DANS LES VIGNES
Pic-saint-loup, entre Cévennes et Méditerranée
Depuis Montpellier, on voit d’abord ces barres d’immeubles modernes plantées à la va-comme-je-te-pousse, à droite de l’autoroute qui file vers l’ouest. Héritage d’une politique d’urbanisme démesurée qui voulait relier la métropole à la mer. Pourtant, le bétonnage des alentours de la capitale historique de l’Occitanie n’est pas parvenu jusqu’au monstre de calcaire qui roupille indolent derrière les faubourgs nord de la septième commune de France, le pic Saint-Loup. Si grand que les marins le repéraient depuis la mer : le fauve de pierre assoupi tel un lion aurait donné son nom au golfe éponyme et se nourrit d’une légende qu’il faut connaître avant de grimper au sommet de ses 658 mètres.
Ils étaient trois frères : Loup, Guiral et Clair, vivant au Moyen Âge à Saint-Martin-de-Londres, tous les trois amoureux d’Irène. Après que chacun lui eut déclamé sa flamme, la donzelle, ne sachant lequel choisir, déclara qu’elle prendrait pour époux le plus valeureux des trois. Ils partirent donc aux croisades, se couvrirent de gloire mais, à leur retour, Irène était morte de chagrin. Ils décidèrent alors de vivre en ermites sur trois monts formant un triangle autour du village. Tous les ans, à Noël, ils allumaient un feu. Une année, il n’y eut plus que deux feux, puis un seul, puis aucun. Les trois ermites étaient morts. Pour rendre hommage à leur amour et leur courage, les monts portent leur nom : Saint-Guiral, Saint-Clair et Saint-Loup. Mais que serait le pic sans son faire-valoir direct : l’Hortus, montagne aux vertigineuses falaises de calcaire défiant le félin immobile. Une autre légende raconte que celle-ci serait née d’un coup de poing monumental donné par un géant qui aurait fendu la montagne pour protéger deux amoureux. Une vallée empêche les deux rocs de s’affronter avant de s’ouvrir en pentes douces pour laisser la vigne se poser sur ses terroirs glorieux.
Capable de finesse
Le vignoble du pic Saint-Loup y puise sa renommée dans cette succession de vagues calcaires laissées là par la poussée des Pyrénées. Derrière, c’est le plateau cévenol : le « frigo du vignoble », comme on dit par ici, celui par lequel arrive la fraîcheur, celle qui fait la réputation des vins, celle qui fait que 70 cavistes parisiens sur 100 ont un vin, rouge
ou rosé, de l’appellation à proposer, celle qui fait que la syrah, ragaillardie par les nuits fraîches et les journées chaudes, y prend de faux airs de cornas… Et, en plus, il pleut. À peine plus qu’ailleurs, mais cela suffit au raisin. Alors forcément, chaque médaille a son revers et le froid cévenol peut geler les jeunes pousses, les vignerons en ont fait les frais les dernières années. La nature donne et reprend à sa guise. Le souffle méditerranéen n’est pas toujours assez chaud pour contrer la froideur du Massif central, mais il exalte le goût des mourvèdres qui mûrissent de sa chaleur. Autrefois – il y a moins de vingt ans –, un vin se jugeait à sa puissance tannique, à son parfum confit, à ses muscles saillants, on le disait alors bodybuildé…
Il a fallu en passer par là pour découvrir que les rouges du Languedoc étaient aussi capables de finesse, malgré un degré élevé. En 1976, les viticulteurs du Languedoc et du Roussillon étaient désespérés après le soulèvement de Montredon qui fit 2 morts. En 2019, et en écho à la revendication de l’époque, les producteurs des belles appellations languedociennes répondent par la qualité de leur vin. À partir du moment où les vignerons ont cessé de manifester pour baisser les yeux sur leur sol, ils se sont mis à regarder de plus près ces cailloux aptes à produire des vins griffés du Sud et de vivacité.
Au nord de Montpellier, des crus d'exception comme le-pic-saint-loup donnent au Languedoc ses lettres de noblesse.