais sans avoir shapé le spot. Je me moque du côté égotique mais ça me fait plaisir d’avoir amené une pierre à l’édifice, d’avoir surtout anticipé quelque chose qui s’est installé plus tard, pas une lubie qui aurait fait marrer que moi. À l’époque, la seule chose qui comptait, c’était la hauteur de la barre. On a quand même pas trop mal évolué, non ?
SK: OK, du coup t’as réussi une belle carrière dans le ski mais t’en as probablement raté une toute autre dans la banque !
P.M. : C’est drôle ça ! Quand j’ai quitté la banque, ma décision n’était pas spécialement réfléchie, juste guidée par la passion et cette opportunité qui s’offrait à moi. Même quand je me suis blessé, je n’ai jamais eu à regretter mon choix, style « tout ça pour ça… ». J’ai eu quinze années au top, dont je ne veux rien changer, malgré les trois blessures que j’ai eu à subir. C’est pas facile d’être amoindri, de se faire mal pour revenir, pas plus que c’est simple de gérer la fierté ou l’ego que tu as lorsque t’es médiatisé, qui te grise. Quoi qu’il advienne, je n’aurais jamais vécu tout ça en restant banquier. J’émets quelques doutes pour ceux qui disent ne pas être touchés par cette reconnaissance… Alors c’est sûr, j’aurais gagné sûrement plus d’argent en étant un bon banquier, mais suis-je vraiment à plaindre ? Je ne le crois pas…
SK: C’est si idyllique d’être skieur ?
P.M. : Les vrais moments difficiles, ce sont les blessures, et le mois de novembre ! Faut se préparer physiquement, finaliser la préparation des objectifs, se mettre dans l’hiver alors que la neige n’est pas là et comme tu veux toujours faire plus haut, plus loin, plus fort, ça met la pression. Une fois que la neige arrive, ça se décante. La saison est partie, tu skies, c’est cool.
SK: Ça met la pression d’avoir un casque Red Bull ?
P.M. : Non, la pression est venue plus tard, lorsque je me suis rendu compte de la portée réelle de ce partenaire. J’ai signé mon premier contrat avec Red Bull en 2002, j’étais alors aux premiers
virages de ma carrière. Je suis allé les voir les poches remplies d’idées, d’ambition, et pas trop de barrières dans ma tête mais en sortant de mon premier meeting chez Red Bull, j’ai réalisé que je pourrais soit : 1. skier, c’est cool ! ou 2. me bouger le cul, m’entraîner comme un bougre et peut-être un jour, si tout se passe bien, vivre de ma passion. Le sponsoring, que ce soit Red Bull ou un autre, ça dépend tout de ce que tu en fais, de comment tu envisages ta relation avec ton partenaire.
SK: Et l’accident ?
P.M. : Quand tu te blesses, ça crée un manque, une frustration et après quand tu reviens, t’es hyper motivé, comme quand je me suis luxé la hanche. Une autre fois, j’ai pris une grosse avalanche mais c’était en fin de saison et j’ai eu l’été pour me retaper. En revanche, quand je suis intervenu par hasard avec Dom Daher sur une avalanche à Verbier, que j’ai eu à sortir une fille qui n’a pas survécu, j’ai réellement pris conscience de ce que signifiaient les risques encourus en cas d’avalanche. Ça a été difficile. On ne vit pas les choses de la même manière lorsqu’on est impliqué soi-même que lorsqu’on intervient comme ça sur un événement dramatique. En Alaska, lorsque j’ai pris une énorme avalanche, tout a été un enchaînement de problèmes, comme des signes annonciateurs. C’était mon premier trip hélico, qui a débuté par dix jours de mauvais suivi d’une panne d’hélico, d’une engueulade avec la compagnie, puis l’accident. En fait, je n’aurais pas dû rider ce jour-là, il y avait eu trop d’éléments me disant qu’il fallait mieux rester tranquille. Quand tout n’est pas au vert, il ne faut pas skier, c’est tout. Cela dit, je n’ai peur des avalanches que depuis avoir trouvé quelqu’un dessous…
SK: C’est peut-être aussi le fait d’être devenu père ?
P.M. : Ça n’a pas changé ma manière de rider mais aujourd’hui, je ne prends pas de risques pour rien, c’est-à-dire que si je skie pour moi, je me fais plaisir sans aller chercher une ligne de fou. Je peux faire des trucs chauds mais jamais dangereux car j’attends les conditions. De toute façon, en matière d’engagement, je ne me suis jamais retrouvé en haut d’une ligne à me dire « si j’ai de la chance, ça passe… ». Ça ne veut pas dire que je n’ai pas eu peur parfois, mais dans la maîtrise et si j’ai été stupide une fois ou deux,
« JE NE DÉFIE PAS LA MONTAGNE, JE JOUE AVEC. »
je n’ai jamais fermé les yeux en skiant… Comme je n’ai jamais cherché l’adrénaline pour l’adrénaline, ma vie de famille n’a pas impacté mon ski en tant que tel.
SK: Tu es content de ces quinze années passées à skier ?
P.M. : Je suis surtout fier d’avoir laissé une petite trace, d’avoir participé à un élan qui ne s’essouffle pas, bien au contraire, cette idée de vitesse et d’enchaînement basés sur le ski, pas la cascade. Et puis, comment ne pas être admiratif de ce qui se fait aujourd’hui ?
SK: Qui trouve grâce à tes yeux ?
P.M. : Jérémie Heitz par exemple, pour sa vitesse. Loïc Collomb-Patton pour son aisance dans ses 3.6 sur les barres et tout un tas d’autres qui optimisent leurs atouts sans nécessairement copier ce qui se fait. Le ski freeride va bien !
SK: Et alors, qu’est-ce qu’il va faire à la retraite pépère ?
P.M. : Avec Florian Goley, j’ai un magasin de vélos depuis quelques années à Martigny et je vais garder une activité avec Scott, quelque chose à définir prochainement, entre l’image et le développement produit. Je n’ai pas envie d’être derrière un bureau et le magasin, ça me plaît. On sponsorise quelques jeunes, ça me permet de découvrir l’autre côté du miroir…
SK: Et pourquoi pas une retraite de grand frère, à la Glen Plake ?
P.M. : Non, ça ne serait pas une retraite sportive mais une évolution, un changement de direction. Pour moi, être pro, c’est pouvoir skier à 100%, à bloc. C’est sûrement très intéressant les expés, les conférences, etc, mais non, pas pour moi. Et puis on ne peut pas comparer la notoriété d’un Glen Plake à la mienne ! Non, moi je veux être sur la neige pour en profiter égoïstement, juste pour moi, parce que j’aime ça tout simplement. C’est idiot, mais dès qu’il neige, il faut que je monte voir quelles sont les conditions à Verbier. La neige, ça me rend dingue !
SK: Et la pente raide, la direction qu’avait prise JP Auclair ?
P.M. : Non, c’est pas mon truc. J’admire ceux qui font ça mais ce n’est pas ma tasse de thé. Mon ski n’est pas extrême. Il s’agit davantage de magnifier une pente que de lui survivre ! C’est vraiment deux approches différentes. Je ne défie pas la montagne, je joue avec.
SK: Et les films, direction prise par les Falquet ou Enak Gavaggio avec Rancho ?
P.M. : Nico et Loris Falquet ont toujours créé des projets à part, créatifs, à l’image de ce que fait Enak aujourd’hui : c’est du ski, mais c’est surtout drôle, surprenant et remarquable! De mon côté, j’ai rapidement incorporé les grosses productions de films de ski, d’abord parce qu’elles se sont tournées vers moi ce qui m’a flatté, mais aussi pour cette logique de skier à fond, de tout montrer sur un segment. C’est un autre chemin, mais aujourd’hui, je revendique de vouloir faire un pas en arrière, d’être à la retraite, de laisser la place. Je ne cherche pas un moyen de garder un pied dans la médiatisation. C’est tout aussi respectable que ce que fait Enak avec Rancho, à chacun son truc. Moi, je fais un petit festival en mars à Verbier, avant l’Extreme, pour tirer ma révérence une bière à la main, remercier mes partenaires, mais aussi les quitter.
SK: Tu vas verser une larme ?
P.M. : Je ne pense pas. C’est vraiment une démarche réfléchie même si c’est difficile d’arrêter, de changer de vie. Néanmoins, la décision a été assez facile à prendre car je suis persuadé d’être au bout.
SK: Maintenant, ce sera soirée diapo avec Dom Daher ?
P.M. : Oui ! Exactement. On ne se voyait pas que pour le ski donc ça ne changera pas. Toutes ces années, c’est surtout beaucoup de rencontres, parfois improbables, mais tout autant d’histoires parfois tout aussi improbables. Les potes resteront des potes.
SK: Un projet quand même ?
P.M.: Je suis en train de passer une licence privée de pilote d’avion pour faire celle d’acro plus tard et me faire plaisir dans les airs. Pas mal pour un retraité, non ?