Maxi Cuisine

ESCAPADE GOURMANDE

L’hiver s’annonce avec son lot de réjouissan­ces. Et peu importe les frimas, Brive et ses foires grasses ont de quoi vous ragaillard­ir !

- Par Sophie Javaux

Les papilles sont à la fête au pays de Brive

Terres rouges couvertes de champs, collines boisées à perte de vue, grosses fermes traditionn­elles avec leur toit d’ardoises ou de tuiles, villages labellisés. On est au pays du bien-vivre et de la bonne ambiance, qui se traduit tout autant dans la délicieuse ville de Brive et son marché que dans l’esprit du rugby qui anime les gaillards de tous horizons !

La châtaigne, un long processus

Dans leur ferme de Brossard, sur les hauteurs du village de Lanteuil, Patricia et Jean-paul Tronche ne s’arrêtent jamais. Au-delà du fait qu’il restaure lui-même cette bâtisse du Moyen Âge, le couple exploite une châtaigner­aie et un écomusée dédié, bien sûr, à la châtaigne. Patricia prend la parole : « Nous sommes les seuls en Corrèze à travailler la châtaigne de A à Z, de la récolte jusqu’à la mise en conserve. Nous continuons à blanchir nos marrons de la Piale au feu de bois, de manière à retirer une partie du tan – la pellicule au goût amer qui entoure l’amande. Il nous faut ensuite retirer dans les sillons de l’amande le tan pénétrant encore présent avec un couteau spécifique. » Un travail fastidieux qui va leur prendre 3 mois pour réaliser 2 tonnes de châtaignes, alors qu’en semi-industriel, il suffira… d’une journée. Patricia explique son choix : « Nous préférons en faire moins, mais faire tout nous-mêmes et ainsi assurer la qualité de nos produits. Les véreuses sont écartées, les cassées vont servir à la confiture. Entières, elles seront mises en conserve à sec, sans eau ni sel, pour être utilisées du potage au dessert : à tiédir dans un peu de gras de canard pour accompagne­r un magret, à plonger au dernier moment dans un potage… » Biscuits, gâteaux mais aussi farine à mélanger à hauteur de 20 % avec une autre farine : Patricia sait tirer parti de ses châtaignes jusqu’aux coques, qui serviront à alimenter le gros poêle.

Les Coteaux de la Vézère, une belle surprise

Si le bassin de Brive fut jadis viticole, les vignes avaient bel et bien disparu, à l’exception de quelques anciens qui conservaie­nt 2 à 3 vignes. L‘idée de réintrodui­re un vignoble sur les collines est venue du restaurate­ur Albert Parveaux, conseillé par l’oenologue Jacques Puisais, dont l’engagement à ses côtés était conditionn­é par le respect d’une règle d’or : « Votre vin doit avoir la gueule de l’endroit et ne pas suivre une mode. » Sur les 10 entreprene­urs vignerons

corréziens qui se sont lancés dans l’aventure, aucun n’était profession­nel, tout se fait donc sous le contrôle d’une seule cave avec un oenologue et des salariés. René Maury, président de la cave des Coteaux de la Vézère, témoigne : « Nous sommes partis de zéro et, 15 ans plus tard, nous avons obtenu L’AOC Corrèze. Nous sommes principale­ment sur des vins blancs à 60 %. Le terroir de schiste et d’ardoise, comme en Anjou, nous a amenés à travailler les cépages de chenin. Mais comme nous ne sommes pas loin non plus de Bordeaux, nous avons aussi du chardonnay et du sauvignon, que nous assemblons pour obtenir plus de typicité. » Du cabernet franc et du merlot pour le rouge, ainsi que du pinot noir presque exclusivem­ent pour le rosé viennent compléter le tableau. Le tout passé en bio certifié. De l’autre côté du départemen­t, deux autres petits vignobles ont aussi obtenu L’AOC : la cave de Branceille­s et 13 vignerons indépendan­ts qui font du vin paillé. De ces raisins passerillé­s, c’est-à-dire séchés sur un lit de paille, les Coteaux de la Vézère produisent, eux, un Dernières vendanges, un blanc doux qui en surprendra plus d’un par sa deuxième note minérale.

Les foires grasses de Brive, le rendez-vous des gourmets

À la halle Brassens, les étals regorgent de canards, oies grasses et chapons, confits et foies gras s’empilent. À ce propos, Danièle Mazet-delpeuch, ancienne cuisinière de François Mitterrand à l’élysée, est catégoriqu­e : « L’appellatio­n “foie gras” concerne l’oie uniquement, sinon, on doit préciser “foie gras de canard” ! Il n’y en a pas un meilleur que l’autre, c’est une question de goût. Moi, je préfère celui d’oie, que je prépare en terrine avec 14 g de sel et 4 g de poivre, légèrement arrosé d’armagnac. » Placé au réfrigérat­eur avec un film protecteur entre 24 et 48 h, il sera ensuite cuit au bain-marie bouillant à raison de 15 mn par livre.

Quant à Nicolas Eche, chef du restaurant

En Cuisine, il est adepte du foie gras de canard et d’une cuisine novatrice : « Il peut se marier avec plein d’ingrédient­s. En été, avec des cerises, des abricots en chutney. En hiver, avec un caviar de lentilles arrosé d’huile de noix. J’apporte une touche d’originalit­é, mais je reste sur des bases classiques dans la manière de le cuire au torchon. » En effet, son foie gras de canard est roulé dans du poivre 5 baies, « assez parfumé mais pas trop puissant en termes de goût », et arrosé de 3 alcools : du porto pour la douceur épicée, du cognac pour la puissance et de la chartreuse pour le côté herbeux. Mais, comme le conclut Danièle, « le plus important est la rencontre avec les producteur­s. C’est cela qui va vous faire un foie gras inimitable. Que ce soit les foires grasses ou le marché des producteur­s, avec les petites gens qui vendent les produits de leur jardin, c’est inspirant. Pour un cuisinier, c’est un vrai plus ! » À noter que, pour conserver la renommée de ces foires et garantir la qualité des produits, la ville de Brive, les chambres d’agricultur­e

de la Corrèze, du Lot et de la Dordogne, ainsi que les syndicats de producteur­s ont défini une charte de qualité garantissa­nt la traçabilit­é des produits et un gavage traditionn­el au maïs grain, entre autres exigences.

La noix à l’état liquide

Marketing avant l’heure, sens de l’humour ou nom prédestiné, l’arrière-grand-père Denoix s’était lancé, au pays de la noix, dans la fabricatio­n de liqueur de… noix. Cinq génération­s plus tard, sa descendanc­e, sous les traits dynamiques et souriants de Sylvie, perpétue la tradition à la lettre : « Nous sommes les seuls liquoriste­s à travailler comme au XIXE siècle. » Et il faut voir leur distilleri­e pour le croire : cuivre étincelant des chaudrons et de l’alambic, foudres centenaire­s, c’est un monde oublié, une entreprise de patrimoine vivant exceptionn­elle. « On va broyer et presser 5 à 10 tonnes de noix vertes. Le jus obtenu est vieilli en fût 5 ans. Ensuite, on lui ajoutera un sirop de sucre maison, puis un mélange bien précis d’armagnac et de cognac. »

Cette liqueur est obtenue par macération, ce qui la rendra plus fruitée et longue en bouche, contrairem­ent à la distillati­on qui donnera une liqueur plus sèche, comme le genièvre. « Il y a un retour en grâce des liqueurs avec les cocktails, la cuisine et les pâtisserie­s. La liqueur de noix dans un tiramisu remplace l’amaretto ; elle est

parfaite pour déglacer des noix de saintjacqu­es (1 c. à soupe de liqueur pour 2 à 3 de crème fraîche) ou un foie gras poêlé avec des pommes revenues dans du beurre. On peut aussi tout simplement la boire fraîche, avec un glaçon ou à la sortie du freezer, pour atténuer le sucre et faire ressortir le parfum. » Son seul regret : L’AOC noix du Périgord, qui englobe le sud de la Corrèze, ne concerne pas la noix verte, mais les seuls noix mûres, cerneaux et huile.

Cette dernière a obtenu l’appellatio­n en novembre 2018, ce qui ravit Cyril Abonnel et Anne Jaubertie, couple à la ville comme au moulin, qui a pour nom La Vie contée. Cyril est d’ailleurs trésorier du syndicat de gestion et défense de la noix du Périgord : « Tant qu’à faire les choses, autant les faire bien ! Nous avions les noyers. Nous avons investi dans une meule, un chaudron et une presse en fonte du début du XXE siècle. Cela fait seulement deux ans que nous produisons de l’huile, selon la méthode traditionn­elle, pressée à chaud. » La « fruitée », chauffée modérément, a un arôme grillé, mais est encore sur la noix ; la « mordorée », plus chauffée, va être plus sur le côté torréfié, ce que certains appellent les « huiles gourmandes » aux saveurs de caramel et pain grillé. « Le tout est d’enrichir les goûts avec la chauffe et les variétés de noix. Sur L’AOC, il doit y avoir 50 % de franquette, à laquelle nous ajoutons de la marmot. Nous faisons également une huile monovariét­ale 100 % marmot, qui n’est donc pas en AOC mais reste très appréciée. Il y a, c’est évident, tout un travail à faire sur les goûts, comme pour les huiles d’olive. »

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 ??  ?? 1. Le bassin de Brive vu du 2. puy Patricia d’yssandon et Jean-paul (356 m). Tronche travaillen­t la châtaigne de A à Z. 3. Le village de Turenne. 4. Sylvie et son mari, la 5e génération aux commandes de la distilleri­e Denoix. 5. Les Coteaux de la Vézère, des vins qui ont du caractère.
1. Le bassin de Brive vu du 2. puy Patricia d’yssandon et Jean-paul (356 m). Tronche travaillen­t la châtaigne de A à Z. 3. Le village de Turenne. 4. Sylvie et son mari, la 5e génération aux commandes de la distilleri­e Denoix. 5. Les Coteaux de la Vézère, des vins qui ont du caractère.
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 ??  ?? 1. Nicolas Eche, chef du restaurant nd En Cuisine, adepte d’une cuisine novatrice. 2. René Maury, président de la cave des Coteaux de la Vézère. 3. Les foires grasses de Brive, le rendez-vous des gourmets. 4. Danièle Mazet-delpeuch trouve son bonheur auprès des producteur­s du marché de Brive.
1. Nicolas Eche, chef du restaurant nd En Cuisine, adepte d’une cuisine novatrice. 2. René Maury, président de la cave des Coteaux de la Vézère. 3. Les foires grasses de Brive, le rendez-vous des gourmets. 4. Danièle Mazet-delpeuch trouve son bonheur auprès des producteur­s du marché de Brive.
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 ??  ?? 1. À la distilleri­e, on travaille la liqueur de noix comme au XIXE siècle. 2. L’huile de noix, un nectar de Cyril Abonnel et Anne Jaubertie.
1. À la distilleri­e, on travaille la liqueur de noix comme au XIXE siècle. 2. L’huile de noix, un nectar de Cyril Abonnel et Anne Jaubertie.
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