SAN MARTINO DI CASTROZZA
QUAND LES DOLOMITES PRENNENT TOUTE LA NEIGE DES ALPES !
DANS LES DOLOMITES, LES CUMULS DE NEIGE PEUVENT ÊTRE SPECTACULAIRES LORSQUE LES PERTURBATIONS S'ENCHAÎNENT SANS RÉPIT, COMME LA SAISON DERNIÈRE OÙ IL NEIGE EN QUANTITÉ, SANS ACCALMIE. L’ENVERS DE LA MÉDAILLE, TOUTES LES STATIONS SONT FERMÉES… RIEN NE S'EST STABILISÉ SUR LE HAUT ET MÊME LA MISE EN ROUTE DES REMONTÉES N'EST PAS ENCORE POSSIBLE. DE QUOI SE MOTIVER POUR PARTIR ET ARRIVER SUR PLACE À TEMPS POUR TRACER, AVEC RICHARD AMACKER, À PEINE SORTI DE L’ÉPREUVE AUTRICHIENNE DU FREERIDE WORLD TOUR, PHIL MEIER ET THIBAUT DUCHOSAL.
San Martino di Castrozza demeure un petit spot peu connu, en tout cas beaucoup moins que le grand domaine voisin de la Sella Ronda. Être tranquille, c’est avant tout se garantir une forme d’exclusivité sur la poudre et les belles lignes, sans avoir le stress de se faire piquer un run immaculé pour cinq petites minutes de retard… Manque de chance, beaucoup ont eu la même idée que nous et on croise dès notre arrivée Sam Favret et Henrik Windstedt accompagnés de leurs “crews” respectifs, plus quelques local heros. Aïe, ça va faire du monde ! Il faut dire que les infos circulent vite sur les réseaux sociaux… Ce magnifique petit spot situé à 1450 mètres d’altitude, a été une destination prestigieuse dès le dix-neuvième siècle, lorsque les classes supérieures venaient de toute l’Europe séjourner ici pour profiter de ce paysage unique. La ville, entourée par la forêt, est dominée par Pale di San Martino, une incroyable chaîne de montagne avec des pics aux formes étranges culminant à 3192 mètres. Aujourd’hui, ce sont les skieurs qui forment cette aristocratie… Avec seulement soixante kilomètres de pistes entre 1404 et 2609 mètres, répartis dans quatre secteurs indépendants et pas interconnectés, comme souvent dans les Dolomites, l’endroit demeure discret, surtout quand il est enterré sous la neige.
PARADIS BLANC
Au début du séjour, le col “Passo Role” est fermé. Seul le bas du domaine en pleine forêt est ouvert avec le tronçon de la télécabine de Tognola et si c'est un peu juste, la qualité de la neige fait oublier ce détail. C'est tout simplement l'orgie ! Il neige régulièrement, les traces de la veille sont recouvertes chaque jour et comme il n'y a pas de sous-couche dure, il est parfois très difficile de se relever en cas de chute tant ça brasse… On s'enfonce comme dans des sables mouvants, mais en plus rapide, sans couche solide pour s'appuyer et s'aider à se redresser ! Les runs dans les sapins sont assez ouverts et dégagés surtout sur le haut, avec de petits tronçons raides et courts et quelques pillows. Pour la partie basse, c'est tout simplement du typique ski de forêt. On rejoint systématiquement la même télécabine après chaque descente et on remonte car il suffit de se décaler un peu de sa trace pour retrouver une autre ligne vierge pour la rotation suivante et enchaîner toute la journée les runs… Comme quoi, on a beau être quelques-uns à tracer, cela ne suffit pas à gâcher le potentiel. La neige fraîche est de si bonne qualité qu’on dirait la fameuse “champagne pow” chère aux Américains tant elle est fine et légère. On enfonce un bâton en entier sans jamais toucher le fond, c’est incroyable ! Les souches et les branches vicieuses étant bien recouvertes de cet épais matelas, on peut se lâcher. Au bout de quelques jours, on aimerait bien aussi voir les belles faces lisses et droites si caractéristiques des Dolomites et pouvoir sortir du bois mais pour l’instant, chaque jour, c'est la même chose, comme dans une journée sans fin. Il neige toute la nuit et au matin, la forêt est comme neuve, comme si nous n’étions jamais passés par là la veille. Tognola demeure la seule remontée ouverte mais de toute façon, c'est pareil dans tout le coin. À Cortina d'Ampezzo, tout est fermé aussi. Rien ne sert donc d'aller chercher ailleurs et on retourne dans notre forêt, comme des ours, avec l’espoir de vivre quelques éclaircies et d'entendre le déclenchement des avalanches sur le haut du domaine avant notre départ. On se met à rêver de voir les faces plâtrées des magnifiques paysages de cette partie des Alpes et lorsque le ciel s'ouvre un peu, on distingue de très hauts sommets un peu fantomatiques, totalement verticaux et inaccessibles. Pas le temps d’en voir davantage. Quelques
apparitions de temps à autre mais le ciel se ferme systématiquement, les flocons prenant la suite. À force d’être dans le jour blanc et le brouillard, tout nous semble plat. Comme on a perdu la notion d'altitude et de relief, c’est d’autant plus magique et majestueux quand le ciel nous permet de remettre un peu de verticalité dans notre univers en 2D… Dans le petit restaurant d'altitude ou dans les cabines, on croise les autres skieurs que l’on voit disparaître quelques minutes plus tard, chacun faisant sa vie dans son bout de nuage. Tout le monde est content, c'est fou ce qu'un peu de neige peut rendre heureux ! Et puis, comme tout a une fin, la température monte sensiblement. La neige devient très lourde mais, avec plus de trois mètres de cumul, il devient vite difficile de skier d’autant que l’altitude de la portion ouverte n'est pas très élevée. Vu les conditions, il faut encore un jour ou deux avant d’espérer un début d’ouverture, d’autant que si le thermomètre est monté, cela ne veut pas dire que le ciel s’est mis au bleu. Nous sommes dans l’expectative et on cogite : on bouge ou pas ? Si oui, on va où ? Cortina ? Bref, les éternelles questions de la chasse aux conditions quoi ! Finalement, après avoir erré, les prévisions météo demeurent mauvaises et il faudrait attendre trop longtemps pour espérer une fenêtre, un délai qui ne colle pas avec les impératifs de chacun. On plie donc bagages avec un zeste de frustration mais San Martino di Castrozza était l’endroit où il fallait être pour avoir de la neige. Et on y était !