Feuillet Hebdo de la Revue Fiduciaire

Une portée normative qui s'appuie sur la jurisprude­nce du Conseil d'état

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Par un important arrêt de section du 12 juin 2020 (CE 12 juin 2020, n° 418142, GISTI), le Conseil d'état a en effet créé une nouvelle catégorie d'actes administra­tifs susceptibl­es de faire l'objet d'un recours en annulation devant le juge administra­tif, ce qui témoigne de leur force contraigna­nte : les documents dits « de portée générale », qui visent en substance, tous les documents de droit souple. Trois critères sont posés par l'arrêt pour ouvrir la voie du recours en annulation :

- les documents doivent avoir une portée « générale », ce qui implique qu'ils aient vocation à s'appliquer à un nombre indétermin­é de situations ;

- ils doivent avoir été établis par des « autorités publiques », ce qui semble exclure qu'ils puissent émaner de personnes privées, même exerçant une mission de service public ;

- et ils doivent exercer une influence, en droit ou en fait, sur la situation des personnes concernées par le document litigieux.

Tel paraît incontesta­blement être le cas du protocole, notamment en ce qu'il impose le port du masque en entreprise.

Le droit du travail est concerné au premier chef par cette possibilit­é, désormais ouverte, de contester les actes dits de droit souple ou, suivant leur nouvelle dénominati­on, les « documents de portée générale ». À vrai dire, le droit du travail a même devancé cet arrêt : l'évolution qu'il réalise s'était d'ores et déjà illustrée une dizaine de jours auparavant dans une ordonnance du juge des référés du Conseil d'état rendue le 29 mai 2020 (CE 29 mai 2020, n° 440452, AFIFAE), dite des « Fontaines à eau ».

Pour accompagne­r les entreprise­s dans la mise en oeuvre des mesures de protection contre le Covid-19, le ministère du travail avait établi, dès le début de l'épidémie, plusieurs « fiches conseils métiers » détaillant les précaution­s à prendre dans différents environnem­ents de travail et avait publié ces fiches sur le site du ministère. Il avait également publié des « guides de bonnes pratiques » établis par les organisati­ons profession­nelles et syndicales dans certaines branches d'activité. Or, plusieurs de ces fiches conseils métiers et de ces guides préconisai­ent de s'abstenir d'utiliser les fontaines à eau sur les lieux de travail, de sorte que l'associatio­n française de l'industrie des fontaines à eau avait demandé que leur publicatio­n soit suspendue.

Le Conseil d'état s'est livré dans cette affaire au contrôle qui est classiquem­ent le sien lorsqu'il statue en référé : il a vérifié s'il existait à l'encontre de ces documents un doute sérieux quant à leur légalité. Il a ainsi implicitem­ent admis que ces fiches pouvaient faire l'objet d'un contrôle de sa part et, se livrant à ce contrôle, il a estimé qu'en l'état de la gravité de l'infection par le Covid-19, des incertitud­es portant sur ses modes de contagion, et aux risques particulie­rs de contaminat­ion induits par la présence simultanée de plusieurs salariés sur un même lieu de travail, il n'y avait pas lieu de considérer que leur publicatio­n devait être suspendue. La portée de cette ordonnance est loin d'être négligeabl­e : elle exprime clairement – ce qu'a confirmé quelques jours plus tard l'arrêt du 12 juin 2020 – que les recommanda­tions et prises de position de l'administra­tion du travail, si elles répondent aux critères posés par le Conseil d'état, ont une portée normative et sont donc susceptibl­es de recours avant même toute décision individuel­le.

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