Feuillet Hebdo de la Revue Fiduciaire
Le Conseil décale l'effet de sa décision au 1er janvier 2022
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Le Conseil a aussi utilisé la possibilité offerte par la constitution de décaler dans le temps les effets de sa décision, en reportant au 1er janvier 2022 les effets de l'abrogation des dispositions en cause.
Une abrogation immédiate aurait en effet privé d'accès à la retraite progressive les salariés à temps partiel, rétablissant une égalité entre tous mais en privant tout le monde d'accès au dispositif ! Le juge constitutionnel laisse ainsi le temps au législateur de modifier les dispositions légales comme il avait d'ailleurs été envisagé de le faire.
Cette pratique du décalage dans le temps des effets d'une censure constitutionnelle repose sur l'article 62 de la Constitution issu de la révision constitutionnelle de 2008. Le juge constitutionnel y a recours de temps en temps (par exemple décision 2014-388 QPC du 11 avril 2014), comme avant lui le juge européen, et le Conseil d'état depuis un arrêt qui a fait date relatif à l'assurance chômage (CE 11 mai 2004, n° 255886) et permettant un maintien temporaire des effets de l'acte annulé.
La Cour de cassation a également usé de cette faculté de moduler les effets d'une décision dans le temps, mais pas en matière sociale. Dans un arrêt de 2006 (cass. ass. plén. 21 décembre 2006, n° 00-20493), la Cour a écarté l'application immédiate d'une nouvelle règle d'irrecevabilité édictée à l'occasion d'un revirement de jurisprudence, car une telle application immédiate aurait eu pour effet de priver une partie d'un procès équitable, en lui interdisant l'accès au juge. Mais d'une manière générale, la question est plus complexe pour le juge judiciaire qui se prononce dans le cadre de litiges privés que pour les juges administratifs ou constitutionnels qui se prononcent sur la validité d'actes législatifs ou réglementaires ayant donc une portée générale.
Il pourrait être pertinent à cette occasion de remettre sur la table une proposition déjà formulée (« Un autre droit du travail est possible », Bertrand Martinot et Franck Morel, Fayard, 2016), consistant à faire de cette modulation dans le temps des effets d'une décision de justice le principe général, le juge devant justifier le fait de ne pas l'appliquer. Il devrait alors indiquer une date précise d'application de sa décision et motiver le choix de ce moment, plutôt que la situation actuelle inverse qui en fait l'exception, certes possible mais ponctuelle. En matière de clauses conventionnelles qui seraient contraires à des dispositions légales ou jurisprudentielles, pourquoi ne pas imposer là aussi une justification de l'absence d'application aux seules saisies du juge postérieures à l'arrêt lorsque la Cour a précédemment considéré que ces dispositions conventionnelles étaient conformes au droit applicable ? (« Trois propositions pour améliorer la sécurité juridique », Semaine sociale Lamy n° 1671, 7 avril 2015).